Le fait que soit interdite la représentation du prophète et de Dieu, et cela vaut autant pour les Juifs que pour les Musulmans, consiste à vouloir empêcher l'idolâtrie, en d'autres termes la vénération de l'image plutôt que de Dieu. Cela est considéré comme particulièrement grave dans l'Islam (j'ai lu récemment un article dans Histoire & Religion de janvier 2006 sur la vénération des Saints dans l'Islam et les différences qu'il y a avec le christiannisme.... très intéressant d'ailleurs). Vénérer une icône ou une image revient à rogner la puissance de Dieu en le limitant à une infime fraction de lui-même, et donc l'insulter. Ne pas oublier que dans l'Islam, une vertu fondamentale est la soumission totale à Dieu et la reconnaissance de sa grandeur, car toujours dans la théologie, il a créé l'homme à son image pour avoir un vis-à -vis, de la compagnie en somme. Mais cette compagnie a le devoir d'être respectueuse.
Voilà , j'ai réussi à exposer la base objectivement et sans la polluer de remarques plus ou moins... enfin... pas convaincue (doux euphémisme).
Second point à avoir à l'esprit : la position actuelle de "l'Islam" (comme s'il n'y en avait qu'un...) est totalement dominée par le courant Wahabites (et mince, je suis sûre d'avoir oublié un "h" quelque part
). Pour les innocents qui auraient échappé jusqu'ici à la définition de ce courant, séance de rattrapage. Cette tendance théologique et politique (car l'Islam ne sépare jamais le social du religieux du politique... du moins à la base, maintenant, c'est vrai qu'il y a des tentatives pour concilier Islam et république, mais ce n'est pas la question) ... je disais donc, le wahabisme a été fondé courant 18e siècle en actuelle Arabie Saoudite, et n'a pas quitté le pays depuis. Entre autre chose, cette tendance ultra rigoriste se traduit par un durcissement de ... eh bien... à peu près tout. Le voile qui devait être un signe de pudeur et un moyen de protéger les hommes de la tentation qui risquerait de les détourner de Dieu (authentique... je ne peux pas vous citer la sourate, mais je l'ai lu... oui, j'ai lu une bonne partie du Coran...), donc le voile devient le costume intégral noir que nous connaissons à présent.
L'Islam wahabite est sunnite, c'est à dire qu'il se réclame du courant principal (quelque chose comme 85% des musulmans, rappel : l'Iran est chiite). Une particularité du sunnisme est d'être extrêmement attaché à la lettre, si c'est dans le texte, cela doit rester comme dans le texte. A l'inverse, le chiisme a une tendance plus "souple" dans le sens où l'exégèse (donc la discussion interprétative) est "autorisée" et reconnue. (Explication entendue sur France Culture)
Autre remarque encore sur le wahabisme (lu dans "La psychanalyse à l'épreuve de l'Islam", écrit par un musulman dont le nom m'échappe), ce courant a tendance à être dominé par le mythe de l'âge d'or (la période du Prophète), et donc, quelque part, les chefs de ce courant encouragent à être plus "royaliste que le roi".... d'où l'extréme rigorisme (pour ne pas dire plus) des positions.
Nous aboutissons donc à nouveau à la question de la représentation du Sceau des Prophètes (oui, avant Mahomet, y'en a d'autres
) et de Dieu.
La base de la religion, dans le texte dit : "pas d'idolâtrie". Donc logiquement, la caricature est forcément permise, puisqu'elle empêche l'idolâtrie.
Dans la suite de ce raisonnement, je pourrais ajouter qu'il existe dans les "Saints" de l'Islam (entre guillemet pour ne pas confondre avec les Saints chrétiens parce que vraiment, il y a des différences, sans connotation négative)... Une tendance, celle des "Gens du Blâme", il s'agit de Saints qui ont volontairement une attitude parfois licencieuse et provocatrice pour éviter que la population ne les vénère à la place de Dieu. Donc, logiquement, là aussi, des infractions ponctuelles à la pratique rigoureuse ou des provocations sont autorisées et acceptées dans le sens où elles doivent permettre au croyant de prendre de la distance par rapport au Prophète qui avant tout doit rester un homme comme les autres, n'ayant en fait que bénéficié d'une relation particulière à Dieu. En ce sens, là aussi, la caricature de Mahomet ne peut en rien être reprochée.
