Et voici la seconde partie :
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Christophe Gans vous répond en direct ! (2/2)
Ecrit par AlloCine le 14/04/2006 - 16h16 - Catégorie : Christophe Gans
Comment avez-vous fait pour pouvoir "échapper" en quelque sorte aux productions françaises et réussi à débuter votre carrière aux Etats-Unis, qui plus est avec une production aux ambitions mondiales telle que "Silent Hill" ? (Léo)
Christophe Gans : Ce qu’il faut savoir, c’est que "Silent Hill" est un film franco-canadien. C’est un film qui a été initié en France par un producteur qui est Samuel Hadida, par un réalisateur, moi-même, et dont l’équipe de base en partie constituée de français. Mon monteur et mon sound-designer sont français. Maintenant c’est un film qui ne peut pas exister sans l’apport d’une major américaine, en l’occurrence Sony pictures-Tristar, à hauteur d’un tiers du budget. Donc ce n’est pas vraiment un film américain. D’ailleurs il n’y a aucun américain au casting du film. Ce sont tous des acteurs canadiens, australiens ou anglo-saxons… C’est un peu du Canada-dry, ça en a la couleur mais ce n’est pas ça. Maintenant quand je vais tourner au Canada, je sais que fais un film avec un certain standard technique et visuel qui permet précisément à Sony pictures-Tristar de le sortir comme un film américain. La plupart des gens qui vont aller voir le film, que ce soit aux Etats-Unis ou en France, vont croire que c’est un film américain. C’est un film bel et bien français, en partie, dans sa production. Simplement, pour moi, la grande différence est le langage. "Le Pacte des loups" était un film français parce que c’était tourné en français. "Silent Hill" n’est pas vraiment un film français parce qu’il est tourné en anglais. C’est là que réside la vraie différence à mon sens.
Christophe Gans : J’ai été très très chanceux sur ce film. J’avais entendu beaucoup d’histoires sur la façon dont les exécutifs traitaient les films, l’expression des auteurs et la violence à Hollywood. « Silent Hill » est produit à un tiers par Sony Pictures Tristar, et ils ont donc un droit de vie et de mort sur le film. Je n’avais pas le final-cut, et j’étais censé leur livre un film de 110 minutes à l’origine. Quand j’ai présenté le film pour la première fois aux dirigeants de Sony, ils m’ont dit qu’ils n’allaient pas changé une seule image et que par la même la durée de mon montage, à savoir 2h06, serait acceptée. C’est exactement ma directo’s cut : rien n’a été changé. Les seules notes que j’ai reçues de Sony concernaient l’accent australien de Radha Mitchell et l’accent écossais de Sean Bean qu’il a fallu revoir en post-synchronisation sur quatre scènes. Nous sommes ensuite passé devant la MPAA, le comité de censure américaine. Je m’attendais à des coupes… Le film contient des séquences pour le moins brutales, notamment des séquences de violences d’ordre sexuel. Rien n’a été demandé, la MPAA a accepté la classification « R-rated » aux Etats-Unis. Pourquoi ? Simplement parce qu’ils ont pris en compte un certain nombre de choses : ce n’est pas un film avec des guns (il y a 5 balles dans le film et elles sont usées très vite, comme dans le jeu), c’est un film sur une femme qui descend en enfer pour sauver sa petite fille (un point jugé décisif aux USA mais aussi en Angleterre et en France), et enfin ils ont jugé que la violence avait une résonnance émotionnelle et non pas d’exploitation. C’est pour ça que la MPAA a laissé passer le film. Avant-hier, nous avons eu la surprise d’apprendre que nous étions interdits aux moins de 14 ans en Angleterre, qui est pays réputé pour avoir une censure très puissante : là aussi, je suis tombé des nues… Ils ont mis en avant exactement les mêmes arguments qu’aux Etats-Unis. Hier soir, la plus grosse surprise est arrivée : je suis interdit aux moins de 12 en France. Je laisse le soin aux gens de voir le film et ce que j’ai pu mettre dedans, mais soit je suis une poule mouillée et je ne connais rien au gore, soit j’ai énormément de chance. La censure française a constamment mis en avant que le film n’est pas un film d’exploitation et que le côté pictural des images fait que le film a une certaine tenue. Je dois recevoir dans la journée le rapport complet expliquant les raisons de cette décision. En attendant, c’est pour moi une énorme surprise, pusique j'avais annoncé dans la presse que le film serait sans doute interdit aux moins de 16 ans, car je connais les points sur lesquels la censure française rippe. Et il y en a au moins deux que je me fais dans les grandes largeurs, et apparemment c'est passé comme une lettre à la Poste. Tant mieux pour le film et pour mon distributeur/producteur, qui hier soir n'en pouvait plus de bonheur. C'est aussi une chance pour moi, car ça change la perspective du film en Europe, car nous allons du coup rajouter 100 copies en Angleterre et 200 en France. Je suis impatient de voir les avis des autres comités de censure, notamment en Allemagne qui est réputée pour être parfaitement sévère...
