Eltanin

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 Sujet du message: Morceaux choisis.
MessagePublié: 27 Sep 2007, 09:00 
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Pamplemousse Panchromatique
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Inscription : 28 Avr 2004, 01:00
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Localisation : Paris, France.
Ce sujet est destiné à  recueillir des extraits d'ouvrages qui nous plaisent, histoire de donner envie de les découvrir.





Je commence avec "Magella" de Stefan Zweig, que je viens de débuter :


Citer:
Le monde tourne maintenant des regards étonnés et envieux vers cet insignifiant petit peuple de marins, relégué à  l'extrême pointe de l'Europe. Pendant que les grandes puissances, la France, l'Allemagne, l'Italie s'entre-déchirent dans des guerres stupides, leur frère cadet, le Portugal, décuple, centuple son champ d'action. Rien ne peut plus entraver son formidable essor. Il est devenu du jour au lendemain la première nation maritime du monde, il a acquis par son activité non seulement de nouvelles provinces mais même de véritables continents. Dix ans encore, et le plus petit État d'Europe pourra prétendre posséder et régir un territoire plus vaste que l'empire romain au temps de sa plus grande extension.
Il est évident qu'en essayant de réaliser des prétentions aussi exagérément impérialistes, le Portugal ne tardera pas à  épuiser ses forces. Un enfant prévoirait qu'un pays aussi minuscule, qui ne compte guère au total plus d'un million et demi d'habitants, ne saurait à  lui seul occuper, coloniser, gouverner, ni même seulement monopoliser commercialement l'Afrique, l'Inde et le Brésil tout entiers, ni surtout se défendre éternellement contre la jalousie des autres nations. Une seule goutte d'huile ne peut suffire à  rendre étale une mer démontée, une contrée grande comme la main soumettre des pays cent fois plus étendus. Raisonnablement, l'expansion illimitée du Portugal représente une absurdité, une donquichotterie de la plus dangereuse espèce. Mais ce qui est héroïque est toujours déraisonnable, irrationnel. Chaque fois qu'un homme ou un peuple s'impose une mission qui dépasse sa mesure, ses forces se haussent à  un niveau insoupçonné. Jamais peut-être une nation ne s'est aussi magnifiquement synthétisée dans une période glorieuse que le Portugal à  la fin du XVème siècle : il possède tout à  coup non seulement un Alexandre, des Argonautes en Albuquerque, Vasco de Gama et Magella, mais un Homère en Camoëns, un Tite-Live en Barros. Des savants, des architectes, de grands commerçants lui naissent spontanément. Comme la Grèce au temps de Périclès, l'Angleterre sous Élisabeth, la France durant le règne de Napoléon, ce peuple réalise son idée profonde sous une forme universelle et la met en évidence aux yeux de l'univers. Pendant une heure de l'histoire du monde, le Portugal est la première nation de l'Europe, le guide de l'humanité !
Mais les hauts faits d'un peuple profitent toujours aux autres peuples. Tous sentent que cette poussée dans l'inconnu a bouleversé tous les concepts et mesures admis jusqu'ici, toutes les notions de distance, et dans les cours, dans les universités, on attend avec une impatience fébrile les dernières nouvelles de Lisbonne. Grâce à  une merveilleuse clairvoyance, l'Europe comprend tout à  coup que les grands voyages et les découvertes vont transformer davantage l'univers que toutes les guerres et la grosse artillerie, qu'une époque séculaire, millénaire, le Moyen Âge, est révolue et qu'une autre commence, celle des temps modernes, qui pensera et créera dans des dimensions plus vastes. C'est pourquoi l'humaniste florentin Polician, pressentant ce moment historique, prend solennellement la parole pour glorifier le Portugal, et la gratitude de toute l'Europe civilisée s'exprime par sa bouche en ces termes enthousiastes : "Il n'a pas seulement laissé derrière lui les colonnes d'Hercule et dompté un océan déchaîné, mais resserré les liens jusqu'alors relâchés de l'unité du monde habitable. À quelles nouvelles possibilités et à  quels avantages économiques, à  quelle élévation du savoir, à  quelle confirmation de la science antique, dont on récusait jusqu'à  présent l'exactitude, n'est-on pas maintenant en droit de s'attendre ? De nouveaux pays, de nouvelles mers, de nouveaux mondes (alli mundi) ont émergé des ténèbres séculaires. Le Portugal est aujourd'hui le gardien, la sentinelle d'un second univers !"

