Eltanin

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MessagePublié: 23 Fév 2007, 03:18 
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Rien qu'un petit message. Mignon.

Inscription : 23 Fév 2007, 03:09
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Royaume de Kiavin….
Une des artères commerciales principales de Kiavin était la Voie Royale, heureusement nettement plus utile qu’originalement nommée. La Voie traversait d’Est en Ouest Kiavin, des Marches militaires situées en contrebas des Badlands jusqu’aux cités commerçantes de la côte. Si on excluait les communications maritimes, il s’agissait à  peu de chose près de l’unique lien terrestre reliant la capitale à  des centres névralgiques. D’où le soin que les différents souverains avaient mis à  préserver, entretenir cette voie de communication. La Voie Royale était une des seules routes à  être plus ou moins praticable en tout temps….
Le problème était qu’en cas d’attaque provenant des Badlands, il était vital que des renforts, du matériel, et des instructions puissent être envoyés de la capitale jusqu’aux Marches. Et que la capitale soit rapidement informée de la menace pesant sur les frontières. Même si la menace que causait encore Andoral dans un passé proche appartenait maintenant au domaine du mythe, les Badlands faisaient encore l’objet d’une garde, dont la vigilance avait décru.
En fait, en temps de paix, ce qui suscitait le plus d’inquiétude dans la capitale, c’était moins les frontières que les armées chargées d’en assurer la défense. En bien des circonstances, la Voie Royale avait permis à  l’un ou l’autre général rebelle (ou loyaliste, selon le point de vue) de faire avancer à  marche forcées ses troupes vers le cÅ“ur de Kiavin. D’où l’importance accordée par la Couronne aux différentes places fortes installées sur la Voie Royale. Ces petites forteresses étaient construites pour retenir le plus longtemps possible une éventuelle armée des frontières en état de révolte (ou un envahisseur ayant écrasé la susdite armée), et étaient situées dans des zones propices, comme des passes de montagne, à  l’entrée d’une vallée, ou comme dans le cas présent, la rive d’un fleuve assez profond pour arrêter l’ennemi.
L’Arno était le fleuve marquant la frontière traditionnelle entre la Marche de Tanaris et la province de Nesara. Pour des raisons plus fiscales que matérielles, les ponts sur l’Arno étaient fort rares. Un bac, après tout, nécessitait peu d’investissement, et était tout aussi rentable qu’un pont militaire. Le seul pont sur l’Arno était celui emprunté par la Voie Royale. Il n’y avait pas d’autres ponts à  moins de cent lieux en aval, et encore plus loin en amont. Il existait tout au plus quelques gués, que des cavaliers pouvaient emprunter….pas des chariots lourdement chargés. Et c’était le nÅ“ud du problème, ce matériel à  faire passer….
Valentine, pour la troisième fois, compta les feux de camps de l’autre côté de la rive. Même en tenant compte de la possibilité d’une intox par l’ennemi, il restait quâ€™à  trois-quatre ennemis par feu, cela faisait nettement trop de soldats pour la maigre force qui cherchait justement à  franchir l’Arno. D’après ses calculs, il devait y avoir environ 150 soldats de l’autre côté.
Ces hommes, qui portaient visiblement l’insigne du Covenant. En théorie, cet insigne correspondait à  une savante combinaison des blasons des trois principales Maisons appuyant le Covenant. Mais comme faire un sigle représentant à  la fois une tour, un double lion et des têtes d’oiseaux était passablement complexe, surtout en grandes quantités, la plupart des partisans du Covenant arboraient, sur leurs boucliers, pavois ou armures, une représentation très sommaire de ces sigles, limités à  quelques lignes. L’élément fondamental de distinction-permettant de savoir si on allait décapiter un ennemi ou un allié-était plus simplement la division verticale du blason. Ces soldats étaient installés sommairement pour empêcher le franchissement de l’Arno. La place forte du côté ouest ayant été sérieusement endommagée lors d’affrontements antérieurs, l’ennemi ne s’était pas tellement battu de ce côté : les forces de Valentine avaient été capables d’emporter ces ruines d’assaut sans coup férir.
Il était évident, rétrospectivement, que l’ennemi comptait plus sur le fleuve que sur des murailles pour arrêter la progression de cette petite force de ravitaillement. Néanmoins, des travaux avaient été entrepris sur l’autre rive. Deux bastides, très sommaires, se trouvaient de chaque côté du pont. Leurs remparts de terres n’auraient pas résisté une minute à  des machines de siège, mais ces maigres fortifications donnaient aux archers du Covenant une excellente protection face à  des troupes qui auraient réussi à  franchir l’Arno.
Une herse/barricade, faites de pieux de bois, reliait les deux bastides. Certains des pieux avaient été aiguisés et disposés pointes faisant face à  la rivière-une arme anti-cavalerie sommaire, mais efficace. Deux petites machines de siège de type catapulte se trouvaient derrière cette herse, et de temps à  autre, on s’en servait pour expédier quelques projectiles de l’autre côté de la rivière. Jusquâ€™à  maintenant, ce bombardement n’avait fait aucun blessé, mais il rendait les soldats de la Ligue quelque peu nerveux-ce qui était sans doute le but recherché.
Des hommes de l’autre côté de la rive, Valentine pouvait dénombrer une majorité d’archers et d’arbalétriers (logique, dans les circonstances), des piquiers et seulement quelques hommes d’armes. Sur une plaine unie, le sort de la bataille se serait soldée en quelques minutes : Valentine avait plus du double de fantassins, et une bonne trentaine de cavaliers sur rajas.
Une attaque sur un pont, par contre, tournerait à  la boucherie très rapidement : l’ennemi était visiblement aux aguets. D’ailleurs, Valentine en eut une preuve tangible.
De l’autre côté de l’Arno, distant dâ€™à  peine une centaine de mètres, une sentinelle détecta un mouvement sur les remparts faisant face à  la rivière. Valentine n’avait pas assez de troupes pour garnir efficacement les remparts de la petite citadelle. De plus, la décrépitude des remparts rendait paradoxalement la position moins sûre que les modestes bastides : une barricade de pieux, après tout, arrêtait mieux des projectiles qu’un mur de pierre effondré….
En fait, Valentine avait déployé ses troupes en arrière de la forteresse, autant pour les protéger des tirs de catapulte, des flèches et des carreaux que de les dissimuler à  la vue de l’adversaire. Qui sait. Peut être que l’ennemi serait assez stupide pour doubler, tripler, quadrupler le nombre de soldats que Valentine avait à  sa disposition…Ça ne nuirait pas.
En fait, sur les remparts, il n’y avait personne, mis à  part quelques guetteurs et archers attendant une occasion favorable, comme un soldat s’avançant en dehors de l’écran protecteur formé par les bastides. Quelques partisans du Covenant chargés de corvées d’eau avaient ainsi eu une mauvaise surprise plus tôt dans l’après midi. Ces hommes et femmes, comme Valentine, étaient là  pour observer. De l’autre côté, on était dans la même situation….autrement dit, plutôt nerveux, et armes prêtes. La sentinelle poussa un cri, et dans les secondes suivantes, une bonne dizaine de carreaux d’arbalètes se fichèrent à  proximité immédiate de Valentine. Un passa en sifflant à  moins d’un mètre d’elle, avant d’aller terminer sa course dans le mur juste derrière. D’après ce que Valentine voyait, les projectiles, dans leur majorité, étaient passés à  deux-trois mètres d’elle. En pleine nuit, et à  une distance très appréciable. Précision montrant qu’elle faisait face à  des arbalétriers bien entraînés.
Or, si les troupes de la Ligue déclenchaient une attaque sur le pont, les arbalétriers n’auraient guère besoin de viser pour atteindre une cible. Et à  en juger par la force de pénétration de quelques projectiles-qui avaient visiblement détérioré la pierre en plusieurs points….
Valentine avait vu, dans des batailles, l’effet de carreaux tirés à  bout portant sur des soldats disposant seulement de maigres armures de cuir. Outre le fait que le carreau traversait comme du papier l’armure, il n’était pas rare que le projectile puisse tuer plusieurs soldats….
L’effet serait hautement prévisible sur une troupe attaquant en rang serrés….
La tactique préférable aurait été d’attendre l’arrivée de nouvelles unités ou de construire du matériel de franchissement. La zone était très boisée, et on pourrait construire aisément des radeaux, des protections en bois…un pont, même. N’importe quoi pour éviter l’assaut frontal.