Sachant que Silent Hill s'est fortement inspiré de « L'échelle de Jacob », j'aimerais savoir comment vous situez votre oeuvre par rapport à celle d'Adrian Lyne, ne craignez-vous pas une comparaison ? « Silent Hill » étant un jeu qui propose plusieurs fins qui sont la conséquence de certains choix du joueur, a-t-il été difficile de choisir celle qui fut finalement retenue pour le film ? Enfin, « Silent hill 2 » est considéré par beaucoup de joueurs comme le meilleur de la série, notamment a cause de son tour de force narratif : seriez vous prêt à retentez l'expérience pour un 2e opus en cas de succès ? (Marc)
Christophe Gans : Est-ce que « Silent Hill » s’inspire fortement de « L’Echelle de Jacob » ? je ne pense pas. Je pense que « Silent Hill » s’inspire de deux scènes du film, une scène dans un métro et une scène dans un hôpital, qui sont assez saisissantes quand on les regarde et qui annoncent effectivement l’atmosphère de « Silent Hill ». Pour avoir discuté longuement avec Akira Yamaoka, « L’Echelle de Jacob » n’est pas la seule source d’inspiration de « Silent Hill ». La vraie source d’inspiration de cet univers est beaucoup plus picturale que cinématographique, notamment dans l’art moderne et les artistes surréalistes. Est-ce que je crains la comparaison avec « L’Echelle de Jacob » ? Pas du tout, car le sdeux films n’ont rien à voir. Personnellement, j’ai bien ce film, surtout sa version complète qui passe de temps en temps à la télé américaine. Je trouve le film très intéressante t très singulier. Je ne suis pas un grand fan de la fin au Vietnam, mais en même temps elle est intéressante car elle respecte l’idée qu’il y aurait dans cet univers parallèle différentes interprétations. Ce qui m’amène à votre deuxième question. Y-a t-il plusieurs fins dans « Silent Hill » ? Evidemment non, mais il y a plusieurs interprétations possibles quant à ce qu’il advient des personanges, et la fin est éminemment ambiguë, et je laisse à chacun le soin de se faire sa propre opinion. Pour moi, c’est une façon de répondre à la multiplicité des fins du jeu qui répondent à une multilplicité d’interprétation de cet univers. Quant à votre dernière question, j’aimerais effectivement retenter l’expérience de « Silent Hill » : maintenant est-ce que j’adapterais précisément « Silent Hill 2 » ? Je ne crois pas, même si j’aimerais personnellement. Par contre, je souhaiterais raconter la suite de l’histoire que nous avons commencé à raconter avec ce premier film, et introduire des éléments narratifs et psychologiques présents dans le deuxième jeu parce que c’est mon préféré parmi les quatre jeux. D’ailleurs, c’était celui que nous voulions adapter au départ avec Roger et Nicolas…
J'aimerais savoir M. Gans pourquoi ne pas avoir conservé les noms de "Harry Mason", "Rose Mason" et "Cheryl Mason". Nous avons pourtant le policier Cybil alors je ne pense pas que ce soit un souci de licence quelconque... Pourquoi donc avoir changé avec des noms pareil ? Harry Mason devient Christopher Da Silva !! Je trouve ça dommage car, en voyant la première bande annonce, j'avais bien cru comprendre que les noms seraient aussi fidèles au jeu... Je suis en plein désarroi devant le résultat... pouvez-vous m'éclairer ? (Francis)