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MessagePublié: 29 Nov 2007, 08:02 
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Padawan familier
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Inscription : 08 Avr 2005, 11:00
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Quel auteur magnifique...


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MessagePublié: 29 Nov 2007, 08:23 
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Padawan familier
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Inscription : 08 Avr 2005, 11:00
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Extrait des Amours jaunes, le génial recueil du "poète maudit" Tristan Corbière (1845-1875). On admire la qualité de la versification et la densité de l'idée, toutes deux ennoblies par cet accent très particulier, plus fort que le temps, et qui ne trouve son pareil chez aucun autre poète...

Citer:
PARIA

Qu'ils se payent des républiques,
Hommes libres ! - carcan au cou -
Qu'ils peuplent leurs nids domestiques !...
- Moi je suis le maigre coucou.

- Moi, - coeur eunuque, dératé
De ce qui mouille et ce qui vibre...
Que me chante leur Liberté,
À moi ? toujours seul. Toujours libre.

- Ma Patrie... elle est par le monde ;
Et, puisque la planète est ronde,
Je ne crains pas d'en voir le bout...
Ma patrie est où je la plante :
Terre ou mer, elle est sous la plante
De mes pieds - quand je suis debout.

- Quand je suis couché : ma patrie
C'est la couche seule et meurtrie
Où je vais forcer dans mes bras
Ma moitié, comme moi sans âme ;
Et ma moitié : c'est une femme...
Une femme que je n'ai pas.

- L'idéal à  moi : c'est un songe
Creux ; mon horizon - l'imprévu -
Et le mal du pays me ronge...
Du pays que je n'ai pas vu.

Que les moutons suivent leur route,
De Carcassonne à  Tombouctou...
- Moi, ma route me suit. Sans doute
Elle me suivra n'importe où.

Mon pavillon sur moi frissonne,
Il a le ciel pour couronne :
C'est la brise dans mes cheveux...
Et, dans n'importe quelle langue,
Je puis subir une harangue ;
Je puis me taire si je veux.

Ma pensée est un souffle aride :
C'est l'air. L'air est à  moi partout.
Et ma parole est l'écho vide
Qui ne dit rien - et c'est tout.

Mon passé : c'est ce que j'oublie.
La seule chose qui me lie
C'est ma main dans mon autre main.
Mon souvenir - Rien - C'est ma trace.
Mon présent, c'est tout ce qui passe
Mon avenir - Demain... demain

Je ne connais pas mon semblable ;
Moi, je suis ce que je me fais.
- Le Moi humain est haïssable...
- Je ne m'aime ni ne me hais.

- Allons ! la vie est une fille
Qui m'a pris à  son bon plaisir...
Le mien, c'est : la mettre en guenille,
La prostituer sans désir.

- Des dieux ?... - Par hasard j'ai pu naître ;
Peut-être en est-il - par hasard...
Ceux-là , s'ils veulent me connaître,
Me trouveront bien quelque part.

- Où que je meure : ma patrie
S'ouvrira bien, sans qu'on l'en prie,
Assez grande pour mon linceul...
Un linceul encor : pour que faire ?...
Puisque ma patrie est en terre
Mon os ira bien là  tout seul...



Dernière édition par Bonjour le 29 Nov 2007, 20:25, édité 1 fois.

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MessagePublié: 29 Nov 2007, 13:45 
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Carambar hypergolique
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Inscription : 09 Sep 2004, 00:35
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Localisation : La ville des Lumières
je ne trouve pas ce poème digne d'apparaitre dans ce topic. Les procédés utilisés ne font que combler un manque d'intelligence dans la structuration de la pensée de l'auteur : S'il n'arrive pas à  faire ressentir ce qu'il veut en quelques mots, qu'il n'écrive pas au lieu de faire des renvois disgracieux du genre :

- Ma Patrie... elle est par le monde ;
Et, puisque la planète est ronde,
Je ne crains pas d'en voir le bout...
Ma patrie est où je la plante :
Terre ou mer, elle est sous la plante
De mes pieds
- quand je suis debout.