Le problème était que demain, ces 150 soldats recevraient des renforts. Il fallait donc traverser l’Arno maintenant, ou jamais. Et, comme Valentine l’avait expérimenté, les sentinelles étaient aux aguets. On ne pouvait compter sur l’assaut surprise ou sur des guetteurs endormis….
En descendant des remparts à  moitié en ruines, Valentine vit qu’on l’attendait. En l’occurrence, le fils du duc de Tanaris, qui n’aimait pas tellement le tour que prenaient les événements. Ce qui était très compréhensible. Chaque heure qui passait détériorait la position du Duc. L’essence de cette expédition, c’était la rapidité. Le siège de Tanaris, qui durait depuis des mois, en était rendu dans sa phase réellement décisive…
Les forces du Covenant, qui opéraient en territoire ami, étaient pourtant à  l’extrême limite de leurs capacités de ravitaillement. Avec l’arrivée de l’hiver, il deviendrait presque impossible de leur envoyer des vivres et des munitions. D’où un regain d’effort pour emporter la place d’assaut. La Ligue craignait qu’une telle opération soit lancée à  très court terme.
Si l’assaut était repoussé, le Covenant se retirerait, laissant au pire quelques troupes d’observation. Si l’assaut était un succès….la conclusion était évidente. D’où les efforts frénétiques de la Ligue et du Covenant pour obtenir quelque renforts supplémentaires : une centaine de soldats de plus de l’un ou l’autre côté pouvait faire la différence, à  ce stade…
«Lady Valentine, nous ne pouvons perdre plus de temps. Ordonnez l’assaut. Le Covenant n’a que de la piétaille. Nous les taillerons en pièce aisément» déclara l’individu dès que Valentine eut fini de descendre les marches. Le fils du Duc était très agressif…en paroles, du moins.
«Monseigneur, l’ennemi est aux aguets. Et emporter ce pont d’assaut sera un carnage….Je suis cependant prête à  cette possibilité….si cela permet de sauver la place de Tanaris….»
Ce que Valentine voulait dire était assez évident. Se lancer contre les défenses du pont risquait d’entraîner un carnage. Chose acceptable si cela aidait à  la défense. Cela dit, se faire trucider, même d’une façon noble et gracieuse, aurait un impact douteux sur l’issue.
«Lady Valentine, je ne peux accepter cela ! C’est mon honneur qui est en jeu !
L’allusion à  l’honneur toucha Valentine. Le fils du Duc, en dépit de ses….failles…de caractère (un euphémisme) lui avait toujours apparu comme, fondamentalement, un chevalier peut être un peu obtus, mais très dévoué, sincère. Il était certain que se retirer, sans rien faire, serait une tache monstrueuse pour l’honneur de la lignée des Ducs de Tanaris.
Ces considérations la rendirent très réceptive à  la suggestions suivante que fit l’individu…
«Il y a une autre possibilité…nos éclaireurs ont identifié un gué praticable, près d’ici. Nos chevaliers pourraient facilement l’emprunter. Ainsi, nous pourrions contourner-»
«Monseigneur….nous avons inspecté ce gué. Il est si étroit que nous ne pourrons faire passer le ravitaillement» essaya Valentine, espérant convaincre son interlocuteur de la folie de l’idée.
«Justement. En raison de nos chariots, l’ennemi ne s’attend pas à  ce que nous attaquions là Â»
«Mais ce que votre père attend, c’est les armes et munitions que nous transportons, Mon-»
Valentine ne fut pas capable de conclure. Le fils du Duc l’entraîna à  l’extérieur. Elle vit que les chevaliers formant l’élite de sa petite armée étaient en selle, armés et près à  partir…
Il était assez clair qu’on avait donné des ordres en son absence. Cela scandalisa Valentine. D’un autre côté…ses ordres n’étaient pas clairs. Pour dire la chose crûment, d’après les instructions qu’elle avait, le fils du Duc était son supérieur pour les questions militaires. Officiellement. Dans les faits, l’héritier de la marche avait une expérience très limitée du combat. À part quelques patrouilles dans les Badlands, il n’avait rien d’un guerrier.
Valentine, au contraire, était connue pour ses indiscutables prouesses martiales-un tant soit peu gonflées par sa famille, pour valoriser son rôle-et surtout, la puissance de sa Maison.
Avoir réellement mis en fuite toute seule un groupe de cinq raiders Damaskiens était un exploit mémorable. Si seulement ces cinq pillards n’étaient pas devenus, sous l’effet de la rumeur, une horde d’ennemis….Les dirigeants de la Ligue avaient espéré que sa réputation permettrait d’influencer un peu le fils du Duc, connu pour être exigeant sur les questions de rang. Jusquâ€™à  maintenant, cette approche ne s’était pas soldée par de grands résultats…
«Monseigneur, je proteste vivement. Je commande vos troupes. Vous auriez dû me cons-»
Valentine fut interrompue par les cris de joie de ses troupes. Qu’est ce que…
Elle réalisa la vérité assez vite. «On» avait dit aux cavaliers de sa bannière qu’elle allait les mener au combat…Le fis du Duc était tellement persuadé de la convaincre qu’il avait pris cette désastreuse initiative. Si Valentine refusait de le faire, elle discréditerait le fils du Duc. La dernière chose à  faire dans les circonstances. La Ligue avait tellement de difficultés à  faire admettre la thèse de la légitimité de la présence du Duc dans la marche de Tanaris que des rumeurs sur la lâcheté ou l’incompétence de son fils seraient catastrophiques….
Elle se décida. Elle mènerait personnellement le mouvement. Peut être qu’une occasion se présenterait. Mais surtout, le fait d’être sur place lui donnerait la possibilité d’ordonner une retraite si on était dans une réelle impasse, ou de raisonner le fils du Duc. Difficile, elle l’admettait. Il devait faire ses preuves de vaillance, après tout. Les Maisons étaient en générale très compréhensives : un beau fait d’arme pour leur rejeton valait certainement bien quelques petits détails, comme la mort d’une partie des troupes l’accompagnant. Seulement, dans ce cas précis, la Ligue avait donné à  Valentine des instructions qui l’avaient surprise.
On lui avait précisé, à  maintes reprises, que la réussite était prioritaire. Point qui lui déplaisait. Est-ce que cela voulait dire qu’elle devait envisager la victoire sans honneur plutôt que la défaite honorable ? À demi-mots, les leaders de la Ligue avaient fait comprendre à  Valentine qu’elle devait éviter le combat autant que possible, et ne pas se soucier de se couvrir de gloire.
Valentine avait aussi la très décevant opinion qu’on l’avait soit prise parce qu’elle était une dernières commandantes disponibles, soit pour pouvoir dire, rétrospectivement, qu’on avait tout fait pour aider le Duc, y compris lui envoyer quelqu’un issu d’une des plus puissantes familles de la Ligue, et qu’en conséquence, on ne saurait accuser la Ligue de mauvaise volonté. Elle avait chassé avec indignation une idée qu’une personne proche lui avait suggérée, à  savoir qu’on l’avait également nommée pour cette mission pour avoir une bonne excuse en cas d’échec : on ne pourrait pas blâmer la Ligue, mais l’inexpérience de Valentine pour ce genre d’opérations. Inexpérience que Valentine était la première à  admettre.
Valentine essaya de rassembler ses idées. Sa mission, son objectif, était fort simple. Faire arriver des chariots (une dizaine), jusquâ€™à  Tanaris et des troupes de renfort. Les deux objectifs n’étaient pas nécessairement compatibles, elle s’en rendait bien compte. Les chariots contenaient des armes et des munitions. Des vivres auraient été plus utiles, mais l’escorte aurait été contrainte de les consommer en route. (même en vivant sur le terrain, la troupe était présentement à  moitié morte de faim, ce qui ne faisait rien pour remonter le moral…)
L’item représentant la moitié du matériel transporté était de la poudre à  canon (comme la même personne proche de Valentine l’avait fait remarquer, pas le genre de cargaison le plus facile à  protéger…) On conservait la poudre mouillée, pour éviter les explosions accidentelles, mais personne n’aurait juré que cette précaution serait suffisante pour assurer un sabotage. Valentine avait une répugnance pour les armes nouvelles, et elle n’avait guère écouté les explications du fils du Duc à  ce sujet, pourtant vitales pour la sauvegarde de Tanaris à  long terme…car une fois arrivée, Valentine devait mettre ses troupes au service du Duc, pour l’aider à  repousser l’assaut général : il n’y avait plus assez de ressources, d’un côté comme de l’autre, pour que cet assaut soit annulé, ou même remis à  plus tard.