Christophe Gans : Je lui conseille de ne pas aller voir le film parce que s’il est en désarroi devant le changement des noms il va se suicider quand il ira voir le film… Le problème c’est que, de toutes façons, pour pouvoir retranscrire correctement Silent Hill, l’ambiance, le côté délétère, étrange et impressionniste du jeu, je ne pense pas que c’est en faisant un travail de fanboy que c’est le meilleur moyen d’y arriver. Concernant le changement, je trouvais que le personnage de Harry n’était pas véritablement un personnage masculin mais après j’ai trouvé que c’était une vraie idée de dire « Voilà c’est le Silent Hill que vous connaissez, mais pas tout à fait ». Je voudrai souligner que Silent Hill existe sur plusieurs plans dimensionnels. C’est une ville où s’entrecroise différentes dimensions et chacune d’elle est une histoire en soi. Rien ne nous empêche de penser, et il y a même des preuves dans le jeu de ça que les personnages existent sous plusieurs incarnations différentes. Je tiens d’ailleurs à rappeler que Marie et Maria dans le jeu sont la même personne mais qui a éclaté. Allessa, on le sait tous, existe sous plusieurs versions selon les univers où on la rencontre. Donc je ne vois pas en quoi Cybil Bennet ne pourrait avoir plusieurs incarnations d’elle-même et exister dans plusieurs dimensions, puisque c’est un univers pirandellien. Pour moi « Silent Hill » n’est pas un univers plat. Ce n’est pas une seule dimension avec une histoire. C’est une construction avec des perspectives inattendues où les gens sautent d’une dimension à l’autre et changent d’une dimension à l’autre. Parfois même ils oublient ce qu’a été leur vie, comme Maria dans « Silent Hill 2 » qui ne se souvient pas de son mari quand elle le croise à nouveau. Donc les champs de perspectives à ce niveau là sont infinis, et avec Roger Avary on s’est aperçu que ce n’était une trahison de dire que dans notre dimension à nous Cybil allait avoir un autre destin que celui que nous connaissions dans le jeu, que Cheryl s’appellerait Sharon, et ainsi de suite… Pour moi le respect de « Silent Hill » c’est le respect de cette ambition, de cette complexité, et ce n’est pas le respect stérile de simples noms.
Je voulais vous demander si vous étiez fier de votre nouveau film et surtout quels seraient vos futurs projets ? (romain)
Christophe Gans : Je serai fier de mon nouveau film si les gens qui l’attendent avec autant d’impatience sont contents du film. C’est toujours la même chose : on fait des films, et à un moment donné on est obligé de présenter son bébé au public. A ce moment-là , on attend le verdict, et on veut savoir si notre bébé n’a pas un Å“il au milieu du front et une jambe plus courte que l’autre. Dans le cas présent, j’attends avec impatience les réactions du public pour savoir si j’ai des raisons d’être fier de ce film. Quant à mes futurs projets, si le film marche, je ferai, comme je l'ai déjà dit, un "Silent Hill 2". Et il y aura aussi une autre adaptation d’un jeu vidéo célèbre...