La seule chose qui vaille la peine dans ce texte, c'est l'envie de l'auteur d'être un citoyen du monde. Pour le reste la pensée est décousue et limite stupide.

_________________
Meaow, c'est pas la même chose que Miaou ! C'est plus pointu, plus exotique ! Certes, c'est un anglicisme, mais... L'anglicisme dans les onomatopées me va ! Yeah !

Raphaël


Ah, glander n'est pas de tout repos !

Kanar


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MessagePublié: 29 Nov 2007, 18:45 
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Encore débutant...
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Inscription : 29 Oct 2007, 21:00
Message(s) : 33
Zohar De Malkchour a écrit:
je ne trouve pas ce poème digne d'apparaitre dans ce topic.


Je ne trouve pas cette phrase digne de l'homme de goût pétri de bienséance que tu es certainement.

Cela dit, j'apprécie plutôt le côté chaotique et violent de la chose. La pensée est décousue - c'est le charme - ça semble fuser des entrailles.

Citer:
- Quand je suis couché : ma patrie
C'est la couche seule et meurtrie
Où je vais forcer dans mes bras
Ma moitié, comme moi sans âme ;
Et ma moitié : c'est une femme...
Une femme que je n'ai pas.

[...]

Je ne connais pas mon semblable ;
Moi, je suis ce que je me fais.
- Le Moi humain est haïssable...
- Je ne m'aime ni ne me hais.


C'est joli.

_________________
"Quand les gens sont de mon avis, il me semble que je dois avoir tort."
Oscar Wilde


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MessagePublié: 29 Nov 2007, 19:37 
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Padawan familier
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Inscription : 08 Avr 2005, 11:00
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Zohar, la passage que tu soulignes est plutôt malin, au contraire. Passée la rime avec le verbe planter, on pense qu'il s'agit d'une plante (médicinale, d'intérieur ?), avant de découvrir, plus prosaïquement, qu'il ne s'agit que de la plante de ses pieds - et Corbière de conclure facétieusement : quand je suis debout. On voit là  les admirables contorsions d'un esprit joueur, qui font contraste avec la tristesse désabusée du ton... c'est tout le charme et l'originalité de ce poète.
Mais si Corbière est disgracieux pour utiliser le rejet, qui est un procédé retrouvé dans toute la poésie du XIXe siècle pour assouplir le vers, alors Rimbaud est un porc, et Hugo, n'en parlons pas...

Rimbaud :
L'Ode Açoka cadre avec la
Strophe
en fenêtre de lorette ;
Et de lourds papillons d'éclat
Fientent sur la Pâquerette.


Hugo :
Ces gueux ont commis plus de crimes qu’un évêque
N’en bénirait
. Explore, analyse, dissèque,
Dans leur âme où de Dieu le germe est étouffé,
Tu ne trouveras rien. - Sus donc, entre coiffé
Comme Napoléon
, botté comme Macaire.
Le général Bertrand te précède ; tonnerre
De bravos
. Cris de joie aux hurlements mêlés.
Les spectres qui gisaient dans l’ombre échevelés
Te regardent entrer et rouvrent leurs yeux mornes ;
Autour de toi s’émeut l’essaim des maritornes...


On pourrait en citer dix, vingt autres. Et beaucoup plus tôt, Villon faisait même pire dans l'enjambement. Mais tu dois trouver bien stupides tous ces rimailleurs, non ?


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MessagePublié: 16 Jan 2008, 11:49 
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Electrofrite
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Inscription : 06 Août 2004, 16:05
Message(s) : 637
Localisation : Brisbane.
Voici un court passage d'un de mes ouvrages favoris : La Conjuration des Imbeciles, par John K. Toole. La maitrise du mot juste, la pesee meticuleuse des repliques, l'authenticite quasi maupassienne des personnages, la force du detail dans des descriptions fascinantes... Un chef d'oeuvre de Toole dont la plume inspirera les grands ecrivains agnostiques et, a n'en point douter, abreuvera de sa prose la litterature nihiliste, voire le mouvement de l'Anticipation sociale, dont ce jeune John posa indirectement les bases.
Bref, un livre precieux, a lire (et relire !) toutefois sans retenue. Appreciez la finesse, la VERITE et la pointe comique cinglante de ce dialogue.