Ensuite, et cela ressort clairement en lisant le Coran, les obligations ne s'appliquent qu'aux Croyants, les autres iront rôtir en Enfer, ou avec un peu de chance pour les Juifs et les Chrétiens qui ont une vie honorable, seront sauvés.
Et donc toujours là , ce que font les Infidèles ne rentre en rien dans les choses sur lesquelles un croyant doive réagir ou se préoccuper.
Maintenant on peut en venir à discuter sur le fait que dans la Sourate de la Vache (oui, celle-là , je m'en souviens), il y a clairement des passages qui disent les cas dans lesquels on peut tuer. Oui. Dans le texte. Il est autorisé de tuer toute personne qui cherche à vous convertir. L'apostasie est punie de mort dans l'Islam. Et les missionnaires qui essaient de vous détourner de la Vraie Foi peuvent être trucidés.
On pourra arguer que le contexte du 7e siècle était celui d'une forte pression sur la nouvelle religion nécessitait d'avoir une position dure à l'égard de la "concurrence". Personnellement un appel au meurtre clairement signifié, et plus encore pour ce genre de motif, me choque profondément.
Maintenant nous arrivons à pouvoir ré examiner la situation actuelle.
1°) En représentant Mahomet, on choque les wahabites (qui ont depuis le 18e siècle largement dépassé les frontières de l'Arabie Saoudite, la majorité des missions musulmanes sont subventionnés wahabites). Pour eux, il est tout simplement interdit de faire une représentation de l'humain, et plus encore du visage. Que tout le monde se rappelle les Bouddha de Bamian (Afghanistan sous les Talibans), des trésors historiques explosés par ces %$£µ*# de fanatiques.
2°) En caricaturant Mahomet, on peut croire sans trop forcer la machine interprétative, qu'en fait ces chiens d'Infidèles cherchent à convertir les bons croyants en les faisant douter de leur Foi. Rappel : le scandale du livre de Salman Rushdie !! (bon, c'était un cas un peu différent, le centre de la polémique des Versets sataniques était une tradition rapportant que Mahomet aurait un jour été dupé par Satan qui lui aurait soufflé des versets... sataniques... Mais il s'en est rendu compte. Le livre se demandait "et si Mahomet avait été trompé une seconde fois ? ou davantage ? qu'est ce qui serait vrai ? juste ? ". La condamnation à mort de l'écrivain a été basée sur le fait qu'il risquait de faire DOUTER le fidèle. Et le doute, tout le monde le sait, est le premier pas vers l'apostasie, le plus haut crime, juste à côté de l'idolâtrie.
Et là , si vous avez réussi à suivre l'ensemble de mon raisonnement, vous vous rendez compte de la folie de la situation :
- On peut caricaturer Mahomet, mais uniquement si on est un ayatollah ou un ouléma. Si c'est un infidèle ou un musuman modéré, paf, on a le droit de le tuer sans sommation !! Oui, parce qu'on a le droit de provoquer seulement si on est irréprochable, vous vous rappelez ?
- Et de toutes façon, on ne peut pas arguer l'interdiction de représentation par caricature, puisqu'elle est fondée sur le risque d'idôlatrie... vous suivez toujours ?
En conséquent, le centre de la polémique n'est en aucun cas la représentation humaine MAIS
- le droit au doute et à la prise de distance par rapport aux fondamentaux dans l'Islam, avec le risque d'être rapidement accusé d'Apostasie !!
- la possibilité de vivre dans un pays où l'Islam est minoritaire, et donc comment faire pour cotoyer des Infidèles sans les tuer au premier soupçon de tentative de conversion menant à l'apostasie.
Conclusion ? Il est bien une question fondamentale en cause, mais ce n'est pas l'idôlatrie ou le respect, mais la crainte de l'Apostasie et donc des positions "hérétiques" dans une période où l'Islam a tendance à se vouloir monolithique sous la pression (euphémisme) wahabite.