Est-ce qu'adapter un jeu vidéo a été une pression supplémentaire par rapport à vos précédents films (vis-à -vis des joueurs mais également vis-à -vis des autres) ? Quelles sont, selon vous, les attentes des joueurs pour ce film ? Y avez-vous été attentif ou vous êtes-vous focalisé sur la réalisation d'un film d'épouvante/horreur sans vous soucier de l'origine de l'histoire ? (Sebastien)
Christophe Gans : Adapter un jeu ce n’est pas comme adapter un livre. Pour moi adapter un jeu c’est parler d’un voyage qu’on a fait quelque part, dans un espace virtuel, un pays- virtuel dans lequel on est resté. On connaît par cÅ“ur tout ce qui s’y est passé. Je suis allé à Silent Hill, plusieurs fois. Je sais ce qu’il se passe quand on pousse telle porte, je peux vous décrire chaque pièce, ce qu’il y a sur les étagères… Je connais parfaitement Silent Hill. Il fallait tenir compte, en quelque sorte, de la mémoire collective de cet endroit. Evidemment chaque joueur a joué à Silent Hill à sa façon, et chaque vision de chaque joueur est la bonne. Il n’y a pas une seule vision et interprétation de Silent Hill. On ne peut dénier à aucun joueur d’avoir un vécu dans Silent Hill. Donc quand on s’est penché sur le problème de l’adaptation avec Nicolas et Roger, on a surtout essayé de trouver quels étaient les moments que nous avions tous connus dans Silent Hill : tel rencontre avec tel monstre, tel moment où la caméra fait un mouvement particulier, tel moment où la musique fait irruption, telle angoisse, etc. On a essayé de construire le film précisément sur ces moments collectifs pour être sûr qu’à un moment dans le film, le joueur reconnaîtra le Silent Hill qu’il a visité. Pour nous c’était la façon la plus logique d’adapter un jeu qui existe dans 16 millions de façon différentes dans la tête de 16 millions de joueurs.
« Le Pacte des Loups » est-il connu aux US ? (oim)
Christophe Gans : Sans flagorneries, le film est monstrueusement connu aux Etats-Unis. Il était sortie en VO sous-titrée sur une petite combinaison de 200 salles et avait rapporté plus de 20 milliosn de dollars. Ca a été une énorme surprise. Le film est encore plus connu au Canada où il est l’objet d’une sorte de « cult », pour une raison simple à comprendre : le Mohawk incarné par Mark Dacascos vient du Canada. Certaines personnes pensent même que le film est canadien. Le sous-texte lié à l’indien et aux guerres en Nouvelle-France fait que le film percute là -bas à un point incroyable. Quand je suis arrivé au Canada pour tourner « Silent Hill », tout le monde avait vu « Le Pacte des loups », en salles ou en vidéo. Si bien, les tirages DVD du film sont totalement épuisés, et le film va bientôt ressortir. D’ailleurs, ils ont même sorti le collector 3 disques, ce qui est un honneur insensé ! J’espérais donc pouvoir travailler incognito, mais non, « Le Pacte des loups » m’avait devancé… (Rires)
Où en est la production de « Rahan »? Comment se déroule-t’elle ? Connaissez-vous des difficultés particulières ? (Adeline)
Christophe Gans : Oui, je connais suffisamment de difficultés particulières pour annoncer que "Rahan" ne se fera pas avec moi. Il est clair que l’adaptation sur laquelle j’ai travaillé pendant deux ans ne convient pas aux télés françaises. Ils ne veulent pas d’un film d’homme préhistorique tel que je l’imaginais. Le problème c’est que mes hommes préhistoriques, et je dis ça sans ironie, ne sont pas blancs, ils ne parlent pas français, et ils sont peu chaudement vêtus… Autant de choses qui apparemment dérangent les décisionnaires des acquisitions des chaînes de télé. Et comme c’est un film qui était produit dans un certain système, il ne peut pas se faire sans l’apport de la télévision et des chaînes commerciales et câblées. Donc il