Ce qui voulait dire que les troupes de Valentine, si elles arrivaient à  Tanaris, devraient repousser l’assaut, ou périr, ou mourir de faim (et les trois n’étaient nullement incompatibles)
La Ligue avait en apparence «mis le paquet» question matériel de siège, et une batterie proprement «monstrueuse» (terme très imprécis, mais Valentine n’avait pas retenu les spécifications plus techniques) de bombardes était employé pour faire brèche dans les murs de Tanaris. La capitale de la Marche était une vieille citadelle. En dépit des projets ambitieux pour en faire une place forte moderne (le genre de citadelles comparable à  Hiigara ou Nova, les places frontalières de Muria. Ces places fortes déjà  imprenables dans des temps antérieurs avaient été reconstruites spécialement pour l’emploi optimal de l’artillerie, et défiaient toute comparaison avec les citadelles des autres nations) la majorité des fortifications étaient clairement dépassées, et ne pouvaient résister longtemps à  ces «machines infernales» (les mots de Valentine) La seule défense possible, au-delà  de sorties aussi meurtrières que peu efficaces, était le contre bombardement au moyen d’autres canons. La consommation de poudre était si importante que Valentine emmenait au mieux de quoi alimenter une semaine de tirs «normaux», ou quelques heures de feu très intense, ce qui pouvait largement faire la différence entre une la victoire glorieuse, et une défaite écrasante…
Ou, comme certains le disaient, cela pouvait faire la différence entre un demi désastre et une demi victoire, le siège de Tanaris ayant déjà  causé la perte de plus de soldats que bien des batailles. D’où l’acharnement de la Ligue et du Covenant à  au moins «rentabiliser» leurs pertes en emportant la victoire, même à  l’arraché, et même si Tanaris était loin d’être une position clé dans une perspective de guerre civile : région excentrée, assez pauvre…
C’est en songeant à  cela que Valentine fit marcher ses troupes montées le long de l’Arno, en direction du fameux gué. Elle repassait dans sa tête les arguments à  employer….
Valentine devait cependant admettre qu’elle ne savait pas trop quoi faire, si l’Arno ne pouvait être franchi. Une force du Covenant était à  deux jours de marche derrière eux, et était largement supérieure en nombre. L’armée de la Ligue la plus proche était à  au moins quarante lieues. Aucune possibilité réaliste de recevoir des renforts. Ne pouvant avancer ou reculer, elle pouvait évidemment monter ou descendre, ce qui n’était guerre plus réjouissant.
Si elle descendait le cours de l’Arno, elle ne trouverait aucun point aisé de passage jusquâ€™à  l’Océan. Et une fois rendue là , il ne lui serait pas plus possible de trouver, par exemple, passage par mer : le voyage par mer n’était plus sûr depuis quelques mois, en raison de la présence d’une escadre de raiders Damaskiens basée dans la région de l’île de Nocto, sur la côte nord de Kiavin. Un navire risquait donc fortement de se faire capturer (si Valentine arrivait à  en faire affréter un, ce qui n’était pas garanti, même avec des menaces de mort. Depuis, connaissant les Damaskiens, elle n’était pas très désireuse de risquer de se faire capturer par eux...elle ne tenait nullement en finir en…elle ne pouvait trouver un euphémisme approprié …pour l’un ou l’autre seigneur de la guerre…) La marine de guerre de Kiavin ne pouvait fournir une escorte, la guerre civile ayant mit fin à  tout financement….
Les autres marines de guerre, en particulier celle de Lorraine ou de Muria, qui effectuaient le blocus à  distance de Nocto, étaient aussi sur les dents : nombre de cités côtières avaient laissé des vaisseaux Damaskiens relâcher dans leurs rades, et s’y ravitailler. Tout vaisseau transportant de l’armement pouvait accroître les ressources des Damaskiens, que ce soit volontairement (en leur livrant) ou involontairement. En conséquence, la nouvelle politique était de capturer tout vaisseau de Kiavin d’un tonnage supérieur à  une barque de pêche
Se faire capturer par un vaisseau de guerre de ces nations en était certainement mieux que par des esclavagistes Damaskiens, mais cela ne donnerait pas plus de munitions à  Tanaris.
Quand à  descendre au sud, cela impliquait de passer par les Badlands, une perspective assez difficile à  faire accepter aux soldats (à  tout le monde, en fait). Sans parler du fait qu’Andoral étant maintenant une….une terre morte, quoi, où on ne trouverait pas le strict minimum nécessaire pour nourrir bêtes et hommes. Avec les événements récents, si Valentine proposait de passer par là , elle se retrouverait très vite avec une mutinerie sur les bras.
C’est pourquoi elle serait très réceptive pour toute proposition visant à  travers l’Arno, avec des chances décentes de réussite. Ce qui ne serait certainement pas le cas avec le gué que le fils du Duc lui montra triomphalement, comme s’il s’agissait d’une grande route…
Le passage avait été identifié, certes…mais il y avait une raison fort claire pour laquelle il n’était plus tellement emprunté. La destruction des grands ouvrages d’irrigation en Andoral avait causé une modification substantielle du débit : en quelques décennies, le niveau de l’Arno avait monté, par endroits, d’un bon demi-mètre. C’était encore plus sensible en période de crue, de pluies….Autrement dit, là  où se trouvait jadis un passage à  gué tout à  fait franchissable, l’eau atteignait presque deux mètres. Valentine avait considéré le passage comme peu praticable alors qu’elle l’avait inspecté à  midi. À minuit, si cela avait l’avantage réel de dissimuler ses mouvements, cela présentait le très sérieux handicap de l’obscurité. On n’y voyait vraiment rien….Valentine avait la conscience tranquille. Une attaque par là  était impossible en pleine nuit. Il faudrait attendre le matin-ce qui risquait d’ajouter de nouvelles complications (désertions ? famine ? arrivée de renforts ennemis), mais elle n’avait pas le choix. Valentine essaya de formuler son avis d’une façon aussi diplomatique que possible.
«Monseigneur, en effet, ce gué présente une possibilité intéressante. Mais le passage est un peu difficile. Nos chevaliers ne seront peut être pas capables de le franchir rapidement….» «Excellent, Lady Valentine ! Nous passerons plus lentement, c’est tout. Menez la marche !» Valentine, réalisant que cela tournait mal, essaya de dire plus clairement sa pensée au fils du Duc. Peine perdue. Elle ne pouvait élever la voix-ce qui donnerait à  la fois l’alerte, et risquerait de déconsidérer le fils du Duc devant ses troupes. Elle se promit de l’amener de l’écart, et de lui exposer très clairement la situation. Cette possibilité se volatilisa lorsque le fils du Duc, revenu auprès de la troupe, pour stimuler le moral, promit aux cavaliers que si l’Arno était franchi cette nuit, ils recevraient chacun une grosse solde (ses propres mots)
De façon peu surprenante, cette déclaration suscita des clameurs d’enthousiasme….
En toute honnêteté, aucun des cavaliers n’était là  uniquement pour l’argent-la guerre n’était jamais rentable, et loi de s’y enrichir, le nobliau moyen s’y ruinait tout simplement. Seuls les mercenaires de très haut niveau avaient une solde payée plus ou moins régulièrement….En particulier les spécialistes de l’utilisation des nouvelles armes : mines, pistolets et canons.
Ce point outrageait au plus point Valentine. Comment on pouvait laisser dans la misère de nobles chevaliers, pour payer rubis sur l’ongle de vulgaires artificiers ?
