(Merci pour les commentaires, ça me va droit au coeur ! )
De tous temps, les yeux rouges symbolisèrent le mal, les ténèbres et la mort. C'était le signe du Démon, les flammes de l'Enfer, la couleur du sang, de la pierre philosophale, des sabrolasers Siths, le rougeoiement impie des messes les plus noires. Quiconque dardait sur autrui un pareil regard était à l'évidence un émissaire du Malin ou assimilé, selon l'époque ou la dimension en cause. Terminator lui-même était doté de caméras émettant une lumière rouge en lieu et place des yeux, et le tristement réputé Lord Voldemort perdit grandement en charisme quand, dans l'adaptation cinématographique des aventures de sa victime la plus célèbre, il fut décidé qu'il porterait des lentilles de contact noires, des yeux écarlates effrayant trop facilement les petits enfants.
Naturellement, une pareille généralisation agaçait fort les exceptions telles que les albinos, les personnes fraîchement éborgnées et les lapins blancs.
Euh, pour les lapins blancs, laissez tomber, en fait, il était prouvé cinématographiquement, également, qu'il s'agissait de créatures du démon. Décidément, le grand écran nous apporte toutes les preuves que les yeux rouges sont le mal.
Ah oui, et les albinos sont diaboliques aussi, voyez Kaoru.
Ah, et les personnes fraîchement éborgnées ont dû chercher les ennuis, elles sont donc forcément maléfiques.
De toute façon, ceci nous éloigne du sujet et de notre histoire, laquelle est peu de chose, mais compte quand même beaucoup. Notons donc que Raphael avait les yeux rouges depuis son infection par Soul Edge, signe de ce qui aurait été son tourment intérieur s'il n'avait pas d'ores et déjà pris fait et cause pour la mort et la destruction. Il n'y avait nulle lutte, pas de conflit aux proportions dantesques : l'épée démoniaque voulait tuer et il ne voyait aucune raison de ne pas se plier à ses exigences.
Sauf quand c'était sa maison.
Il tenta vainement d'arrêter la lame qui achevait de ravager la façade. Depuis qu'elle avait pulvérisé Kilik, la Soul Edge n'avait jamais été aussi vive. Et Raphael rencontrait à présent un problème inédit : l'arme préférait démolir de fond en comble sa somptueuse demeure plutôt que de s'attaquer à Amy !
- Euh... Raphy ? Ca va ?
Raphael ne répondit pas et tenta de dégager l'épée de la pierre. N'étant en rien comparable à Excalibur et encore moins à Soul Calibur, la Soul Edge se laissa vite partir, mais seulement pour s'enfoncer dans un autre mur, plus précisément dans un tableau de belle facture et de grand prix représentant un ancêtre de la famille.
Le comportement pour le moins erratique et suspect de son père adoptif poussa Amy à reculer. Il tenta vainement de retenir l'épée quand elle démolit une partie du parquet.
- Je... vaincrai... je... t'aurai... ma petite... rugit-il.
Amy applaudit des deux mains, convaincue de l'héroïsme de la résistance qu'opposait sans nul doute Raphael à l'épée maléfique. Cette dévastation ne pouvait être que le fruit d'une lutte, d'un conflit aux proportions dantesques : l'épée démoniaque voulait tuer et le jeune homme refusait avec fermeté de se plier à ses exigences.
- Raaah ! Saloperie !
Quand Raphael sauta au plafond, explosant net un lustre de cristal, Amy sauta de joie.
C'était avant qu'elle ne soit jetée en arrière par un bras musclé.
Un homme se dressait à présent devant elle, protecteur et rigide. Le vent, passant à travers les brèches de l'édifice fracassé de toutes parts, faisait claquer sa cape pourpre, et la bordure dorée de son tricorne noir étincelait au soleil du matin.
La Soul Edge cessa de fracasser les chaises finement ouvragées et se dressa dans l'air, avant de vibrer comme le museau d'un chien reniflant l'odeur de son maître.
Raphael, pas davantage maître de l'épée qu'à son habitude, proféra entre ses dents :
- Toi... comment as-tu retrouvé ma trace ? Pourquoi as-tu quitté ton navire maudit ? Combien de cadavres as-tu encore laissé sur ton chemin ?
Amy se précipita vers Raphael qui brandit haut l'épée, sans doute pour l'accueillir dans ses bras, mais la jeune fille fut saisie par le col. Le pirate la ramena contre lui. Une de ses mains atterrit sur le torse musclé de l'inconnu ; elle la retira vite, effrayée et candide.
- Méchant monsieur ! cria-t-elle, se débattant. Méchant monsieur ! Méchant monsieur !
- J'en ai à peine tué cinquante, lança l'intrus à Raphael sans tenir compte d'Amy. Et toi ? Quand me rendras-tu mon bien ?
- Si on faisait un échange ? proposa Raphael. Tu me lances Amy, et après, je te rends Soul Edge.
- C'est ça, et la marmotte, elle met le petit gâteau dans le plateau du cuisinier royal...
Amy tenta une fois de plus d'échapper au bras du pirate. Peine perdue. Désespérée, elle leva les yeux vers son visage... pour découvrir l'identité de son sauveur.
- Père Noël ! s'exclama-t-elle.
- Ho ho ! fit le Père Noël. On dirait qu'il y a comme un malentendu...
- Il s'appelle Cervantès, signala Raphael.
- Je ne parlais pas de ça, imbécile. Je parlais du fait que cette fille semble croire que tu veux la sauver... alors que tu ne rêves que de la souledgiser à mort.
- Mais... mais... c'est tout à fait faux ! s'offusqua Raphael.
- Cesse de te mentir à toi-même, regarde, ton épée est déjà dressée...
- Mais !
- Ecoute, j'ai rien contre ces pulsions, fit Cervantès. Moi aussi, j'ai souledgisé plein de monde dans ma folle jeunesse. Des filles comme des garçons, je ne pensais qu'à ça...
- Mais !
- Seulement... tu ne crois pas qu'elle est encore un peu jeune, celle-là ?
Amy cilla.
- C'est vrai, ce qu'il dit ? fit-elle.
- C'est tout à fait faux, rétorqua Raphael avec une sincérité qui fut gâchée par un mouvement particulièrement violent de Soul Edge.
- Peu importe, il est l'heure de notre duel, rugit Cervantès en levant un sabre de corsaire. En garde !
Amy perdit toutes ses illusions au sujet de la bonté de son père adoptif quand Raphael éclata d'un rire diabolique. Elle ignorait où il avait pris des cours de ricanements, mais ceux-ci étaient particulièrement machiavéliques et ils se répercutèrent dans tout ce qui restait du manoir. C'était le nec plus ultra des éclats de rire maléfiques, et elle se rendit enfin compte que ses yeux étaient rouges, marque évidente de la possession par le Mal.
- Nous verrons cela... plus tard ! déclara Raphael. Au paroxysme de l'horreur et de la sainte démence... je reviendrai vers toi. Je te suivrai, où tu iras j'irai, et ensemble, nous nous lancerons dans cette ultime bataille. Mais comprends-le, tu n'es pas de taille à m'affronter et d'autres affaires m'attendent, à commencer par la conquête du monde.
Le majordome familial apparut à la droite de Raphael, un fragment de l'arme organique incrusté dans le front.
- Aussi je vais vous laisser face à mon fidèle serviteur. Adieu, ce fut bref mais intense.
Raphael quitta le manoir dévasté sur un nouvel éclat de rire, et Cervantès parut un instant frappé par une profonde déprime. Il se ressaisit et lâcha Amy avant de s'avancer vers le nouvel ennemi.