L’avis ci-dessous est rempli de spoileranium enrichi. Si vous n’avez toujours pas pris connaissance de « Spider-man 3 », prière d’éviter cette zone dangereuse.
Une masse d'erreurs et d'approximations assez incalculable dans ce "Spider-man 3", à tel point que certains considèrent que c'est une chose voulue, que Raimi a conçu son long métrage comme une toile, reliant vaguement, par des fils trèèès minces et fragiles, diverses belles images. Voulu ou pas, le résultat est le même, n'en déplaise aux passionnés : c'est bâclé, scénarisé à l'arrache, à l'emporte-pièce. On ne parle pas ici de simplicité, mais bel et bien de conneries au plus beau sens du terme.
Comme d'autres, je vais essayer d'être exhaustif et de trier toute l'ivraie, il sera temps plus tard de parler du bon grain.
Petit passage en revue des écueils indubitables :
- « Z’avez commandé un symbiote à Pizza 12 ? » Le météore tombant pile au bon endroit pile au bon moment = Zéro pointé. Ce n’est en rien l’équivalent du traitement léger que l’on peut rencontrer dans l’Âge d’Argent : aussi vite emballé qu’elles soient, les origines des héros et des méchants y étaient encore un brin logiques. Un type peut tomber sur du sable radioactif ou une araignée également radioactive, ou passer dans un labo extraterrestre quand il est justement à la recherche d’un nouveau costume et tomber par erreur sur la prison d’un criminel spatial, ça s’appelle un accident. Un météore qui s’écrase à deux centimètres de la mobylette de notre blanc héros sans guère causer de dégâts, être remarqué par personne et laisser immédiatement échapper son passager, c’est de la plaisanterie.
- « En fait, c’est lui qui l’a tué ! » Le véritable assassin de l’oncle Ben que la police sort de son chapeau n’a aucunement été introduit en amont comme ç’aurait pu être fait dans le premier film, par exemple. Crime qui n’est là que pour légitimer la relative violence de Peter à l’égard de l’Homme-Sable.
- Le dédouanage final du crime ; oh mince alors, Marko a été bousculé par son complice au mauvais moment… de qui se moque-t-on ? Non seulement ces circonstances du meurtre transforment illico le personnage en innocent, mais elles enlèvent toute valeur au pardon de Peter. C’était sans doute inscrit au cahier des charges, comme tant d’autres choses : pas question de pardonner à un vrai assassin…
- Le centre de désintégration à ciel ouvert ne mérite pas que l’on s’étende sur la question.
- Notre bon professeur examine, potache, le symbiote extraterrestre, sans s'étonner plus que ça ni avertir personne.
- Nestor, ce héros. Mais c’est un festival ! Récapitulons, pour commencer, le majordome était au courant de tout depuis le début. C’était un peu l’Alfred du Gobelin. Pourquoi, pourquoi donc cette idée ridicule ? Non mais, vous imaginez le Gobelin s’en aller faire un ou deux vols à main armée, et Nestor de lui apporter son planeur, de lui recommander de mettre une petite laine parce qu’il fait un peu froid, de ne pas trop massacrer de passants aujourd’hui (il est chafouin, le bon Maître Osborn) ? Vous imaginez notre prestigieux maître d’hôtel, dans un coin de la pièce découverte par Harry à la fin de « Spider-man 2 », briquer l’armure verte meurtrière, polir les bombes-citrouilles ? Au-delà de la complicité dans les crimes les plus graves, Nestor aurait pu songer à s’enfuir, à la recherche d’un travail un peu moins dangereux, par exemple la chasse au grizzli à mains nues… Mais voilà , Nestor est fidèle, fidèle à tel point que sa loyauté ne vacille pas devant les exploits meurtriers de son premier maître et la course au suicide d’Osborn fils, et qu’il ne songerait jamais à déranger les délires de la dynastie Osborn face au miroir familial. Schizophrène de père en fils, là est sans doute la devise de l’altière lignée… Nestor attend donc le dernier moment pour l’ouvrir, et l’ébahissement (ou l’hilarité) du spectateur ne connaît plus de bornes : Nestor s’est chargé d’embaumer le corps, car bien sûr, c’était dans ses attributions, et au passage, il en a profité pour faire son travail de médecin légiste, soigneusement mesurer les plaies, et en conclure que de telles perforations n’ont pu être accomplies que par le planeur du Gobelin. Encore faut-il sauter à la conclusion qu’il énoncera avec contrition, et sans doute en retenant ses larmes de fou rire : « C’est indubitable, votre père s’est tué lui-même… ». Du reste, Harry Osborn se chargera dès la bobine suivante de démontrer que non, la preuve n’a rien d’une preuve, que l’on peut très bien être empalé sur son propre planeur sans l’avoir une seconde désiré, merci pour tout.
- Eddie Brock, étreint par la foi(les Américains appellent ça une épiphanie, mais chez nous, le terme ne s’emploie point ainsi), va suivre le conseil de Peter Parker et se recueillir à l’église. Bien sûr, il le fera à l’endroit et au moment où Spider-man passe par là , et décide que la collaboration avec le symbiote n’a pas été si fructueuse, en fin de compte, et qu’il est temps de rompre le CPE du petit alien noir.
