Salut à tous,
Je mets ça ici pour l'instant, sachant qu'il y a des lecteurs de Monsieur le Chien qui traînent (je suis moi-même plutôt fan) ; je n'exclus pas d'en faire par la suite un début de blog (oh mon dieu, un
blog, quelle horreur), car les vues récemment exposées par Monsieur le Chien sur l'histoire de France me donnent fortement envie de réagir (et je doute que le Comité de Vigilance face aux Usages publics de l'Histoire,
http://cvuh.blogspot.fr/ , se penche sur la question).
D'abord, liste des planches en question :
http://www.monsieur-le-chien.fr/index.php?planche=522http://www.monsieur-le-chien.fr/index.php?planche=523http://www.monsieur-le-chien.fr/index.php?planche=525http://www.monsieur-le-chien.fr/index.php?planche=526http://www.monsieur-le-chien.fr/index.php?planche=528http://www.monsieur-le-chien.fr/index.php?planche=529http://www.monsieur-le-chien.fr/index.php?planche=530http://www.monsieur-le-chien.fr/index.php?planche=531http://www.monsieur-le-chien.fr/index.php?planche=532http://www.monsieur-le-chien.fr/index.php?planche=533http://www.monsieur-le-chien.fr/index.php?planche=535http://www.monsieur-le-chien.fr/index.php?planche=536et il y en a apparemment encore quelques unes à venir.
Pour résumer : l'histoire de France, dans le milieu de l'éducation nationale comme dans le milieu de l'édition, est manipulée par les gauchistes. Et en général, ces sales gauchistes cherchent à donner à tout le monde honte d'être français et à faire du négationnisme à grande échelle.
Pour le milieu de l'édition, j'en sais rien. Mais pour le milieu de l'éducation nationale, je ris doucement. Monsieur le Chien rapporte deux cas (
http://www.monsieur-le-chien.fr/index.php?planche=523 et
http://www.monsieur-le-chien.fr/index.php?planche=525) anecdotiques de "profs gauchistes antifrançais". Dans le second cas, c'est effectivement scandaleux et très con de la part de la prof portraiturée (si le portrait en question est juste, mais admettons que oui, y'a pas de raison). Le problème, c'est que pour un Monsieur le Chien qui nous racontera les frasques de sa prof admiratrice du Viet Minh, d'autres pourront raconter leur propres anecdotes sur la déformation de l'histoire dans l'autre sens...
Ainsi, moi qui vous parle, je me souviens encore de ma Journée d'Appel à la Préparation à la Défense (c'était il y a... quelque chose comme huit ans) où les vidéos conçues et montrées par l'armée aux jeunes "préparés" (donc un discours plus officiel et universel que celui d'une prof isolée...) présentaient, elles, un récit qui lissait les choses... dans l'autre sens. Là où Monsieur le Chien accuse le milieu de l'édition, et la société en général, de ne pas vouloir parler des massacres perpétrés par le FLN par exemple (
http://www.monsieur-le-chien.fr/index.php?planche=536 ), ces vidéos présentaient les première et deuxième guerre mondiale en des termes uniformément positifs pour l'armée française (pas un mot, par exemple, sur ces mutins de 1917 auxquels Monsieur le Chien accuserait sans doute les "gauchistes" de trop prêter attention). Elles glissaient surtout admirablement sur l'Indochine et l'Algérie en ces termes : "l'armée française combattit ensuite en Indochine et en Algérie". Je ne m'attends bien sûr pas pour autant à ce que l'armée française émette le même discours (con et faux) que la prof de Monsieur le Chien sur "la glorieuse armée populaire pulvérisant les lâches colonialistes". Et je suis conscient qu'en quelque chose comme 5 minutes - c'est le temps que devait durer cette séquence "historique", environ - il est difficile de présenter un discours nuancé et complet sur les quatre guerres susdites, qui sont des sujets très complexes. Mais, quand on commence à parler histoire, il faut assumer, et essayer - au moins essayer ! - d'être plus ou moins neutre, objectif, nuancé et complet... sans quoi on risque de se transformer en propagandiste.