Code :
"- Alors vous devez vous mettre à  la lecture dès aujourd'hui, je vous ferai un programme. Ainsi vous serez en mesure de comprendre la crise que traverse notre époque, énonça solennellement Ignatius. Vous commencerez par les derniers romains, au premier rang desquels Boèce, bien sûr. Puis vous vous plongerez dans l'étude relativement exhaustive des penseurs du début du Moyen-Age. Vous pouvez sauter sans mal la Renaissance et les Lumières. C'est surtout de la propagande dangereuse. Et, pendant que j'y suis, vous feriez mieux de sauter les Romantiques et les Victoriens. Pour l'époque contemporaine, un choix de bandes dessinées et d'illustrés.
- Vous êtes formidable.
- Je recommande tout particulièrement Batman, car il a tendance à  transcender quelque peu l'abominable société dans laquelle il se trouve. Et sa morale est assez rigide. Je dois dire que j'éprouve un certain respect pour Batman."




[center]Image

JK Toole[/center]

_________________
http://rocketsilverstand.blogspot.com/


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MessagePublié: 29 Jan 2008, 00:10 
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Troubadour autiste
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Inscription : 08 Avr 2005, 08:43
Message(s) : 653
La conjuration des imbéciles m'a toujours fasciné. je n'ai jamais compris si cet auteur touche tout ce que j'apprécie en littérature ou, au contraire, s'il joue avec mes nerfs. Mais il avait quelque chose à  dire. Fait rarrissime.

Pour continuer dans les grands classiques, un extrait assez long du Cid, que j'ai redécouvert en le faisant étudier. Corneille était génial. Dans cette scène où Rodrigue vient supplier sa bien-aimée de le tuer après qu'il ait lui même occis son père, on a, pour la première fois dans le théâtre classique, une transgression de l'ordre établi. Pour la première fois, une personne - une femme qui plus est - met son amour avant son nom. La première des grandes amoureuses s'appelait Chimène.

Citer:
DON RODRIGUE
Quatre mots seulement ;
Après, ne me réponds qu'avec cette épée.

CHIMÉNE
Quoi ! du sang de mon père encore toute trempée !

DON RODRIGUE
Ma Chiméne...

CHIMÉNE
ôte-moi cet objet odieux,
Qui reproche ton crime et ta vie à  mes yeux.

DON RODRIGUE
Regarde-le plutôt pour exciter ta haine,
Pour croître ta colère, et pour hâter ma peine.

CHIMÉNE
Il est teint de mon sang.

DON RODRIGUE
Plonge-le dans le mien,
Et fais-lui perdre ainsi la teinture du tien.

CHIMÉNE
Ah ! quelle cruauté, qui tout en un jour tue
Le père par le fer, la fille par la vue !
ôte-moi cet objet, je ne le puis souffrir :
Tu veux que je t'écoute, et tu me fais mourir !

DON RODRIGUE
Je fais ce que tu veux, mais sans quitter l'envie
De finir par tes mains ma déplorable vie ;
Car enfin n'attends pas de mon affection
Un lâche repentir d'une bonne action.
L'irréparable effet d'une chaleur trop prompte
Déshonorait mon père, et me couvrait de honte.
Tu sais comme un soufflet touche un homme de coeur
J'avais part à  l'affront, j'en ai cherché l'auteur :
Je l'ai vu, j'ai vengé mon honneur et mon père ;
Je le ferais encore si j'avais à  le faire.
Ce n'est pas qu'en effet, contre mon père et moi,
Ma flamme assez longtemps n'ait combattu pour toi :
Juge de son pouvoir : dans une telle offense
J'ai pu délibérer si j'en prendrais vengeance.
Réduit à  te déplaire, ou souffrir un affront,
J'ai pensé qu'à  son tour mon bras était trop prompt,
Je me suis accusé de trop de violence ;
Et ta beauté, sans doute, emportait la balance,
À moins que d'opposer à  tes plus forts appas
Qu'un homme sans honneur ne te méritait pas ;
Que malgré cette part que j'avais en ton âme,
Qui m'aima généreux me haïrait infâme ;
Qu'écouter ton amour obéir à  sa voix,
C'était m'en rendre indigne et diffamer ton choix.
Je te le dis encore, et, quoique j'en soupire, _
Jusqu'au dernier soupir je veux bien le redire :
Je t'ai fait une offense, et j'ai dû m'y porter
Pour effacer ma honte, et pour te mériter ;
Mais, quitte envers l'honneur et quitte envers mon père,
C'est maintenant à  toi que je viens satisfaire :
C'est pour t'offrir mon sang qu'en ce lieu tu me vois.
J'ai fait ce que j'ai dû, je fais ce que je dois.
Je sais qu'un père mort t'arme contre mon crime ;
Je ne t'ai pas voulu dérober ta victime :
Immole avec courage au sang qu'il a perdu
Celui qui met sa gloire à  l'avoir répandu.