Force était cependant d’admettre que les ingénieurs militaires de Lorraine ou Muria disponibles étaient si rares et si en demande que si on ne leur versait pas leur solde, ils risquaient fort de passer dans l’autre camp. Et comme l’avait dit avec cynisme le père de Valentine, au moins, on pouvait compter sur les chevaliers pour…trouver moyen de se payer eux-mêmes. Valentine essayait de contrôler ses effectifs, et y était arrivée dans une notable mesure : pas de pillages de villes ou de monastères durant le trajet. Seulement un ou deux petits incidents avec des paysans, pour ces toujours épineuses questions de ravitaillement Cette promesse forçait la main de Valentine. Elle ne pouvait contredire son supérieur, et cela la rendait furieuse-la charge aurait lieu, ou elle passerait pour lâche. Les excuses que proféra à  l’écart, quelques minutes plus tard, le fils du Duc, n’améliorent pas tellement son humeur. «Milady, je suis désolé…mais c’est la seule solution pour accomplir notre mission….» «Monseigneur, le problème est que nous n’arriverons jamais à  faire passer les chariots ici…» «Il faut savoir distinguer l’essentiel de l’accessoire. Mon père dispose de toute la piétaille voulue, et l’armement nécessaire. Seule l’arrivée de vos chevaliers importe réellement….» Valentine ne connaissait pas grand chose à  la logistique, et elle était la première à  l’admettre. Mais tout de même, si ces chariots ne contenaient rien d’indispensable, pourquoi le fils du Duc avait tellement insisté pour que la Ligue lui fournisse du matériel ? Et accessoirement, pourquoi avoir attendu jusquâ€™à  maintenant pour les abandonner ? Il avait été assez pénible de trouver des attelages sur la Voie Royale-la guerre faisait en sorte que les bêtes de somme étaient rares. D’un autre côté, il était sûr que la possibilité d’amener ce matériel, maintenant, était assez réduite : le Covenant bloquerait facilement la route avec des troupes suffisantes, et Tanaris était encore à  deux jours de marche forcée. Quand même….
«En admettant ce point, Monseigneur, vous devez admettre que l’infanterie ne pourra jamais franchir ce passage. Le courant est si fort, l’eau si profonde, qu’ils se noieront tous….»
«Très juste, Milady. C’est pourquoi j’ai songé à  un plan….L’infanterie fera diversion en simulant une attaque sur le pont. Cela attirera les renforts dont l’ennemi dispose dans la région immédiate, tout en facilitant notre passage. Par la suite, nous les dégagerons….»
«Je m’oppose à  cette idée, Monseigneur. La moitié de ces soldats viennent des bannières de ma maison. Vous savez comme moi que les pertes seront colossales….»
«Oui, je comprends, mais ne craignez rien, Lady Valentine. Les Ducs de Tanaris sauront prendre en considération de tels sacrifices, et votre Maison sera récompensée….
Cette phrase était visiblement un euphémisme pour : nous vous dédommagerons des frais encourus. Exactement le genre de phrases à  dire pour séduire un duc, un Grand…
Valentine fit un effort visible pour conserver son calme. Visiblement, le fils du Duc n’accordait pas une importance très poussée aux simples soldats. Valentine avait une empathie pour sa «piétaille», un trait qui était plutôt rare parmi les combattants issus de la Noblesse. Sentiment qui était lié à  une personne plutôt quâ€™à  l’ensemble du groupe, par contre. «Je n’enverrais pas mes soldats à  la boucherie, Monseigneur. Trouvez un autre plan….»
«Qui parle de boucherie ? Le Covenant n’a que des fantassins sans courage…Ils prendront la fuite aussitôt qu’ils seront attaqués, vous le savez aussi bien que moi….»
Ce que le fils du Duc évoquait, c’était le préjugé, très commun dans la Noblesse, que la piétaille ne servait pas à  grand-chose, sauf si on désirait utiliser des tactiques déloyales. (le terme était notamment utilisé par Ravennian pour expliquer ses multiples défaites face aux armées de la minuscule Muria). Préjugé quelque peu partagé par Valentine….
C’est parce qu’elle avait un peu honte de l’admettre qu’elle changea de sujet rapidement.
«Et l’infanterie ? Nous allons la laisser ici ? Pour la livrer au Covenant ?»
«Bien sûr que non, Milady…Une fois que nous aurons pris pied sur l’autre rive, nous trouverons un moyen de les faire passer…Nous en aurons besoin pour arriver à  Tanaris…. »
La deuxième partie de la phrase sembla un peu sarcastique à  Valentine, mais elle n’insista pas sur ce point : le fils du Duc s’était engagé à  sauvegarder l’infanterie, c’était ce qui comptait…
«Fort bien, Monseigneur…vous savez comme moi que vous m’avez mis dans une situation impossible. Je n’ai pas le choix de vous suivre. Mais…c’est la dernière fois….»
Suivit une série de protestations empressées, faisant appel à  la pitié de Valentine vis-à -vis de son inexpérience, et ainsi de suite. Cela calma-un peu-Valentine, qui, radoucie, demanda au fils du Duc d’aller préparer l’attaque du côté du Pont : elle se chargerait du reste.
Alors qu’elle repartait vers ses cavaliers, Valentine ne vit pas l’expression de son interlocuteur changer, passant d’un air bien borné à  une expression assez différente…
«C’est la dernière fois» fit-t-il, méchamment, en imitant la voix de Valentine…. «jusquâ€™à  la prochaine fois, idiote». Cette phrase, loin d’être un soliloque, s’adressait à  un de ses lieutenants personnel, qui lui aussi trouvait la situation plutôt amusante…
«Moret. Tu sais ce que tu as à  faire, n’est ce pas ? Il te suffit qu’on ne puisse rien prouver…»
«Votre parole contre celle de des vulgaires paysans serait déjà  la seule prise en considération, Monseigneur…Mais s’ils sont en plus morts-» (le lieutenant s’arrêta, réalisant que sa phrase pouvait donner des idées à  son maître…) «Une leçon que j’ai bien retenue, Monseigneur…» «Oui. Il me faudrait pas que j’ai l’envie de vérifier la véracité de l’adage «un silence d’outre-tombe…» (Le lieutenant n’avait pas envie de rire de cette blague douteuse, mais se força à  le faire un peu-il connaissait fort bien le…tempérament….de Monseigneur…)
Laissant le fils du Duc aller donner des ordres à  l’infanterie pour l’attaque de diversion, Valentine prépara son offensive, étudiant de son mieux l’objectif, toujours dans une obscurité absolue, pour éviter d’attirer l’attention indue de l’ennemi. Car il y avait de l’autre côté de la rivière un modeste poste de garde. Ce gué était connu, mais considéré comme peu praticable, surtout avec les récentes crues. Le Covenant manquait de personnel, et ne pouvait pas surveiller l’ensemble des points de passages. En conséquence, il n’y avait guère qu’une dizaine de fantassins, qu’une troupe de cavalerie trois fois plus importante pourrait aisément maîtriser. Une fois la rivière passée, le terrain était assez dégagé pour permettre des charges de cavalerie-ce qui devrait permettre de maîtriser tout renfort du Covenant.
Une fois le fils du Duc de retour, Valentine donna le signal de l’attaque, le Noble l’ayant informé que le début de la diversion était imminent. Les cavaliers s’approchèrent lentement de la rivière, en respectant les consignes de silence. La chance était de leur côté. Des feux étaient visibles en aval-la diversion menée par l’infanterie était en cours, et les défenseurs du Covenant avaient allumé leurs feux d’alarme. En conséquence, les fantassins regardaient dans cette direction, se demandant comment la bataille tournait, s’il fallait envoyer des renforts…. Le gué était fort étroit, et les montures étaient passablement nerveuses. Il faudrait traverser en file indienne, une monture derrière l’autre. Et qui plus est, aller plutôt lentement.
Valentine parvint à  dissuader le fils du Duc d’aller en première ligne. Toute la crise de Tanaris étant lié à  la lignée ducale et sa pérennité ; si le Duc perdait son héritier, sauver ou non Tanaris n’aurait pas une importance particulière. Toutes les questions au sujet de la légitimité ou non du Duc se volatiliseraient d’elles-mêmes si son fils ne pouvait prendre sa succession : à  la mort du Duc, ce serait nécessairement son frère, le candidat du Covenant, qui aurait le pouvoir sur la Marche. Une Maison noble pouvait contester un héritage peu clair pour placer ses pions, mais jamais de dénier les droits d’un seigneur sur ses sujets…
Après tout, si on procédait ainsi, cela pourrait des idées à  la «populace»….