C'est hélas ce que fait Monsieur le Chien en réaction à ce qu'il perçoit comme étant une propagande de gauche et anti-nationaliste trop présente. Triste destin pour quelqu'un qui a lu "des kilos de livres d'histoire" et s'est autant intéressé à ces questions. Il est même probable qu'il a plus lu et sait plus de choses sur ces sujets que moi. Je vais pourtant tenter une déconstruction de son propos, et de profiter de son discours sur certains points. Pour ceux que ça intéresse, un Long Monologue arrive... pour ceux que ça fait chier, je vous aurai prévenus.
De la seconde guerre mondiale, de la collaboration et de la complexité des groupes et individusD'abord, la question du "courage des français pendant la seconde guerre mondiale" (
http://www.monsieur-le-chien.fr/index.php?planche=523 ) et des "tendances des français à la collaboration" (
http://www.monsieur-le-chien.fr/index.php?planche=525 ). Pour un historien - ça peut paraître évident mais disons-le quand même - poser de telles questions n'a pas de sens. "Courageux" n'est pas un terme d'historien, qui n'a pas vocation à distribuer des bons ou mauvais points a posteriori à la manière d'un arbitre du concours de bite géant que seraient les conflits humains à travers l'histoire. Et "les Français" est une catégorie bien trop grossière, qui, pour l'époque de la seconde guerre mondiale comme pour aujourd'hui, cache une diversité énorme et des oppositions nombreuses. Même
un comique de music hall comme Maurice Chevalier le chantait, à l'époque, même si son propos, unité nationale oblige, était qu'il fallait oublier ces divisions... Voeu pieux qui ne se réalisa pas, et qui, étant donné le régime de Vichy qui suivit, sonne très ironiquement. Sans parler de la division entre résistants, collaborationistes, et "entre deux", même au sein des deux premiers camps susmentionnés, c'est le bordel.
Parmi les résistants, on trouve entre autres :
- ceux qui petit à petit deviendront les "gaullistes" ;
- on trouve des gens issus de l'extrême-droite de l'époque, comme la susdite Action Française (par exemple,
Henri d'Astier de la Vigerie ou Honoré d'Estienne d'Orves, le "premier martyr de la France libre"), alors que le fondateur du mouvement, Charles Maurras, s'était rallié à Vichy ;
- on trouve des communistes, surtout après l'offensive allemande contre l'URSS mais déjà avant, chose que Monsieur le Chien semble peu enclin à considérer lorsqu'il traite
L'Humanité de journal collaborationniste,
http://www.monsieur-le-chien.fr/index.php?planche=530 - la relation du PCF avec les autorités allemandes avant juin 1941 étant loin d'être "pure", mais complexe, cf. pour débuter un lien aussi bateau que
Wikipédia... La simple consultation de cette page eût évité à Monsieur le Chien de dire que des résistants communistes il n'y en a que "après 1941" (
http://www.monsieur-le-chien.fr/index.php?planche=532 ).
Parmi les collaborationistes, on trouve aussi bien, là aussi, des élus issus du PCF que des membres d'Action Française. On trouve des contradictions individuelles, comme Joseph Darnand,
germanophobe, patriote, héros de la campagne de 1940 contre l'envahisseur allemand, et pourtant chef effectif et fondateur de la Milice française, groupe collaborationniste par excellence, qui servit d'auxiliaire à la
Gestapo dans ses opérations contre les résistants et les juifs (Darnand sera fait officier SS pour ses services).
Et entre-deux, bien sûr, une majorité de français ni vraiment résistants, ni vraiment collaborationnistes. Bien malin qui pourra dire ce qu'ils en pensaient, tous, et bien con qui osera dire qu'ils ont été "lâches"... ou à l'inverse "courageux".