n’y aura pas de Rahan par Christophe Gans. C’est sûr. Je le déplore. J’ai travaillé deux ans de manière acharnée pour le tourner. Je pensais que ça intéresserait les gens de voir ce film… J’ai tout de suite bifurquer sur "Silent Hill" que j’ai pu mener à bien. Ca ne veut pas dire que le projet Rahan est mort, mais en tout cas il ne se fera pas dans le souci de réalisme et de primitivisme avec lequel je voulais le faire. Le problème en France c’est qu’on a quelque chose qui est très bien, qui est la loi des quotas, qui oblige les télévisions à acheter à certain nombre de films français. Mais il y a quelques années, les chaînes ont réalisé qu’elles finançaient le cinéma français. Et donc, elles préfèrent aujourd’hui imposer aux producteurs un certain calibrage des films. C’est pourquoi on assiste de plus en plus à des films avec des acteurs issus de la télé. La télé demande maintenant au cinéma de faire des programmes télé. Hors, mes films ne correspondent pas à cette définition. C’est pour ça que Rahan n’a pas pu se monter en France, et c’est pour ça que mes prochains projets ne sont pas orientés vers la France. Je tiens à dire que pour l’instant, "Silent Hill" n’est vendu à aucune chaîne de télé ni câble en France…
Que pensez-vous de l'évolution du cinéma à l'heure actuelle avec le téléchargement et la hausse des prix dans les salles françaises ? (François 63)
Christophe Gans : Ce que je pense de l’évolution… Par exemple, Silent hill le film sort pratiquement dans tous les pays du monde entre le 21 avril et le 5 mai, pour la simple raison que nous avons peur du piratage, et du téléchargement du film. Ca nous oblige à beaucoup de sacrifices, notamment en termes de promotion et en termes de rapport avec le public. J’ai fini le film il y a une semaine et je n’ai donc aucun temps nécessaire pour travailler le film correctement, travailler les suppléments du DVD, je n’ai le plus le temps de rien ! On aurait aimé faire un livre, on n’a plus le temps. D’autant plus que les Américains ont réduit le temps entre le moment où le film sort en salles et le moment où il sort en DVD. Ca va nous empêcher de produire un DVD digne de ce nom sur ce film. Il n’y aura pas de bonus, de supplément, puisque nous venons à peine de finir le film et nous n’aurons pas le temps matériel de faire un beau DVD collector. C’est le problème auquel on se heurte… Les films téléchargeables m’empêchent à un moment donné de faire mon travail. Donc voilà … je finis le film, il sort sur les écrans à peu près partout et peut être dans quelques mois ou quelques années nous aurons le temps de faire des suppléments pour ré-edition… C’est assez décevant. J’aurai aimé faire ce que j’ai pu faire pour « Crying freeman », qui a mis une période de dix mois avant de sortir, ce qui nous avait permis de faire pas mal de choses. Mais le problème c’est qu’on est coincé… Voilà la première manifestation, à mon niveau, du problème des films téléchargés sur le net : ca m’empêche de pouvoir donner aux fans ce que j’aurais aimé leur donner. Aujourd’hui mon film est dans un tube, il est envoyé directement à l’écran et c’est tout… Et ça sera pareil maintenant pour tous les films. Je suis un grand collectionneur de films, et je comprends très très bien que des gens ne puissent pas attendre… Par exemple, le film va sortir en Australie en août, je suis persuadé que des mecs vont le « downloader », ils ne vont pas attendre tout ce temps là ! Ils vont télécharger un truc qu’un mec aura filmé dans une salle… ça c’est sûr ! Et le distributeur australien est dingue à cause de ça ! Heureusement, « Silent Hill » est un film en cinémascope fait pour être projeté sur des très grands écrans, ça se voit… Et je pense que même si le type le télécharge, il aura quand