Le fils du Duc, donc, resta à  l’arrière, laissant Valentine prendre le commandement de l’opération, comme à  son habitude en première ligne, la place la plus honorable (et évidemment, la plus dangereuse). Le fait de la voir faire avancer sans hésiter son raja dans les eaux de l’Arno eut un salutaire effet d’entraînement sur les autres cavaliers…moins sur leurs montures, qui, logiquement, étaient fort peu sensible à  l’appel de la bataille…
Valentine dut, à  plusieurs reprises, calmer sa bête, en lui tapotant la tête. Reptiles ou pas, ces montures de guerre avaient une détestation prononcée pour l’eau, et leurs ergots glissaient sur les pierres lisses tapissant le fond de l’Arno. Pas étonnant que ce gué ait été identifié comme peu praticable : un peu plus, et c’était de la nage, purement et simplement.
La monture de Valentine était une bête de prix, soigneusement dressée, venant des meilleurs haras de Kiavin-son Å“uf avait atteint des prix vraiment obscènes, paraît-il. Très attachée à  sa maîtresse, aussi. Conformément à  l’usage dans la noblesse, la première chose que la femelle raja avait vu après avoir percé sa coquille avait été le visage de Valentine, enchantée de ce cadeau. Valentine s’en était occupée personnellement durant longtemps.
Après tout, une petite raja ressemblait furieusement à  une grosse poule sans plumes; au point d’avoir un comportement plus près des oiseaux que des reptiles (ne serait ce qu’au point de vue des pépiements ou des habitudes de nidification) pouvait s’attendre à  ce qu’une jeune Humaine puisse s’en occuper comme elle s’occuperait d’un chaton, par exemple
Sans que la raja pense nécessairement que Valentine soit sa mère, comme les promoteurs de cette technique de dressage l’espérait, il n’en restait pas moins qu’elle montrait un attachement certain. De l’affection, même. C’était une sorte de consolation pour Valentine.
Elle avait plus de succès avec les rajas qu’avec ses relations avec des êtres humains…
Dans tout les cas, sa réaction, le fait qu’elle devenait de plus en plus rétive, était un fort mauvais présage par rapport à  ce que devait surmonter ceux disposant de….de rosses, quoi.
C’était la guerre, après tout, et la perte de montures était quelque chose de presque quotidien. Au cours des six derniers mois, la bannière de Valentine avait perdu presque l’ensemble de ses montures originales. Logiquement, lorsqu’on demandait aux chevaliers de fournir leurs propres rajas, ceux ci avaient une (légitime) inquiétude à  ce sujet. Un bon palefroi, après coûtait très cher, et pouvait facilement mettre sur la paille un petit seigneur. Sans parler du fait que pour chaque raja se faisant tuer d’une façon noble et digne (par exemple, dans une charge solitaire contre une ligne de piquiers, en se riant de la mort. Il y avait encore des chevaliers qui finissaient ainsi, qualifiés selon les points de vue de héros ou d’imbéciles. Quoi que le dernier en date, un baron de la lignée de Valentine, était surtout un peu ivre…), dix périssaient pour des raisons plus…rustiques…. comme le manque de fourrage, les épizooties,
Un chevalier montant un animal lui appartenant en propre risquait donc à  chaque combat à  la fois un outil de travail et un investissement très sérieux. Il était donc fréquent que les différentes Maisons fournissent à  leurs vassaux des montures, à  titre gracieux…ne serait ce que pour éviter que leurs chevaliers hésitent à  risquer leurs montures dans les combats
Le problème était qu’on ne pouvait être très regardant sur la qualité, lorsqu’on avait des critères d’achat de type : le plus de bêtes possible au prix le plus bas. Ceci faisait que nombre des cavaliers derrière Valentine devaient, en plus des difficultés inhérentes du passage, essayer de calmer de leur mieux leurs montures de plus en plus hostiles.
Et ce qui devait arriver arriva. Un cavalier, provenant de la bannière personnelle de Valentine, poussa un peu trop sa monture déjà  nerveuse. Le raja se cabra, et glissa. Le gué était comme une étroite digue. Autrement dit, la profondeur de l’eau augmentait sensiblement à  proximité immédiate. Les éclaireurs qui avaient sondé l’Arno étaient arrivés à  la conclusion qu’aux abords immédiats du gué, on atteignait aisément des profondeurs de cinq-six mètres.
L’eau se referma sur la monture et l’homme. Il n’y avait rien à  faire. Valentine, en tête de colonne, ne pouvait revenir sur ses pas. Seul les cavaliers immédiatement en avant ou en arrière de la victime auraient pu l’aider, mais en pleine nuit, avec seulement la lumière de Shéol pour les éclairer….Le fils du Duc, de l’autre rive ordonna de continuer. Cette décision était assez logique. Avec le poids de l’armure, cet homme était destiné à  la noyade certaine.
Le problème était que cet éclaboussement, ces cris, ces imprécations, avaient signalé on ne peut plus clairement aux soldats du Covenant ce qui se tramait. De l’endroit où elle se trouvait Valentine entendait clairement les cris d’alarme, et crut même percevoir un bruit d’arbalète que l’on était en train de tendre. Ce qui était évidemment impossible à  une telle distance.
Sauf si ce qu’on tendait, c’était une grosse arbalète. Très grosse. Une baliste en fait. Valentine n’hésita pas. Elle sauta à  Â«terre», heureusement dans un endroit où elle avait encore pied, tout en tirant sur les rênes pour faire baisser la tête à  son raja. Le trait, au lieu de traverser le long cou du reptile (et vraisemblablement, Valentine) alla s’encastrer quelques mètres en arrière.
À en juger par les cris humains et les pépiements qui suivirent, le projectile avait touché quelque chose. Et d’autres suivraient dans quelques minutes au maximum. Se retirer sur l’autre rive était impossible. La seule solution possible était d’avancer, malgré tout.
Valentine appréciait lorsque la situation était claire-elle n’avait jamais été une grande stratège. Il était impossible de reculer, impossible de se défiler. La seule chose à  faire, c’était d’aller en avant, pour faire taire cette baliste, qui sinon tuerait jusqu’au dernier les cavaliers…Le deuxième projectile, par exemple, transperça coup sur coup deux cavaliers….
L’eau glacée coupa presque le souffle à  Valentine. Au moins, cela eut l’avantage de la stimuler à  avancer. La raja, sans être à  sang froid stricto sensu, était cependant quelque peu ralentie-début d’hypothermie, et elle commençait à  ne plus vouloir progresser, malgré les efforts de Valentine pour la faire progresser. La situation devenait critique…
En d’autres circonstances, Valentine aurait ordonné à  sa bannière de se placer en ligne plutôt qu’en colonne-chose impossible dans les présentes circonstances. Son «plan» était simplement de faire passer le plus possible de cavaliers sur l’autre rive, remonter en selle, et charger. Plan fort sommaire, mais qui pouvait fonctionner. Sans jeu de mots, il tomba à  l’eau.
Le fils du Duc, qui n’avait pas une très grande expérience martiale, ordonna la charge. En fait, c’était lui qui commandait l’unité, et c’était accessoirement lieu qui avait payé aux cavaliers une solde spéciale, ce qui était un bon stimulant pour la loyauté. Alors que Valentine, sa Maison étant en de sérieuses difficultés financières, n’avait que des promesses à  offrir.
Cet ordre était suicidaire dans la position délicate dans laquelle se trouvait la colonne. Alors que des cavaliers éperonnaient leurs rajas, d’autres ne pouvaient le faire, l’espace en avant d’eux étant occupé par des montures ou des cavaliers incapables de bouger, car blessés par les tirs de baliste ou morts. La seule possibilité était de contourner les corps ou de passer par-dessus, chose délicate sous un feu qui s’intensifiait, des armes légères se mettant de la partie.
Quelques uns essayèrent de pousser leurs montures à  nager. Outre le fait que l’animal n’était pas connu pour ses qualités aquatiques, le courant et le poids des armures rendait la chose illusoire. Cela se solda par quelques malédictions très claires, ainsi que des bruits parfaitement identifiables. Si la plupart des cavaliers parvinrent à  se dégager, ces accidents formaient des obstacles qui entravaient encore plus la progression, maintenant très lente, de la colonne.