- « La grue ? On s’en fout ! » L’histoire de grue folle, sortie de nulle part et ne menant nulle part, uniquement parce qu’il faut une menace bien ravageuse à ce moment précis et que les agendas des super-méchants précisent que là , ils sont pas disponibles, se conclut par une incroyable ABSENCE d’arrêt de la grue, déjà soulignée par bien des spectateurs. Comme quoi, dès que ça ne tourne plus autour de Spidey et des autres rôles-titres, on s’en fout, le monde n’existe plus, la Terre continue sans doute de tourner, et non seulement le film ne veut pas s’en préoccuper, mais coupe tout ce qui pourrait rappeler qu’il y a un monde réel autour… en flinguant au passage les enjeux qu’il vient d’amener, bien joué. Même symptôme qui avait déjà été observé dans « 300 » : une hache lancée à Léonidas, rasant de près le plumet de son casque, continuer à filer dans l’espace sans être aucunement suivie par la caméra, et nul ne sait ce qu’il en advient. Elle peut bien se planter dans la gorge d’un Spartiate derrière, et avoir été une menace effroyable au plan précédent, le réalisateur s’en fout, tout ce qui l’intéresse, c’est de se masturber sur la manière dont son héros s’en est si bien sorti, en espérant que le spectateur fera de même et oubliera ce genre d’éléments sacrifiés au rythme, jetés à la corbeille avant même d’être proprement bouclés. À ce niveau-là , ce n’est plus du bâclage, c’est vendre du vide en boîte.
Le symbiote pouvait venir de l'astronaute. Le fugitif pouvait s'infiltrer dans le centre de test justement parce que les flics n'iraient jamais l'y rechercher. Le professeur pouvait passer un marché, ou un chantage, avec Peter. Les révélations du majordome ne servent absolument à rien, et annulent toute la beauté du parcours intérieure du second Gobelin. Eddie pouvait suivre le Spider-man sombre, en quête de vengeance.
Etc, etc.
Aucune excuse, scénar’ de merde, à chier, au trou.
Facilités en pagaille :
- L’amnésie du second Gobelin.
- Le miroir des Gobelins.
- La mort du second Gobelin.
- La fille malade de l’Homme-Sable.
- Les sermons de Tante May.
- Divers seconds rôles réduits à des clopinettes.
Du domaine plus subjectif de la faute de goût, genre "On aime ou on déteste" :
- Le générique d'ouverture. En lieu et place des belles peintures du précédent opus, nous avons quelques extraits particulièrement pas icôniques.
- Venom. Nous avons affaire ici à un compromis entre le Venom et le Carnage originels, prenant à contre-pied l'Eddie Brock du comics au niveau moral ("J'aime être un méchant", alors que le Brock BD se considère comme un justicier), ce qui est entériné par son alliance avec l'Homme-Sable, en négatif parfait du traitement qu'il lui faisait subir dans la version papier. Faire de cet homme une méchante caricature de Peter Parker était bien trouvé. Le mettre au second plan à la fin du film, et ne dégager nulle violence de l’affrontement avec lui, était bien moins malin. La texture de l’épiderme se réduit à un ersatz anarchique du costume du Spider-man noir, allant jusqu’au bout de la démarche « Parker de pacotille » : Raimi sacrifie ici le plaisir des yeux qu’aurait fourni un aspect plus organique, crevassé ou fluide (Carnage, encore) à une vision symbolique. Ça a le mérite d’être clair : le réalisateur ne veut pas de Venom et en fait l’esclave de son propos caustique. Malheureusement, avant d’être un message, une histoire, c’est surtout des personnages… dommage d’oublier ça. Ne parlons pas de la bouche en fermeture éclair à laquelle on a droit en lieu et place de la mâchoire monstrueuse…
Mais avant d’être un film aux incohérences et facilités multiples, « Spider-man 3 » est d’abord un bijou de mise en scène, où les plans s’enchaînent impeccablement, où l’accompagnement sonore fusionne avec l’image, où les interprètes livrent sans interruption le meilleur d’eux-mêmes, et où subsistent des éclairs de génie typiquement Raimi : la proposition méphistophélique de Venom à l'Homme-Sable, les dents toujours déformées quand le monstre est démasqué, le monde gothique, mort et gris, comme un environnement d'origine de ce symbiote qui semble tout droit sorti d'un film d'horreur, en vérité, ou bien la cage à son.
C’est aussi une déclaration de haine et de dégoût de Raimi aux franchises en général, une volonté claire d’exprimer ce qu’il pense par rapport aux produits dérivés, à la surenchère de popularité, ainsi qu’aux cahiers des charges obligatoires. À ce niveau-là , le film est très clair, limpide, redoutable : il bat en brèche tout ce que furent les deux premiers opus, opposant à leur candeur un traitement au vitriol, démolissant par le menu toutes les images fortes sans jamais se préoccuper d’instaurer des ténèbres francs et sordides… fournissant, en lieu et place de l’escalade dans la violence à laquelle chacun s’attendait, une vision malsaine d’un Peter qui méprise, manipule. C’est un Spider-man qui se moque de tout et de tous que Sam Raimi nous dépeint là , un paumé qui a cessé d’en être un mais qui, en atteignant la réussite, n’a su que l’exploiter au pire. Un jeune homme qui se fiche d’abord de la peine qu’il peut infliger à Mary-Jane, avant d’aller plus loin et de jouir des états d’âme qu’il peut lui provoquer, au mépris de sa propre dignité d’être humain. Peut-être est-ce au service de ce propos-là que Raimi bâcle son long métrage, comme pour fustiger l’industrie du spectacle, un cinéma américain prétendument « indépendant » qui se mêle de coller des Venoms et des Gwens là où ils n’ont nulle place, dans la vision tout à fait personnelle, colorée, lumineuse, d’un mythe de comics.
En quelque sorte, Spider-man est devenu le symbole d’une licence surexploitée et putassière.
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