Morgan Kane a écrit:
a mon sens, le désir de réforme de Louis XVI était des plus limité. Il était un humaniste mais pas favorable au boulversement de l' ordre social.
Excellent ingénieur, il était un mauvais politique, en tous les cas pas à la hauteur du problème légué par son grand père !
Encore une fois, images d'Epinal. Les récentes recherches des historiens ont montré à quel point le sens commun avait forgé ex nihilo la majeure partie de la légende noire de Louis XVI.
Effectivement, c'était un humaniste, et même plus encore : élevé selon les standards des Lumières, il appartient, autant que Frédéric II de Prusse, aux "despotes éclairés", ces grands chefs d'Etat (certains n'occupaient pas le trône de leur pays, se "contentant" d'un poste de conseiller ou de premier ministre) qui développèrent au XVIIIe siècle une doctrine originale mêlant aussi bien les théories sur le pouvoir absolu héritées du siècle précédent et du modèle du Roi-Soleil, que les idées des Lumières.
Le despotisme éclairé peut être résumé dans cette citation d'un roi d'Espagne de l'époque (oublié le nom, désolé) : "Todo para el pueblo, pero sin el pueblo.", soit
Tout pour le peuple, mais sans le peuple. Le peuple dont il est ici question étant entendu comme la nation, le pays, bref l'Etat. Le souverain est la clef de voûte de cette théorie, et la solution à l'apparent paradoxe que l'on peut voir à vouloir concilier l'absolutisme et les Lumières... Le souverain est la personnification de l'Etat, ce qui lui donne tous les droits mais aussi tous les devoirs. Frédéric II voyait cela comme un contrat social avant l'heure, où la revendication de Louis XIV, "L'Etat c'est moi.", était à prendre non comme une marque de présomption sans bornes, mais comme la revendication d'une charge qui faisait du monarque le "père de la nation", le responsable du bien-être de ses sujets... d'où les pouvoirs considérables qui étaient les siens, nécessaires pour mener sa tâche à bien, et le train de vie qu'il s'accordait, "salaire" de ses efforts.
C'est du présidentialisme avec un siècle et demi d'avance, absolumment.
Pour en revenir à Louis XVI, ce dernier est donc dans ce courant politique. L'éducation de roi qu'il a reçu l'a formé à cette école de pensée, et c'est tout naturellement qu'une fois courronné, il va tenter de la mettre en oeuvre.
Savez-vous, par exemple, que c'est lui qui rétablit les Parlements dès son accession au trône, Parlements dont l'autorité avait été mise à mal sous Louis XIV, avant qu'ils ne soient purement et simplement supprimés en 1770-1771 sous le règne de Louis XV ? Les raisons de cet acte sont encore plus intéressantes : dans la théorie du despotisme éclairé que j'ai résumé plus haut, l'aspect monarchique absolu est tempéré par le refus de l'arbitraire propre aux Lumières. Les despotes éclairés voient donc les institutions comme les Parlements - pour rappel : les Parlements cumulent deux rôles, un législatif : ils vérifient et enregistrent les décisions royales, et un juridique, ils reçoivent délégation du souverain pour juger en son nom - comme des éléments indispensables pour encadrer le trône, entre autre par le pouvoir qu'ils ont de faire au roi des remontrances s'ils estiment ses décisions mauvaises, voire de refuser de les enregistrer... Bref, il s'agit ni plus ni moins que de contre-pouvoirs.
Autre aspect fondamental des Lumières sur les décisions politiques de Louis XVI : la lutte contre le système des privilèges. Surprenant ? Pas si l'on se penche sur la question de près.
Contrairement à ce que le sens commun propage, le roi n'est pas un noble. Du moins il ne l'est plus depuis que l'absolutisme est passé par là , et surtout un certain Richelieu, qui a royalement - c'est le cas de dire ! -préparé le terrain à Louis XIV.
Le roi est au-dessus du système des ordres, il l'englobe : ainsi par exemple, il est "Roi Très Chrétien", sacré et thaumaturge (pouvoir de guérison), Fils Aîné de l'Eglise : son autorité spirituelle est supérieure à celle de l'ordre ecclésiastique. Le pouvoir royal est détaché du pouvoir nobiliaire et lui est supérieur, fruit d'un demi-millénaire d'efforts des dynasties successives. Mais je m'égare.
Louis XVI ne considère donc pas la figure et l'autorité royale, ne se considère pas lui-même, comme relevant de la noblesse. Il relève de la nation dans son ensemble, et veut que celle-ci soit égale devant lui. D'où l'abolition des corporations par Turgot, et le soutien que le roi apporte à Calonne lorsqu'il tente de mettre en place une politique fiscale imposant tous les ordres, en 1787 ! Les exemptions et les privilèges, ciments de la société d'ordres, sont ainsi directement visés.
C'est précisemment la résistance de l'aristocratie qui va faire échouer ses efforts. Certes, on peut estimer qu'un Louis XIV aurait brisé l'opposition ; mais il était un souverain exceptionnel, en bien comme en mal. Louis XVI, lui, n'a certes pas ses qualités, mais cela ne signifie nullement qu'il soit perclus de défauts ! Dire que Louis XVI était faible car il a fait preuve de moins d'autorité que son aïeul Louis XIV reviendrait à dire que nous sommes tous des attardés car nous sommes moins brillants mathématiciens qu'Einstein... Etablir une exception comme la norme n'est pas une bonne base de comparaison !
Louis XVI échoue donc à cause de l'opposition aristocratique, sur laquelle il ne parvient pas à s'imposer. La convocation des Etats Généraux n'est, dès lors, pas un échec pour la royauté, bien au contraire. C'est l'opportunité pour le pouvoir royal de s'allier à celui Tiers Etats, qui d'un point de vue pragmatique a tout à gagner à soutenir la couronne : le roi, père de la nation, soucieux du bien général en tant que despote
éclairé, ne peut qu'être attentif au plus grand nombre... donc au Tiers Etat. Les représentants de cet ordre savent bien tout cela, ils savent comment le roi est considéré par la population (encore une fois, il faut dissocier le pouvoir royal du pouvoir aristocratique : si la population est de plus en plus hostile aux nobles, elle ne l'est nullement envers le roi, perçu comme je le décris plus haut) ; les Etats Généraux sont donc l'occasion pour le roi de mener à bien ses réformes, une "révolution royale" contre les deux premiers ordres, comme dit l'historien Jean-Christian Petitfils.
L'échec de cette alliance qui aurait changé l'histoire de France est encore un sujet de recherche pour les historiens, même si plusieurs causes semblent se dégager... La question est complexe, et je me contente de renvoyer au n° 303, paru en novembre 2005, de L'Histoire, ceux qui veulent en savoir plus. Le dossier central de ce mois était consacré précisemment à faire l'état des recherches historiques les plus récentes sur Louis XVI, et à montrer combien l'image d'Epinal du souverain benêt, faible et influençable, est fausse.
Pour en revenir à a fuite à Varennes. Son rôle est effectivement primordial, et cela se comprend aisément à partir des éléments que j'expose plus haut. La fuite du roi a surtout une portée sociale : le père de la nation abandonne ses enfants. C'est la racine d'un sentiment de trahison de la France par la figure royale, sentiment qui rendra possible l'émergence de l'idée de juger puis condamner le roi (qui a perdu tout caractère sacré et intouchable en ayant renié son rôle), et qu'exploiteront Robespierre et autres futurs Montagnards.