Nous arrivons à la maison de la guilde, un homme attend dans l’entrée, il porte une lourde massue mais il a l’aire plutôt avenant, il nous accueille d’un bon sourire, Matten fouille dans sa poche et lui remet notre recette de la journée, l’homme compte et recompte les pièces, puis il fait le partage, il y aura 5 pièces d’argent pour moi, 5 pour Matten, et 5 resteront pour la guilde.
L’homme nous félicite, c’est une très belle recette pour des mendiants, Matten hoche la tête, me regarde, me fait remarquer que si on retire la pièce d’or, mal gagnée selon lui, on n’a à peine collecté de quoi payer nos repas, je lui lance un regard noir, il rit : « C’est la vérité, petite, la pure vérité, ne sois pas en colère contre la vérité ! ». Il a peut être raison, je préfère ne pas lui répondre, de temps en temps, il pourrait mentir un peu pour me faire plaisir.
On va voir le roi pour lui remettre l’étoffe de Nurda. On le trouve dans la cour en train de discuter avec Dame Mena, Belit et deux hommes que je ne connais pas. Je saute au cou de Belit, je l’embrasse, elle me sourit, me demande comment s’est passé ma journée, je lui annonce fièrement mes 5 pièces d’argent, elle me félicite, mais Matten qui n’en rate pas une se fait un devoir de lui expliquer comment j’en ai gagné la plus grande partie aux bains. Belit se contente de me dire qu’il faudra faire un geste pour la guilde des danseuses, afin de ne pas avoir de problème avec elles, Matten lui dit que c’est fait, Belit me regarde en hochant la tête :
- Peut être que tu devrais changer de guilde, ma chérie, reprend elle, visiblement tu es plus douée pour danser que pour mendier, et c’est une chance, ça rapporte bien plus ! - Mais je veux pas te quitter ! Aller vivre loin de la maison ! - Tu n’es pas obligée de nous quitter, les danseuses vivent ou elles veulent, pas obligatoirement dans la maison de leur guilde - On en reparlera plus tard, nous coupe Matten, on a plus urgent à s’occuper pour le moment !
Il sort le morceau d’étoffe de sa poche, il le présente au roi. Celui ci blêmit légèrement, demande des explications, Matten lui explique comment nous avons eu cette étoffe.
- Dath est un de mes anciens frères d’armes, je dois savoir ce qu’il se passe, nous allons au Cygne Couronné, dit le roi.
Il se met immédiatement en marche sans plus s’occuper de moi, je décide de les suivre, au passage j’attrape un quignon de pain sur une table, j’ai l’estomac dans les talons, je me mets a le ronger en marchant à la suite de la petite troupe.
Nurda a faim, et avec le temps qui passe, ça ne s’arrange pas. Elle redescend dans la salle de l’auberge, le patron est là , elle lui demande de lui préparer quelque chose, le serveur la regarde, dubitatif :
- Tout à l’heure tu étais fatiguée, tu es une amie de Matten, je t’ai laissée te reposer, mais ici, on paie d’avance, c’est la règle, et tu me dois déjà la chambre …Montre moi un peu la couleur de ton argent, petite … - C’est que j’ai un petit problème, répond Nurda - Tu n’as pas d’argent ? - On m’a volé ma bourse tout à l’heure au marché. - Ta bourse ? Et tu comptes me payer comment ? - Matten m’a envoyé ici et … - Matten est un mendiant ! Il n‘a pas d’argent, la coupe sèchement l’aubergiste, il ne paiera pas pour toi - Ce n’est pas ce que je voulais dire … J’ai des … choses … que je peux vendre … pour te payer, et pour mes dépenses, je voulais simplement que Matten m’aide à trouver un acheteur. - Des choses ? Quel genre de choses ? Je peux voir ?
Il parle avec le ton de celui à qui n ne la fait pas, de celui qui a du faire face à des dizaines de resquilleurs, Nurda rougit, il la prend pour une pauvresse, voire, pour une voleuse.
- Bien sur que tu peux voir ! dit elle impulsivement
Elle se penche et sort de sa jupe une petite bague en or, surmontée d’une perle, la tend à l’aubergiste, il la prend, la regarde de prés, sous toutes ses coutures, son sourire revient
- Qu’est ce que tu veux manger, petite ? - N’importe quoi, je meurs de faim ! Dés que Matten m’aura trouvé un client, je te paie le tout .
