Jusqu'au bout, j'ai reculé l'instant de critiquer "Nanarnia". J'ai pourtant vu le film deux fois en excellente compagnie, mais... la convalescence est toujours difficile.
Expédions les bons points avec célérité : la musique, signée Harry Gregson-Williams, remplit son office. C'est principalement dans la mélodie du faune et assimilés que l'on retrouve une force évocatrice plus grande encore que les thèmes martiaux qu'il avait fourni pour les "Metal Gear Solid". Il y a là une véritable poésie, mais cela ne sauve pas le film...
Bon, voilà , c'était les qualités. La qualité.
Quant au reste...
Nous tenons là l'exemple typique du produit hollywoodien pré-formaté selon le cahier des charges en vigueur, refusant toute prise de risque. L'histoire originelle ne facilitait, avouons-le, pas le massacre aux tâcherons, avec toute cette première partie se déroulant dans notre monde, établissant les relations entre les protagonistes, nous les rendant humains. La réalisation s'en tire en drainant ces passages de tout ce qui pourrait constituer un embryon d'ambiance, en martelant au passage la morale nauséabonde du film : "Mais quand apprendras-tu à obéir ?".
[spoiler]Ce reproche résonne encore lors de la scène de la gare, qui constitue en soit un exploit : décor magnifique, plan sur les jeunes soldats partant à la guerre, adieux prolongés... sans qu'aucune émotion ne se dégage de la séquence. Encore aujourd'hui, je me demande comment ce prologue peut rater à ce point ses effets : on assiste à un bombardement de Londres et au départ d'enfants séparés de leur mère et cela est dépourvu de toute implication sentimentale. La photographie sans personnalité aucune et le jeu d'acteurs innommable ne suffisent pas à expliquer la profondeur de l'échec.[/spoiler]
J'ignore tout de la qualité du roman originel ; force est de reconnaître que le statut d'adaptation se fait clairement sentir dans les ellipses mal placées, les personnages à peine esquissés (aucun des protagonistes n'est travaillé) et les quelques morceaux de cosmogonie que l'on retrouve ici et là .
[spoiler]Tout au plus apprendra-t-on que la Sorcière Blanche a établi son règne depuis un siècle et qu'Aslan était là lors de la création de la magie... Supeeer, on sent le monde avec une véritable Histoire...[/spoiler]
Le scénario, allant de bêtise en bêtise et de mal en pis, est fort peu soutenu par un montage moyen qui a pour unique mérite de rendre le film dynamique.
Cependant, au-delà de la médiocrité ordinaire du "Monde de Narnia, Chapitre Premier : Le lion, la sorcière et l'armoire magique", le véritable drame vient des idées développées en sous-texte.
Nous l'avons vu, la grande phrase, le leitmotiv est "Mais quand apprendras-tu à obéir ?". Cela augure déjà du pire, et cela ne va qu'en s'amplifiant à mesure que le métrage avance. En réalité, le film est militaro-fasciste et furieusement phallocratique.
[spoiler]Du début à la fin, ce n'est que débauche de symboles phalliques mal assumés, jamais utilisés à bon escient, et les seules figures féminines positives sont des femmes au foyer : Madame Castor, bien sûr, maternelle en diable, mais aussi la mère de nos jeunes héros ou... les héroïnes elles-mêmes. Ne faisant usage de leurs armes qu'en dernier recours, les filles laissent la place aux garçons, des hommes, des vrais, en pleine découverte de leur virilité et des vraies valeurs guerrières. Désobéir à l'aîné, au chef ? Cela manquera de coûter la vie à Edmund, le cadet rebelle, personnage le plus sympathique de l'oeuvre, sous-exploité par un univers mal maîtrisé. Nos amis, d'abord épouvantés par la perspective de la guerre, apprendront qu'il faut exploser la poutre dans l'oeil du voisin pour sauver le monde.
Le scénario n'hésite pas, à l'occasion, à procéder à un révisionnisme de ses propres dialogues pour mieux coller au discours : Edmund est supposé "avoir vendu le faune Tumnus pour des friandises" alors que nous voyons clairement, dans l'entrevue précédente, qu'il dénonce par pure maladresse le "forfait" de Tumnus bien avant de recevoir les loukoums. Ou peut-être cette erreur est-elle voulue, afin de faire une maladroite et superficielle critique du "collaborationnisme" tout en épargnant le moindre réel péché à l'un des héros du film ?
Revenons sur les valeurs défendues. Les deux figures féminines dominantes, indépendantes, non liées sont négatives : il s'agit de la tyrannique gouvernante (personnage vite expédié, c'est une super-production hollywoodienne, pas "Oliver Twist" version Polanski, il n'est pas question de choquer le jeune public en montrant ses héros oppressés) et de la Sorcière Blanche. Condensant à elle seule toute la vision misogyne et caricaturale de la féminité triomphante, cette magicienne est un stéréotype maléfique (on pouvait s'y attendre) qui va très loin dans la symbolique castratrice : elle répand le froid (frigidité ?), pétrifie les guerriers, règne sur un peuple réduit à de fragiles et faibles "émasculés", manipule les bêtes les plus viles et les plus agressives pour arriver à ses fins, débauche les jeunes garçons en les étreignant dans son manteau de fourrure (postiche de masculinité ?), mais surtout, elle ligote et tond le lion magique, Aslan, avant de le sacrifier au paroxysme de son "plaisir" à l'aide d'un grand poignard.
Aslan lui-même est un sommet, tant il est inébranlable, royal, solaire, juste et sage, remportant au final la victoire sur la Sorcière Blanche en se jetant sur elle, la dominant de tout son poids...
Passons au cas de l'aîné des enfants. Grand, autoritaire, mais toujours pour la bonne cause, il se voit offrir une grande épée rutilante par une figure on ne peut plus paternelle, le Père Noël, et assume enfin son destin de roi en empalant un ennemi, malgré les lâches conseils d'une soeur pensant que l'épée ne fait pas le mâle. Il accède ainsi à une véritable amitié virile avec un centaure très musclé pour lequel il développera un attachement tel qu'il hurlera lorsque celui-ci se jettera à la mort. Ai-je besoin d'ajouter que son glaive vaillant ne faiblira jamais (au contraire de celui de son cadet) et que sa fière monture est l'unique licorne du film ?
Je ne dirai pas que les valeurs charriées par "Narnia" sont désuètes : ce serait minimiser l'ineptie.[/spoiler]
Bon, sinon, quelques séquences nanars et une fin inutile achèvent un film vain, triste, dont on ressort les larmes aux yeux... en pensant au prix du billet.
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