Oubliant les traits, Valentine chargea-à  pied-la dernière vingtaine de mètres vers la rive…
Lorsqu’elle finit par prendre pied sur la rive, le feu ennemi arrêta. Simplement parce que les soldats du Covenant s’attendaient à  ce que Valentine soit accompagnée d’une bonne dizaine de cavaliers-pas…pas qu’elle ait commis la folie d’attaquer une baliste et des arbalétriers complètement seul, quand un seul trait bien placé pouvait facilement la tuer sur le coup.
Ce petit flottement donna une chance à  Valentine, mais cela permit surtout à  d’autres cavaliers d’arriver, souvent sans montures, clopin-clopants, jusquâ€™à  la rive, alors que Valentine, avec une maestria remarquable, dégagea le terrain en affrontant les quelques hallebardiers qui étaient venus pour l’engager. Même à  pied, un chevalier bien entraîné était une force très difficile à  arrêter. Mais tout les efforts de Valentine ne purent empêcher le messager de partir…Dans quelques heures au plus, le Covenant apprendrait qu’elle avait réussi à  faire passer une partie de ses hommes sur la bonne rive de l’Arno….
Lorsque tout le monde fut rassemblé, Valentine réalisa avec consternation que le détachement avait perdu un bon tiers de ses effectifs déjà  maigres, et que parmi les survivants, nombres n’étaient pas dans une condition optimale. Si, en récupérant les rajas de ceux qui étaient tombés, elle pouvait au moins donner une monture à  tous, son groupe n’était pas bien fringant. Certainement pas en état d’affronter une patrouille de cavalerie du Covenant….
« Nous n’avons pas le choix. Il faut immédiatement piquer à  travers les forêts, et atteindre Tanaris. Nous devrions pouvoir échapper aux patrouilles du Covenant….»
Cette stratégie impliquait l’abandon de l’infanterie, mais ce ne fut pas ce point qui frappa Valentine à  prime abord. La simple mention de «forêts» lui…lui fit particulièrement peur.
Elle était assez honnête avec elle même pour reconnaître quand elle était effrayée. Et, franchement, en ce qui concernait Lordera, elle était loin d’être la seule…
«Dans…la forêt ? Ces bois sont hantés par les…les spectres de Lordera…nous ne pouvons…»
«Et la Voie Royale est patrouillée par la cavalerie du Covenant, répliqua calmement le fils du Duc. «Aucune option n’est enviable, et aller là  ne me plaît guère, je peux vous l’assurer…»
Les autres soldats pensaient de même. Pour la majorité des cavaliers, ce n’était pas tant la présence de spectres à  proprement parler-même si ce point avait son importance-qui rendait les ruines de Lordera peu fréquentables, mais son passé assez sinistre…
Après tout, si une bonne dizaine de batailles sanglantes s’étaient déroulées sous les murs de Lordera, se soldant par des milliers de morts, c’était vraiment jouer avec le Shéol que d’essayer de voir ce que donnerait la onzième. De plus, le sort final de Lordera était si peu enviable-et si peu glorieux-que beaucoup de combattants auraient donné cher pour ne passer dans le secteur, et certainement pas y reste une nuit lorsque poursuivis par des adversaires.
On pouvait tout au plus espérer que les cavaliers de la Ligue auraient également ce genre de réserves….Peu réaliste, quand même. La victoire était un stimulant assez puissant Comme, accessoirement, les perspectives de gloire, de titres, et de riches rançons. Valentine n’était peut être pas particulièrement puissante dans sa famille, mais elle valait certainement une somme très convenable. Ridicule, cependant, si on la comparait au fils du Duc-qui, lui, serait certainement une carte maîtresse pour quiconque le capturerait.
D’accord, il avait juré de ne jamais tomber vivant aux mains du Covenant, mais de telles promesses étaient bien difficiles à  garder. Après tout, l’Église avait une opinion très mitigée du suicide direct. Quand aux méthodes éprouvées mais moins ouvertes, comme «et il disparut dans la mêlée là  où elle était la plus intense», elles pouvaient paradoxalement mener exactement au résultat qu’on souhaitait éviter (soit la capture, évidemment)
Valentine, peu importe ses craintes, devait admettre que Lordera était une possibilité. Après tout, ces spectres…la Providence pourrait accorder une certaine protection aux troupes de la Ligue, non ? Et puis…ces histoires n’étaient peut être, justement, que des histoires….
Le gros problème serait, bien sûr, l’orientation. Lordera était une zone vaste, très vaste, mal connue, avec un relief souvent difficile, sans pistes bien identifiées. Valentine risquait bien plus de se perdre que de se faire écharper par des liches ou des ghoules en furie….
Alors qu’elle pensait à  cette question, elle entendit un très léger bruit au loin. Du combat…cela la ramena à  la réalité. L’infanterie. Les chariots. Le matériel…Le pont !
Sans hésiter, Valentine dirigea sa raja, qui se remettait lentement, vers le pont. Une belle charge, même avec des montures en était misérable, devrait permettre de dégager tout le monde, sans grande effusion de sang. Le fils du Duc formula quelques protestations, mais cette fois, Valentine les ignora. Elle ne pouvait pas abandonner ses troupes. Surtout pas…elle.
Suivie de ceux parmi ces cavaliers qui pouvaient encore soutenir un combat, Valentine chargea en direction du pont. L’infanterie, pour une attaque de diversion, avait été plutôt efficace. Si des dizaines de cadavres de soldats portant l’insigne de la Ligue étaient visibles, les survivants avaient néanmoins réussi à  enfoncer les lignes ennemies, et la bataille se déroulait maintenant sur la rive est. Il n’y avait aucun plan d’attaque, aucune formation discernable. Ceux qui étaient parvenus jusqu’aux bastides essayaient de les emporter d’assaut-pas particulièrement par courage ou par furie guerrière, mais simplement parce que battre en retraite impliquerait repasser sur le pont, où tant de soldats de la Ligue avaient péri.
S’ils enfonçaient ces palissades, peut être que le tir de carreaux et de flèches, qui à  toutes les minutes fauchaient de nouvelles victimes, cesserait. Pire encore. Les flammes dansant en avant des bastides étaient…un peu trop intenses pour êtres naturelles. Il y avait au moins un utilisateur des Arts dans les rangs de l’ennemi. La confiance de Valentine s’émoussa un brin.
Pourquoi les renforts du Covenant n’arrivaient pas ? Telle devait être la question que se posaient bien des soldats. Aussi, lorsqu’un soldat vit des cavaliers venant du côté est, ce fut un immense soulagement…suivi d’une terrible déception lorsqu’on réalisa que ces cavaliers étaient de la Ligue (ce qui impliquait, en pleine nuit, que les cavaliers soient pratiquement sur leurs ennemis). Sans grande difficulté, Valentine parvint à  enfoncer la palissade reliant les deux bastides, effectuant sa jonction avec ses troupes, sous un feu de plus en plus sporadique de l’ennemi. L’arrivée de Valentine soulagea un peu ses soldats, mais personne ne poussa des cris de joies. Elle essaya de remonter le moral des troupes, alors qu’elle les dirigeait vers un des angles morts des bastides, pour conduire l’assaut contre ces positions…
Ce petit discours motivant (en théorie) sur la grandeur de la cause de la Ligue contre les vils félons du Covenant n’eut pas l’effet escompté. Le fait que les trois quarts des combattants savaient à  peine pour qui ils combattaient n’y était pas étranger. Quand à  savoir pourquoi ils combattaient, la réponse était assez évidente : la majorité des soldats présents sur le champ de bataille n’avaient fait que suivre leurs seigneurs. (Du moins, c’était ce que ces derniers pensaient) Force était aussi de constater que, franchement, la différence entre la Ligue et le Covenant, ce n’était pas tellement évident à  cerner, si on faisait abstraction des commentaires sarcastiques dans le genre que la Ligue était formé des ennemis du Covenant, et le Covenant associait les ennemis de la Ligue. À vrai dire, lorsqu’on n’était pas dans le groupe social pour lequel le conflit changeait quelque chose, la Ligue et le Covenant, c’était bonnet blanc et blanc bonnet. Et même parmi la Noblesse, les positions étaient assez faciles à  changer….L’actuelle position du Duc de Tanaris en était un signe on ne peut plus clair.
Valentine se targuait de peu se mêler de politique, ce qui était pratique pour dissimuler le fait qu’elle ne comprenait strictement rien au conflit entre les différentes factions nobles, si ce n’est ce que le strict minimum. À savoir que sa maison étant du côté de la Ligue, le Covenant était logiquement l’ennemi. Si sa Maison passait du côté Covenant…honnêtement, Valentine en serait désespérée, mais elle n’aurait pas vraiment le choix de suivre.
