Jalk, voir dans cet univers un terrain de jeu, je considère que c'est une position assez cynique en soi. Pourquoi ? Hé bien parce que c'est méconnaître les aspirations du premier film, extrêmement sérieuses et maîtrisées ! Aussi somnifère qu'il puisse paraître parfois (en tout cas, à mes yeux, il l'est
), "Alien" est une ode à la science-fiction la plus âpre et la plus réaliste.
Au départ, un contexte pas fantasmé pour un sou : celui de l'exploitation des ressources du cosmos. De ce cadre crédible, très Asimovien, découle une vision d'un futur lent, encrassé dans la bureaucratie, avec des vaisseaux monumentaux mais dont une part minuscule, au final, constitue les quartiers de l'équipage, des engins pachydermiques, lourds, lents et sales qui cheminent avec peine dans l'espace. C'est dans ces conditions que quelques convoyeurs vont rencontrer un organisme, une entité, ou plutôt une
chose dont ils ne savent rien et ne sauront jamais rien, dont les limites du processus de colonisation biologique, ardues à éclaircir, ne leur seront jamais connues. À ces ennemis vides que sont la lenteur mortifère et le xénomorphe s'ajoute une troisième menace tout aussi impersonnelle, le conglomérat même qui emploie les personnages principaux.
Qu'est-ce qui, dans la démarche ou dans le résultat final, pouvait bien laisser supposer ce que la série était vouée à devenir, un espèce de bac à sable conceptuel où chacun s'amuse avec ses legos ?
Au-delà de la trahison directe des fondations amenées par le premier réalisateur et les autres génies aux commandes de la machine (c'est pas tous les jours que Moebius et Giger travaillent ensemble sur un même film !), les séquelles sont un rappel du mal premier de "Alien" : les déceptions artistiques. Le projet originel naquit des cendres de "Dune", qui devait quand même réunir David Lean, Salvador Dali, Mick Jagger, Orson Welles, David Carradine, Alain Delon, Gloria Swanson, Magma, Pink Floyd, Mike Oldfield, Dan O'Bannon, MÅ“bius, Chris Foss, Jodorowsky, Ridley Scott et Herbert lui-même.
Et si "Alien", malgré sa relative réussite à atteindre les objectifs planifiés, reste une insatisfaction pour certains des membres de son équipe, les chapitres suivants de la série gérée de main de banquier par un Hollywood très en forme atteindront des sommets à ce niveau !
Dès "AlienS", c'est H.R. Giger lui-même qui a été lésé, débouté qu'il fut de la conception graphique de la Reine Alien.
"Alien³", manipulé et remonté par les producteurs, fut pour David Fincher un traumatisme atroce, similaire à celui que vécut Lynch à l'occasion de "Dune", justement, et ne parlons pas de la disparition dans les limbes "Alien 3" alternatif, qui réussissait l'exploit de réunir les propos du 1 et du 2, qui cimentait la série et qui l'affranchissait de la figure de Ripley, qu'avait écrit Gibson.
Enfin, "Alien Resurrection" a vu le scénario de Joss Whedon défiguré par Jeunet et le studio, complices dans le massacre.
Toute l'histoire de cette saga n'est jalonnée que d'occasions manquées, de scénarios ignorés ou massacrés, d'acteurs mécontents, le tout sacrifié sur l'autel des délais et d'une Ellen Ripley devenue, avec le temps, le point d'ancrage de l'oeuvre. Celle qui était tout sauf un personnage central à l'époque du Nostromo est devenue l'emblème incontournable de la série de films.
Jalk a écrit:
Le film "effroi et déconcertation" laisse place, dans le deuxième volet, à de la baston hype pour continuer, avec le troisième volet, dans un truc bizarre entre les deux.
C'est un peu sévère, ventre-saint-dieu ! L'intention de "AlienS" est clairement de livrer un Viêt-nam dans l'espace, une sorte d'Apocalypse Now survolté. C'est le Viêt-nam version Cameron, et il lui faut forcément des mitraillettes futuristes, des monstres dans tous les coins et des robots géants. Il s'est servi de la franchise "Alien". Il l'a pour ainsi dire piratée, détournée. Cameron n'a jamais été très soigneux sur un plan scénaristique, et il ne s'en cache pas : ce qui compte pour lui, c'est la narration de l'instant, le grand spectacle et la satisfaction du spectateur.