même envie de le voir sur un très grand écran. Mais on s’achemine lentement mais sûrement vers un nivellement des sorties en fonction de la sortie américaine qui va être dramatique pour la manière dont les films seront vendus et pour tout ce qui peut être dériver du film. Le DVD en quatre mois ce n’est suffisant pour faire un beau DVD. Pour le DVD de « Silent Hill », j’imagine, il va y avoir une petite <i>featurette</i>, un ou deux commentaires et puis basta… Mais moi personnellement, je suis assis sur plus de 300 heures de making-of, qui ont été filmés, mais je sais qu’on n’aura jamais le temps matériel de les monter. Tout le monde va se presser à sortir ça et voilà … C’est la nouvelle donne, la conséquence directe de tout ça. Maintenant, moralement, je n’ai rien contre les gens qui téléchargent, je les comprends, je comprends qu’à un moment donné ça vous démange…
A l'époque du "Pacte des Loups", vous êtes devenu, volontairement ou pas, le fer de lance d'un prétendu renouveau du film de genre à la Française. Qui n'a finalement (pour le moment) jamais décollé. Que pensez-vous de ce coup d'épée dans l'eau ? (grunt)
Christophe Gans :
Je sais qu'on a voulu faire du Pacte LE film du renouveau du film de genre en France. Quand j'ai réalisé "Le Pacte des loups", je ne l'ai jamais réalisé autrement que comme un one shot. A la fin du film, lorsque les deux héros jettent les cendres de l'Indien à la mer, que le bateau vogue vers l'obscurité et que Perrin va à la guillotine, c'est une façon pour moi de parler de quelque chose de révolu. Pour moi, le cinéma de genre français tel que j'avais essayé de le faire revivre avec "Le Pacte des Loups" était quelque chose de passé. Une chose morte. "Le Pacte des loups" est un film mélancolique, nostalgique de tout ça. Ce n'est pas un film de renouveau. Je pense que les gens disaient ça parce qu'ils étaient contents de voir un gros blockbuster français. Moi, je vois le film comme un film mélancolique. Le fait qu'il n'y ait pas de happy-end est une manière de dire qu'il n'y aura pas d'autre "Pacte des loups", par de renouveau de ce genre. C'est ma façon de voir le film. Moi, j'arrive avec des projets, des films de genres, populaires, avec des angles nouveaux. J'essaie à chaque fois d'exploiter un langage nouveau : le manga avec "Crying Freeman", les jeux vidéo avec "Silent Hill". Je n'essaie pas de me penser comme le fer de lance, comme le type qui entraîne tout le monde à sa suite. Je fais des films dans mon coin, j'ai autant de problèmes à les monter que les autres, si ce n'est plus. Je n'ai pas pu faire "Rahan" ni "L'Aventurier en France". Je ne suis pas enfermé dans ma tour d'ivoire en train de décider quel est le sort du cinéma de genre en France. Il n'y a pas de cinéma de genre en France, et il n'y en aura pas de sitôt. Il y a des films isolés, mais pour que le cinéma de genre existe, pour qu'il marche, ce n'est pas gagné. Et pour qu'on puisse exporter ces films, c'est encore moins gagné. Aujourd'hui, je fais un film en langue anglaise car je n'ai pas d'autre alternative que d'aller là -bas défendre mon point de vue. Je suis un Romanichel : je suis là où les choses se passent, là où les films peuvent se tourner. Si je devais attendre de tourner en France, je ne tournerais sans doute plus jamais. Il faut arrêter de se gargariser avec le cinéma de genre français. La preuve ? Des tas de réalisateurs français partent faire des films aux Etats-Unis ou au Canada, car ils ne peuvent pas les faire en France. Le cinéma de genre en France est une chimère. Les films qui nous intéressent, on les fait là où on peut les faire. Imaginez : je n'ai pas pu faire "Rahan" ou "L'Aventurier" en France, même après "Le Pacte des loups". C'est vous dire si c'est pas gagné !