De l’autre côté, les soldats du Covenant, certainement pas des troupes de première ligne, continuaient à  tirer, animés par une peur aussi grande que celle qu’éprouvaient leurs collègues de la Ligue. Le fait que les deux camps recrutaient l’immense majorité de leurs effectifs dans Kiavin proprement dit rendait les choses parfois difficiles au début….après avoir vu quelques uns de leurs semblables «branchés» par des officiers, la plupart ne posaient plus ce genre de question. Le fait était que ces soldats, maintenant, savaient que la bataille était perdue.
La bastide nord, en fait, avait déjà  été au trois quarts prise, et il n’y avait plus que des combats sporadiques à  l’intérieur. L’autre bastide ne résisterait pas plus que quelques minutes à  un assaut général, maintenant qu’on pouvait l’encercler aisément….
Valentine conduisit cet assaut, à  pied, autant pour des raisons de motivation que pour éviter que sa raja aille s’empaler sur des pieux. En attaquant sur tout les points à  la fois, les forces de la Ligue parvinrent à  prendre pied en plusieurs endroits-ce qui scellait le sort de la bastide.
La bataille étant maintenant gagnée, Valentine pouvait essayer d’aller aider une personne spécifique. Elle ne se trouvait pas dans le groupe attaquant la bastide sud…Était-elle morte, blessée, ou parmi les plus petits groupes de combattants, qui se livraient à  des escarmouches sur le reste du champ de bataille ? Ce fut dans la bastide nord que Valentine trouva Lara…
La seule personne, dans sa petite armée, avec laquelle elle avait des rapports au-delà  de la question seigneur-vassaux (qui n’excluait pas l’affection, loin de là â€¦en général. Dans le cas de Valentine, sa relation avec nombre de ses chevaliers était un peu difficile, à  tout le moins)
Lara était engagée en combat singulier avec un fantassin bien armé du Covenant-un sergent d’armes, sans doute le combattant encore envie du rang le plus élevé. La pauvre Lara devait l’affronter pour se valoriser devant Valentine, du moins selon cette dernière. Et le fait était que Lara était en train de perdre ce combat, et ce d’une façon assez flagrante.
Lara, honnêtement, ne s’en sortait pas trop mal, mais sans aide extérieure, il était évident que ces chances de survie à  long terme étaient minces. Même si Valentine s’était arrangée pour que son maître d’armes donne à  Lara quelques leçons d’escrime, il n’en demeurait pas moins que le cÅ“ur de sa formation avait été l’entraînement, très sommaire prodigué aux fantassins.
Lara était de la «piétaille» après tout, et d’un point de vue de commandement, remplaçable sans difficulté. Le fait que Valentine considérait, elle, que Lara ne pourrait pas être remplacée par un autre paysan, était quelque chose compliquant sensiblement cette relation.
Alors que Valentine se préparait à  lui venir en aide, le combat prit fin, plutôt subitement. C’est avec une certaine irritation que Valentine constata que Lara avait finalement tué son adversaire avec une arme des plus déloyales-un pistolet, qu’elle avait récupéré sur le champ de bataille…si elle ne l’avait pas sur elle auparavant, en dépit des très claires instructions de Valentine, qui proscrivait l’emploi de ce genre d’armes, peu importe les circonstances.
Une arme à  feu, après tout, c’était quelque chose de…vulgaire. Il ne fallait aucun talent pour l’utiliser. Pointer, presser le dispositif enfonçant la mèche. Et même le plus preux des guerriers pouvait périr. (au delà  des points de talent, de noblesse de la carrière militaire, et autres termes utilisés par les premiers concernés, il y avait aussi le fait très simple suivant. Une arquebuse ou un pistolet avait un maniement qui ne prenait que quelques jours à  maîtriser. Il fallait des années pour entraîner un chevalier de façon adéquate….
La colère de Valentine tomba dès que Lara tourna son visage vers. Tant que Lara demeurait en vie….Lara semblait plutôt contente de la revoir, ce qui radoucit encore Valentine…
Lara avait bien des choses à  dire à  Valentine-en particulier au sujet des ordres suicidaires qu’on avait donné aux fantassins, soit d’emporter la position ou d’être pendus, mais…cela pouvait attendre, un peu. Il y avait une priorité absolue, en ce moment….
«Le mage»…finit par dire Lara, qui haletait. «Il s’est retranché dans la tour…»
La «tour» en question était une construction en ruines, en retrait des positions de campagne du Covenant. Il s’agissait d’une tour dont la construction n’avait pas été motivée pour des raisons essentiellement militaires-un poste de surveillance, avant tout à  des fins fiscales-du temps d’Andoral, le trafic fluvial était florissant, et cette tour servait de poste de péage pour les barges : une chaîne pouvait, depuis la tour, être tendue, bloquant toute barge ou nef.
Ce fut en voyant cette tour que Valentine eut un pincement au cÅ“ur. Lara ne lui reparlerait jamais de ça, mais…l’erreur existait toujours. Lara avait formulé, alors que l’armée arrivait sur l’Arno, une suggestion que Valentine avait écartée-envoyer discrètement un commando de l’autre côté, en utilisant cette fameuse chaîne, qui était alors tendue. Opération difficile, mais réalisable, l’ennemi ne sachant pas encore que la Ligue était si proche. Une fois de l’autre côté, le commando aurait pu se fortifier là , en attendant que des renforts arrivent : la chaîne, par exemple, aurait pu être utilisée pour installer un bac…C’était un plan comme un autre, qui aurait pu fonctionner. Mais Valentine n’avait pas aimé le concept, qu’elle jugeait beaucoup trop sournois. Elle avait perdu tellement de temps à  en discuter que lorsque l’idée avait été finalement acceptée, l’ennemi les avait repéré depuis longtemps…et la chaîne coupée.
«Un mage ? Quelle sorte de mage ? Devin ? Invocateur ? Enchanteur ?
«Milady, je n’en sais fout…je n’en sais rien, mais je crois que cela sera très désagréable à  expérimenter en personne…J’essayais d’aller…d’aller le faire taire, avant de….»
Généralement, un fantassin sachant qu’un utilisateur de la Magie était à  proximité aurait préféré se retrouver aussi loin que possible du susdit utilisateur. Le comportement de Lara à  cet égard était aisément explicable : Lara était très peu superstitieuse, ce qui était pratique…
En effet, nul ne comprenait réellement la Magie et son fonctionnement, mais un point était apparu assez clairement très tôt aux Humains après la Grande Guerre. À savoir que même les sorts les plus puissants, les plus mortels, comportaient une part notable d’illusion.
Quelqu’un refusant d’admettre l’existence de la Magie présentait une résistance très marquée à  un enchantement, pour ne pas dire une immunité. Ce fait, logiquement, voulait dire que la Magie était bien moins «réelle» qu’on le pensait à  prime abord (par exemple, lorsqu’on voyait s’abattre sur sa tête des lances de glace). Point qui n’empêchait nullement l’existence d’un nombre plus que significatif d’utilisateurs des Arts dans les différentes armées.
Mais voilà  : il était bien difficile de prétendre que le sort n’existait pas lorsqu’on sentait réellement des flammes brûler la peau…Ce n’était ni une question de capacités spéciales, d’entraînement, ou même de foi, mais bien de mode de pensée. Autant un puissant seigneur affichant un complet mépris pour les «contes à  dormir debout» pouvant s’avérer en fait des plus vulnérables, autant des personnes que rien ne disposaient à  la guerre pouvaient se révéler être passablement résistantes. Valentine se rappelait que lors des grandes émeutes de la capitale, il y avait de cela quelques années, une unité de chevaliers avait été taillée en pièces par un puissant Mage-alors qu’une unité de milice bourgeoise s’en était sortie avec «seulement» 95% de pertes. Peu importe la raison, Lara présentait, Valentine s’en était rendue compte il y avait des années, une remarquable insensibilité à  la Magie.