CHIMÉNE
Ah ! Rodrigue ! il est vrai, quoique ton ennemie,
Je ne puis te blâmer d'avoir fui l'infamie ;
Et, de quelque façon qu'éclatent mes douleurs,
Je ne t'accuse point, je pleure mes malheurs.
Je sais ce que l'honneur, après un tel outrage,
Demandait à  l'ardeur d'un généreux courage :
Tu n'as fait le devoir que d'un homme de bien ;
Mais aussi, le faisant, tu m'as appris le mien.
Ta funeste valeur m'instruit par ta victoire ;
Elle a vengé ton père et soutenu ta gloire :
Même soin me regarde, et j'ai, pour m'affliger
Ma gloire à  soutenir, et mon père à  venger Hélas !
ton intérêt ici me désespère.
Si quelque autre malheur m'avait ravi mon père,
Mon âme aurait trouvé dans le bien de te voir
L'unique allégement qu'elle eût pu recevoir ;
Et contre ma douleur j'aurais senti des charmes,
Quand une main si chère eût essuyé mes larmes.
Mais il me faut te perdre après l'avoir perdu ;
Cet effort sur ma flamme à  mon honneur est dû ;
Et cet affreux devoir dont l'ordre m'assassine,
Me force à  travailler moi-même à  ta ruine.
Car enfin n'attends pas de mon affection .
De lâches sentiments pour ta punition.
De quoi qu'en ta faveur notre amour m'entretienne,
Ma générosité doit répondre à  la tienne :
Tu t'es, en m'offensant, montré digne de moi ;
Je me dois, par ta mort, montrer digne de toi.

DON RODRIGUE
Ne diffère donc plus ce que l'honneur t'ordonne :
Il demande ma tête, et je te l'abandonne ;
Fais-en un sacrifice à  ce noble intérêt,
Le coup m'en sera doux, aussi bien que l'arrêt.
Attendre après mon crime une lente justice,
C'est reculer ta gloire autant que mon supplice.
Je mourrai trop heureux mourant d'un coup si beau.

CHIMÉNE
Va, je suis ta partie, et non pas ton bourreau.
Si tu m'offres ta tête, est-ce à  moi de la prendre ?
Je la dois attaquer mais tu dois la défendre ;
DON RODRIGUE
De quoi qu'en ma faveur notre amour t'entretienne,
Ta générosité doit répondre à  la mienne ;
Et pour venger un père emprunter d'autres bras,
Ma Chiméne, crois-moi, c'est n'y répondre pas :
Ma main seule du mien a su venger l'offense,
Ta main seule du tien doit prendre la vengeance.

CHIMÉNE
Cruel ! à  quel propos sur ce point t'obstiner ?
Tu t'es vengé sans aide, et tu m'en veux donner !
Je suivrai ton exemple, et j'ai trop de courage
Pour souffrir qu'avec toi ma gloire se partage.
Mon père et mon honneur ne veulent rien devoir
Aux traits de ton amour ni de ton désespoir.

DON RODRIGUE
Rigoureux point d'honneur ! hélas ! quoi que je fasse,
Ne pourrai-je à  la fin obtenir cette grâce ?
Au nom d'un père mort, ou de notre amitié,
Punis-moi par vengeance, ou du moins par pitié.
Ton malheureux amant aura bien moins de peine
À mourir par ta main qu'à  vivre avec ta haine.

CHIMÉNE
Va, je ne te hais point."

_________________
There is no room for '2' in the world of 1's and 0's, no place for 'mayhap' in a house of trues and falses,
and no 'green with envy' in a black and white world.


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