Si je m'étends ainsi sur la seconde guerre mondiale, c'est d'abord parce que c'est évidemment une source majeure de "problèmes mémoriels" et sans doute la principale raison pour laquelle il peut y avoir, en France, un rapport difficile au passé (même si je pense que Monsieur le Chien exagère grandement ce phénomène). Après la guerre, le récit gaulliste et communiste insistait sur la résistance : toute la France était résistante (cf.
le discours de de Gaulle à la libération de Paris, fondateur en la matière : "Paris libéré [...] avec le concours de la France toute entière, c'est à dire de la France qui se bat, c'est à dire de la seule France, de la vraie France, de la France éternelle"). Le principal pavé dans la mare de ce récit fut le grand, l'immense, le allez-le-regarder-tout-de-suite-sinon-j'vous-bute film
Le Chagrin et la pitié (1969), qui présentait - mais bien plus intelligemment que ce que Monsieur le Chien peut décrire de la situation actuelle - le discours inverse, insistant sur la collaboration au pire, et l'indifférence au mieux, de la plupart des Français. Autre étape majeure, le livre
Le syndrome de Vichy de l'historien Henri Rousso (encore un dangereux gauchiste ?) décrivant, en 1987, le rapport difficile de la société française avec son passé collaborationniste. Au total, la seconde guerre mondiale, avec les innombrables commémorations qu'elle suscite, reste un sujet difficile à appréhender, et si je puis me permettre un avis personnel, d'autant plus difficile qu'il y a cette orgie de discours, commémorations et informations sur icelle guerre.
Mais aussi et surtout, c'est pour souligner combien les catégories et les a-priori sont casse-gueules. Prenez un Français de 1940 : impossible de prédire ce qu'il fera à partir de cette seule donnée, "français". Prenez un Français communiste, ou membre de l'Action Française : on peut hasarder des probabilités, mais ça reste un exercice à peu près aussi scientifique que l'astrologie. Et même si on réduit l'échantillon à un seul individu, on trouve bien souvent des parcours très complexes qu'il est présomptueux et con de réduire à "gauchiste", "héros", "résistant", "collabo", "courageux", "lâche". Hélas, Monsieur le Chien, qui n'hésite pas à agonir ceux qui (selon lui) mettent tous les Poilus dans un même sac (
http://www.monsieur-le-chien.fr/index.php?planche=528 ), commet le même genre de bêtise dans la même page vis à vis de "l'extrême gauche", ce tas d'abrutis antifrançais qui ne s'intéresserait qu'à la Commune et pas à Suffren (quelle honte !
Suffren, kwa !) et passeraient leur temps à soutenir les sales terroristes d'Action Directe (
http://www.monsieur-le-chien.fr/index.php?planche=535 ). Ayant moi-même appartenu à l'extrême gauche, me sentant encore de grandes affinités avec une partie de cette famille politique : oui, certains sont comme ça à l'extrême gauche, il y a des cons partout. Mais non, pas plus qu'un Français n'est automatiquement collaborationniste, un extrêmegauchiste n'est forcément un négationniste idiot.
L'histoire selon Monsieur le Chien : neutre, vraiment ?Face à cette extrême gauche qui ne veut parler que de communards, de Charonne et de viet minh, Monsieur le Chien nous présente aussi "ses" sujets, ce dont il voudrait qu'on parle. A savoir : le général Bigeard (
http://www.monsieur-le-chien.fr/index.php?planche=523 et
http://www.monsieur-le-chien.fr/index.php?planche=525 ), Austerlitz (
http://www.monsieur-le-chien.fr/index.php?planche=526 ), les Hmongs (même page), le général Leclerc (
http://www.monsieur-le-chien.fr/index.php?planche=532 ), Suffren et le 11 novembre (
http://www.monsieur-le-chien.fr/index.php?planche=535 ), et les atrocités commises par le FLN (
http://www.monsieur-le-chien.fr/index.php?planche=536 ). C'est à dire en résumé ? L'histoire militaire française traditionnelle, celle des "grandes heures" de l'armée française, agrémentée de ce qui permet d'émettre un contre-discours sur les guerres d'Indochine et d'Algérie. En soi, cela n'a rien de sale. L'histoire militaire française est une histoire comme une autre. Austerlitz est un sujet comme un autre. Et les contre-discours, honnêtement utilisés, permettent de nuancer la description que l'on fait d'un événement historique.