L’aubergiste tend un morceau de pain à Nurda, casse des Å“ufs dans une poêle, y jette quelques lardons, quelques rondelles d’oignons, la pose sur le petit brasero au bout du comptoir
- Pourquoi attendre Matten ? Je peux te la vendre moi, ta bague … - Vraiment ? - Bien sur, et peut être mieux que Matten … il te prendra une commission d’au moins un tiers du prix, je me contenterais du quart, et puis moi, je peux te faire l’avance de quelques pièces d’or, de quoi vivre quelques temps … - Combien de pièces ? - Le quart de la valeur réelle de la bague … - Le quart ? c’est du vol ! - Ecoutes, petite, on ne sait pas d’ou elle vient ta bague …il faudra que je la vende à quelqu’un de discret, qui ne pose pas de questions sur l’origine de ce qu’il achète …La discrétion, ça se paye …
Nurda hésite, elle est au bord des larmes
- Bon écoutes, tu es sympathique, tu es une amie de Matten, je peux te promettre … Disons … un tiers du prix réel …mais pas plus … à ce prix la, je ne suis même pas sur d’y gagner quelque chose ! - D’accord, finit par dire Nurda - Tiens, en signe d’amitié, je te fais une avance …
Comme par magie une pièce d’or apparaît dans sa main, il la pose devant Nurda, puis il va chercher l’omelette et la lui sert dans une écuelle, avec un verre de vin. Nurda met la pièce dans sa poche, boit une large rasade de vin et attaque les Å“ufs à belles dents. Il lui ressert du vin, un grand sourire aux lèvres. Nurda mange et boit tout son saoul, une douce torpeur s’empare d’elle petit à petit, la digestion, sans doute, ou alors le vin, elle n’est pas habituée à en boire, elle n’aurait pas dû en boire autant. Elle se lève, un peu titubante, désigne d’un geste vague l’escalier des chambres à l’aubergiste, il lui sourit d’un air engageant, elle monte, se laisse tomber sur son lit, s’endort sans même prendre le temps de se déshabiller.
Nous arrivons au Cygne Couronné, une petite auberge miteuse, dont la silhouette sombre est écrasée par la maison voisine, le Soleil Levant, dont les fenêtres laissent échapper des flots de lumière, de musique, de chants, de cris.
Nous entrons dans la salle au plafond bas, un peu crasseuse, l’aubergiste essuie son comptoir avec un torchon plus que douteux, deux serveuses à l’air fatiguée répondent mollement aux plaisanteries grasses d’une clientèle misérable, malgré moi, je frissonne.
L’aubergiste lève les yeux vers nous, reconnaît Matten et le roi, les salue, son regard accroche un instant les lourds gourdins qui pendent aux ceintures des deux hommes à la musculature puissante qui nous accompagnent, puis s’attarde un peu plus longuement sur moi, la robe que m’a offert Elho en découvre plus qu’elle n’en couvre et je peux vérifier à la lueur qui s’allume dans ses yeux qu’elle fait son petit effet. Toues les conversations se sont tues, tout les regards sont fixés sur nous, ou plutôt, je dois bien le reconnaître, sur moi, je les sens presque physiquement glisser et s’attarder sur mes courbes.
- Ou est Nurda ? demande le roi, rompant le charme - Elle est monté dans sa chambre, dormir … lui répond l’aubergiste - Quel numéro ?
L’aubergiste se retourne vers Matten
- Tu devrais faire attention Matten - A quoi ? répond Matten - Cette fille va t’amener des problèmes … - Lesquels ? demande Matten d’une voix presque menaçante - Tu la connais bien ? - Réponds à ma question, quel problèmes ? - Des problèmes avec le guet par exemple …c’est une bonniche, qui s’est envolée de chez ses maîtres avec les bijoux de famille ! - Elle t’a parlé de bijoux ? - Elle m’en a même donné un, pour que je le vende pour elle … - Quelle idiote ! s’exclame Matten - Oui, c’est une idiote, l’interrompt le roi, mais ce n’est pas une voleuse, je la connais, je sais d’ou elle vient, et je sais d’ou viennent les bijoux, nous n’auront aucun problème, aucun, c’est clair ?
Il a planté son regard dur dans celui de l’aubergiste, le toise, l’autre baisse les yeux
- Oh moi … ce que j’en disais …se défend il - Tu en as déjà bien assez dit, trop, sans savoir de quoi tu parles, le coupe le roi, glacial - C’est bon, c’est bon, elle est la haut, chambre 3 Il nous tend une clef, Matten la prend, on monte, on entre dans la chambre, Nurda ne réagit même pas, elle dort profondément, les hommes la regardent, je la secoue, d’abord légèrement, puis plus fort, elle finit par émerger, les yeux bouffis. Je lui souris.
- Une visite pour vous Milady !
Elle me regarde, hébétée, les yeux dans le vague, elle a l’air en plein brouillard. Matten essaie de la réprimander pour avoir montré les bijoux, mais visiblement, elle comprend rien, le roi fait un signe, nos deux gardes du corps la soulèvent et l’emportent comme un paquet, elle ne réagit même pas.
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