Arthur Rimbaud... Il court encore, n'est-ce pas ? J'espère bien. Qui de nous ne court pas ? C'est là le problème de la perception de tous nos contemporains à son égard. Est-il si différent de nous ? Y a-t-il dans sa poésie quelque chose de divin ? D'incompréhensible ? D'insensible ? D'étranger ? Rien de tout cela, ou Rimbaud n'est pas Rimbaud mais votre fantasme insaisissable. Insaisissable, parlons-en. C'est ainsi que tous le disent. Suis-je saisissable ? Est-il saisissable, lui là , que je connais depuis mon enfance, dont j'anticipe toute les réactions, dont je perçois toutes les impressions avec une similitude non commune ? Est-il plus saisissable que celui que je ne connais pas, qui s'entoure (penser « que j'entoure ») d'un halo de mystère et de fausses pistes, et qui me fait douter ?
Aucun de nous n'est saisissable, qu'on se le dise. S'il faut accepter l'Autre, s'il faut accepter que de chacun de nous l'infini s'exprime dans le fini, avec la douleur d'une distension perpétuelle, alors il faut aussi accepter qu'on ne peut saisir en l'autre que sa coquille, que son enveloppe déjà morte, que la trace éphémère de sa semelle de vent, et que l'être, lui, dans toute son identité, s'enfuit encore, nous et eux. Il en est ainsi de nous et de Rimbaud. L'on s'enfuit à toutes jambes. Mais lui le fait comme par obsession, par nature, et il le fait tellement plus vite que nous qu'en cela il nous est exceptionnel. Tout artiste est dans l'excès, et lui est dans l'excès de notre nature la plus profonde, et c'est pour cette raison qu'il y a en chacun de nous un Rimbaud mais qu'aucun de nous ne parviendra jamais à devenir Rimbaud.
Sur les pas de sa vie, on découvre sa vie, on découvre son intemporalité, sa fugacité et son deuil. Il faut lire Rimbaud pour véritablement lire, faut-il ressentir Rimbaud pour véritablement vivre ? C'est bien lui qui a fait le chemin à nous, qui s'est imposé, et qui nous a finalement enchantés, bien au-delà de son éternelle méchanceté, de son caractère rebelle, de tout cela qui lutte quand le reste entraîne sans concession. Là où tous les pédants de nos jours décortiquent sans remords (plutôt sans esprit), est-il vraiment un homme qui le fasse de façon artistique ? L'on voit certes tout ce côté alléchant de l'homme libre, l'homme s'entêtant à adorer affreusement la liberté libre (il y a dans cette phrase tout ce que le poète rimbaldien doit, et tout poète est un peu rimbaldien), celui qui « excite » et permet d'oublier toute les frustrations, mais parle-t-on vraiment de ce qu'on a ressenti à la lecture du bateau ivre, du dormeur du val et de toute cette période néo-parnassienne (ou plutôt post-néo-parnassienne, mais l'esprit était déjà là ) ?
L'on n'en parle plus, comme si l'artiste d'aujourd'hui n'était que concepts, éloquence puérile et assembleur de puzzles (créent par le passé). Moi, je préfère de loin sa sensibilité à son caractère, la force de sa méchanceté à sa méchanceté, la richesse de ses vers à leur énergie. Qu'importe qu'il ait choisit d'exprimer tout cela plus souvent par la moquerie et par la haine que par une assimilée-niaise douceur ? Toute ses pièces ne sont pas parodiques (les Illuminations, ah, les Illuminations !) mais toutes sont sublimes. Il est certain qu'après avoir lu un alexandrin Rimbaldien, presque tous les autres semblent fades (tous ? Non, un petit recueil retranché du XIXème siècle résiste encore, à coup de Fleurs, à ce Bien-là ). Et alors ? Il faut là reconnaître un poète plus génial dans la manière que tout les autres, voilà tout. Mais n'y a-t-il que le vers en poésie pour emporter le lecteur ? Ou y a-t-il aussi toute la substance, moins facilement définissable, qui réside en le tout, là où la forme n'est qu'une partie.
Si je trouve cette substance moins riche chez Rimbaud que chez d'autres grands poètes, c'est peut-être que par le génie de ses vers, Rimbaud n'a pas eu besoin de se créer un génie de la poésie aussi fantastique que certains de ses prédécesseurs. C'est peut-être là tout ce que je lui reproche. Lui qui aspirait autant à la renommée qu'à la « gloire » (dans l'univers people d'aujourd'hui, voilà un mot qui paraît bien inapproprié), lui qui surprenait tous les grands poètes de l'époque (quitte à les dégoûter), n'a-t-il pas aussi été le sujet de reproches portant sur d'autres sujets que sa personnalité bruyante et accablante ? Il est arrivé comme un chien fou dans un jeu de quilles, les a toutes mises à terre, mais en a t'il donné une à présenter debout, comme nouvelle fondation à un autre jeu de quilles ? Aucunement. Certes, il y a de la personnalité dans sa poésie (tout homme courant après la liberté se forge naturellement une personnalité), mais, mis a part dans le bateau ivre, pièce particulièrement travaillée, peut-on sentir l'âme Rimbaldienne, essentiellement reconnaissable, comme l'est l'âme Baudelairienne ou l'âme Lamartinienne ? Jamais.
Il en résulte que quiconque prenant Rimbaud comme modèle est voué soit à l'imiter soit à brasser du vent. Rimbaud n'a produit aucune idée tangible (pas eu le temps ?). Il nous a appris à écrire de la poésie, pas à en faire. Il nous a appris à vivre, pas à créer. C'est ainsi que l'après-Rimbaud est aussi chaotique, que l'homme est rarement saisi mais que le poète ne l'est jamais. C'est ainsi que le non-sens de la vie est exprimé naturellement. C'est ainsi que le vide se crée, celui non fertile qui ne bouge plus ; que l'homme perçoit son mouvement interne seulement en cessant de bouger (tout est question de relativité). C'est ainsi qu'il va falloir relancer la poésie quand Rimbaud croyait l'avoir dynamisé. Je remercie de tout mon coeur Rimbaud, non pas de s'être enfui, mais de s'en être rendu compte, et je rejette la faute à tout ses suivants qui n'ont pas su voir, car trop occupés à regarder. C'est à eux que l'on doit tout ce ramassis d'inepties qui fait qu'on croit aujourd'hui que la poésie s'écrit comme une lettre au père Noël.
_________________ "Hélas! nous sommes maintenant arrivés dans le réel, quant à ce qui regarde la tarentule, et, quoique l'on pourrait mettre un point d'exclamation à la fin de chaque phrase, ce n'est peut-être pas une raison pour s'en dispenser !"
|