Mais là est tout le problème : "un sujet comme un autre". Quelqu'un qui s'intéresse honnêtement à l'histoire ne se limite pas à ce qui l'arrange, à ce qui plaît à ses petits sentiments ou à son enthousiasme personnel pour les héros de la France, pour l'avant-garde de la Révolution, pour les grognards de Napoléon ou pour l'usage de l'araire par les paysans du Berry de 1370 à 1415. Sans quoi, on ne fait pas de l'histoire, mais de la pure passion, au même niveau que la fangirl postant à longueur d'internet "tro bi1 Twilight!" et "Edward JTM!!!!!". Ce qui est exactement ce que Monsieur le Chien est en train de faire : "Bigeard JTM!!!!!". C'est trop facile de voir midi à sa porte, de se décrire (comme tant d'autres) comme une victime et d'être
butthurt in the first degree parce que soi-disant France 2 passe trop de trucs sur la guerre d'Algérie. Là encore, de l'autre côté de la barrière, un communiste aurait beau jeu de geindre lui aussi, sur tant de choses, par exemple l'absence de l'URSS lors des cérémonies du 6 juin ou du 8 mai, où l'on ne voit généralement que les drapeaux français, anglais, et américains (techniquement, beaucoup d'autres pays pourraient aussi se plaindre...
les affiches de l'époque étaient plus fiables).
C'est pour ça qu'en tant qu'historien, bien que relativement peu intéressé par l'Indochine et par l'armée française, je regrette ce que Monsieur le Chien raconte (
http://www.monsieur-le-chien.fr/index.php?planche=531 ) sur l'impasse rencontrée par son projet d'éditer "un témoignage de vétéran" où l'on se contenterait "d'écouter ce qu'il a à dire". Sentiment louable. Auriez-vous, cher Monsieur le Chien, eu le même engouement à publier n'importe quel autre témoignage historique ? Car pour l'historien tout témoignage a une valeur, celui du vétéran français et celui du combattant viet cong, celui de Bigeard et celui d'un guerrier aztèque du XIVème siècle. Inversement, sélectionner ce que l'on veut publier, ceux dont on veut "écouter ce qu'ils ont à dire", ce n'est pas neutre. Et je n'ai hélas que peu de doutes sur les sentiments qui animaient ici Monsieur le Chien, derrière sa neutralité affichée, étant donné que l'Indochine semble être pour lui une source d'importante émotion (protip : ne faites pas l'histoire de ce qui vous émeut, ça vous évite de faire des conneries).
Et je dirais même plus : l'historien devrait, idéalement (c'est hélas une tâche impossible pour un tas de raisons) se faire le gardien de la biodiversité historique. Favoriser les sujets dont on parle le moins, les témoignages dont on manque le plus. Austerlitz ? Leclerc ? Je n'ai absolument rien contre l'un ou l'autre mais ils ne se qualifient certainement pas comme "sujets historiques en voie de disparition". Chaque fois que j'entre dans un Relay (non, ceci n'est pas une pub) en gare, je tombe dans le rayon histoire sur une floppée de magazines sur l'histoire militaire napoléonienne ("
Gloire & Empire", par exemple). Cher Monsieur le Chien, si vous cherchez les martyrs oubliés de l'histoire que personne n'écoute, il en est d'autres autrement plus convaincants que vous et le général Leclerc.
Il y aurait bien d'autres choses à dire tant les quelques pages pondues par Monsieur le Chien sont riches en conn... ahem, éléments contestables. Mais pour l'instant je termine sur ces bonnes (?) paroles. A vous les studios...