Eltanin

Gemmell, c'est un peu quitte ou double. On a eu une "Légende" de sinistre mémoire et le magnifique "Lion de Macédoine", le pire comme le meilleur, et aucun moyen, à  première vue de faire la différence. Pile ou face. L'acheter ou bien le laisser là  ?
C'est ce que je me disais en considérant, avec la prudence qui convient à  l'approche d'un objet aussi imprévisible, le petit livre que je tenais dans la main, devant le tourniquet du kiosque d'aéroport d'où je l'avais extirpé.







Belle couverture, d'ailleurs, la plus belle que j'aie vu, personnellement, depuis celle de la version Livre de Poche de "L'Ange de l'Abîme". Une image riche en détails, à  la conception graphique soignée (ça c'est de l'armure, à  la fois élégante, agressive, fantaisiste et fonctionnelle), profonde, travaillée, et aux couleurs très bien équilibrée, sans parler d'un trait que personnellement, j'apprécie extrêmement, et d'une riche idée du "reflet" vaguement enrichie de celle des atouts de carte, et laquelle le dessinateur ne s'est pas arrêté. Composition dynamique, aussi... enfin bon, ça c'est de la couverture.

Quelle n'a pas été ma surprise de découvrir également que cette couverture était l'expression quasi parfaite du livre ! Pour une fois, pas de grande incohérence dans la représentation des personnages et de l'univers, et une image rusée qui dévoile à  la fois beaucoup et rien du tout...





La couverture originale, moyennement représentative, elle.



Six ans, cela fait maintenant six ans que les Chevaliers de la Gabala sont partis à  travers un sombre portail pour délivrer un monde parallèle des dangers qui le guettent. Ils ne sont jamais revenus.
Les choses ont bien changé. Le peuple des Nomades est pourchassé dans tout le pays ; on parle de purification de cette race inférieure. Le roi Ahak semble avoir perdu l'esprit, et s'est entouré de nouveaux Chevaliers, qui sont liés à  la magie du Rouge, faisceau occulte des désirs sans frein.
Le bien contre le mal, l'immortalité en question, les bons sentiments, les vieux magiciens léguant leur savoir, le forgeron brutal mais qui a un coeur d'or, aucun cliché ne nous est épargné. Mais comme à  son habitude, Gemmell les sublime, les transcende par une compréhension de ce à  quoi ils peuvent mener, par une croyance philosophique profonde et acérée du rôle et de la justesse de certaines figures. Rien n'est de trop dans ce monde aussi bien composé que la couverture de l'ouvrage.
On retrouve certaines marques de fabrique de l'auteur : la Source, tout d'abord, principe de création, existence bénéfique quasi surnaturelle, d'où découle la vie/magie, mais aussi et surtout, de manière générale, une tendance à  exposer les idées, à  les développer en un temps record avant de les boucler. Les zones d'ombre, Gemmell, ce n'est pas son truc. Non pas qu'il ne soit pas intéressé par le mystère et l'inconnu, mais il aime achever les arcs qu'il a lancé, et ne s'en prive pas, parfois de bien imprévisible manière. Une structure presque trop limpide, mais agréable à  suivre dans sa fluidité, d'autant plus qu'elle dépeint des évènements assez atroces, parfois, et qu'elle permet de suivre une multitude de personnages, une large galerie où, comme souvent, chaque caractère est dépeint avec humanité et précision. À ce titre, Agrain ou encore les Chevaliers Rouges resteront dans les mémoires.
Un très beau livre, vraiment, et un récit de fantasy qui se suffit à  lui-même, histoire unique plutôt que cycle cosmique, tout en ayant en soi une valeur de fresque, ce qui est toujours bon.





La jolie jaquette des éditions Mnémos.

_________________