Cela aurait pu lui ouvrir les portes d’une grande carrière au sein de l’Église, dont l’attitude était un peu ambivalente à  l’endroit des Arts, surtout par rapport à  certaines écoles. Après tout, invoquer des créatures comme des démons, d’un point de vue religieux, franchement, c’était un brin sulfureux. Quelqu’un plus ou moins résistant aux «maléfices démoniaques» pouvait s’avérer des plus utiles pour aider à  l’appréhension de ce genre de personnes. Valentine, elle, était…était franchement vulnérable, à  ce point de vue. Elle avait bien des défauts, mais du courage. Cette vulnérabilité ne la fit pas hésiter plus de quelques secondes.
Suivie de Lara, elle se dirigea vers la tour, alors que cette dernière lui expliquait la situation plus en détail. Quand la Ligue avait finit par enfoncer les lignes, le mage (ou sorcier, évocateur) qui avait fait pleuvoir sur eux du feu infernal avait promptement pris la fuite. Lara avait essayé de le suivre, mais s’était retrouvée coincée dans une suite d’affrontements.
Pour se retrancher dans cette tour. Les drôles de lueur, les cris…indiquaient plus que clairement que l’individu ne se préparait pas à  servir une tasse de thé aux troupes de la Ligue.
Ce genre de cas était assez fréquent…Le mage devait être en train de demander de «l’aide».
À en juger par différentes histoires peu claires, l’aide qui venait en général était très efficace pour tuer tout ce qui bougeait, moins pour faire la différence entre des alliés et des ennemis.
C’est pourquoi nombre d’évocations se faisaient uniquement en situation réellement désespérée. Quand, justement, ça n’était pas si grave que ça, que la créature arrivant massacre tout le monde d’une façon remarquablement impartiale, parce que la bataille était perdue de toute façon. Pas une méthode pour renverser la vapeur, mais pour tuer le plus possible…
Le problème était que les mages utilisant les sorts d’évocation n’étaient pas nécessairement ceux qui avaient le meilleur équilibre mental (à  vrai dire, souvent, c’était plutôt des gens avec quelques petits problèmes de ce côté…Ce qui était facile à  comprendre : pour vouloir traiter avec de telles entités, il ne fallait pas être…normal, ou avoir des motivations normales. On n’invoquait pas les «légions infernales», et autres termes similaires, pour retrouver ses clés…
En tout cas, Lara et Valentine n’eurent pas tellement de difficulté à  avancer en direction de la tour, n’ayant à  affronter que quelque soldats du Covenant dispersés…Tant mieux. Avec la bataille autour de la bastide sud, Valentine n’avait pas un soldat de trop. Et même après que toute résistance Covenant ait cessé, ce qui arriva alors que Valentine commençait à  gravir les marches menant au sommet de la tour, il aurait été douteux qu’on puisse trouver rapidement des soldats prêts à  accomplir une telle mission. Alors que Lara s’apprêtait à  ouvrir la dernière porte, Valentine entendit très clairement une mélopée. Décidément, ça se présentait mal…
Elles prirent l’homme par surprise…c’est à  dire, il n’eut le temps que de lancer un seul sort, qui fit hurler de douleur Valentine….Lara, elle, avait trouvé une méthode particulièrement efficace pour éviter que l’individu complète son sinistre dessein. Elle criait. Hurlait. N’importe quoi. Juste assez pour couvrir la mélopée, déconcentrer…Et pour être sommaire, cette technique était assez fonctionnelle. Elle lui lança le premier objet qu’elle trouva. Il s’effondra à  côté de la table sur laquelle il travaillait avant-Lara vit quelque chose sur cette table qui…qui la fit voir complètement rouge, la rendit proprement enragée.
Quand le mage se releva, il vit que Lara était maintenant à  un mètre de lui, arme levée. Il leva le bras-un geste de protection, de reddition, ou d’une nouvelle évocation ? Difficile à  dire, et ce que Lara fit immédiatement après empêcha toute interprétation ultérieure.
Lara, quand Valentine reprit ses esprits, se tenait dans un coin de la pièce, dans un état de prostration presque complète. Elle…elle avait jeté un Å“il à  sur quoi le mage travaillait lorsqu’il avait été interrompu. Et cela lui donnerait des cauchemars
Valentine se tablait d’avoir des nerfs d’acier, d’être endurcie. Et pourtant, elle aussi alla vomir dans un coin après avoir vu ce qu’il y avait sur la table…une horreur absolue….
Plus l’Art était sombre, plus les composantes, les réactifs nécessaires pour mettre en place sortilèges et enchantements étaient soit sinistres, soit amusants. (différentes, euh…substances organiques…venant d’animaux exotiques, par exemple). Dans le cas actuel, par contre, il n’y avait vraiment pas de quoi rire. Le «réactif», notamment, bougeait encore. Et…et….
«…t…t….t….tu….s…s’il…vous….(la malheureuse arrêta de parler-ce qui restait de ses lèvres venait de…Valentine faillit tourner de l’œil…Ses mots étaient difficiles à  comprendre, mais la supplication dans ses yeux était très aisée à  interpréter. Elle voulait mourir….)
Dès que Lara eut repris un peu de ses esprits, elle alla donner quelques coups de pieds, très rageurs, sur le cadavre. Elle était folle de rage, et c’était très compréhensible. Valentine ouvrit la bouche pour formuler une protestation….et la susdite protestation s’étouffa dans sa gorge lorsqu’elle réalisa que la pauvre Humaine torturée respirait encore. Priant pour que Lara ne choisisse pas ce moment pour se retourner, elle ramassa nerveusement un couteau-ce n’était pas ce qui manquait-et…et l’utilisa. Les yeux. la dernière chose qui avait une forme plus ou moins Humaine sur ce qui avait été le visage d’une pauvre fille de la province de Nessara (si jeune que Valentine ne voulait même pas essayer de deviner son âge) se fermèrent, enfin.
Le silence de mort qu’il y avait maintenant dans la tour permettait d’entendre les bruits les plus légers. Les flammes…un liquide coulant goutte à  goutte dans un récipient (Lara et Valentine étaient trop choquées pour réaliser qu’il était peu probable que ce soit de l’eau…) Et surtout, de très légers bruits de mouvement, provenant d’une alcôve à  proximité….
«Il y a encore quelqu’un ici…» finit par dire Valentine. Et elle se prépara immédiatement au pire. Se pouvait-il que…l’invocation ait été un succès ?
Le fait qu’elles étaient encore vivantes, par contre, était un bon point…Retenant son souffle, Valentin s’approcha de l’alcôve, prête à  frapper ce qui en sortirait…
En écartant le rideau, Valentine tomba nez à  nez avec une très jeune fille. Quatorze ans, peut être, et sans doute moins. Elle regardait avec une perplexité non feinte Valentine…
Lara, qui suivait, un moment, eut peur d’être tombée devant une pseudo-amnésique. Un des plans (peut être un peu poétique, mais d’une…d’une idiotie sans pareil…) de Valentine avait impliqué, quelque mois auparavant, que Lara se fasse «découvrir», dans un état similaire, par un commandant du Covenant. L’idée était que le leader serait ému par sa détresse, et lui dirait peut être innocemment ses plans secrets. Le plan avait eu une fin assez prévisible. Lara ne s’était pas encore remise complètement de l’interrogatoire qui avait suivit.
Valentine s’était excusée en lui donnant une chaîne en or. Lara avait sourit, dit merci, puis fait ce qu’elle faisait avec la plupart des cadeaux de Valentine…elle s’en était débarrassé dans la première rivière venue. Il aurait été plus astucieux, elle en était consciente, de la vendre (Lara, toujours caustique, considérait que l’argent avait des pouvoirs magiques bien plus impressionnants que n’importe quelle magie. Un mage aurait été bien incapable d’invoquer de la nourriture du néant, alors qu’avec de l’argent, on pouvait très bien faire apparaître de la nourriture dans une auberge théoriquement vide, ouvrir une porte plus efficacement qu’avec un crochetage, se rendre invisible aux yeux de sentinelles mal payées, faire oublier à  des officiels véreux l’une ou l’autre infraction….) mais…Lara avait toujours eut de la difficulté, en dépit des pressions qu’on faisait sur elle, à  accepter ce genre de dons….
Heureusement, la fille devant eux, pour être visiblement assez perturbée, semblait consciente de la situation. Après que la surprise initiale soit passée, que Lara l’ait dégagée des entraves qui bloquaient ses mouvements, elle commença à  parler, assez confusément au début.
«Je…mon nom est Nahimah. Il…il est mort, n’est ce pas ?


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