Et maintenant, on with the story (conformément à la loi Toubon : dessus avec l'histoire), du moins avec ce qui en est écrit à cette heure : le prologue et les deux premières scènes de l'acte I.
EDIT : corrections entrées (en gras).
Prologue
CLIO, THALIE, EUTERPE, THERPSICHORE, CALLIOPE, MELPOMÈNE, POLYMNIE, URANIE, ERATO. Les Limbes. Les Muses sont réunies en demi-cercle. Clio est au centre, les autres sont placées à raison de quatre de chaque côté et prennent la parole dans l'ordre, de gauche à droite. Chacune porte l'attribut de sa charge.
CLIO
Je ne saurais vous dire quand eut lieu cette guerre
Qui pourrait précéder l'enfance de la Terre
Ou bien nous parvenir d'un lointain Univers
Où muses et dieux ne sont plus que poussière.
Eut-elle même lieu, ou n'est-ce que chimère ?
Si je ne sais le dire, moi née de Jupiter,
La pièce est si terrible, si immense, si fière
Qu'il est de mon devoir d'avec mes huit soeurs chères,
Vous conter ce conflit, cette histoire première.
THALIE
Certes, tant il est vrai que dedans ce récit
On tint tant de grands rôles, on porta tant d'habits
Souvent trop grands pour l'un, pour l'autre trop petits,
Acceptant un dialogue par quelqu'un d'autre écrit
Ou bien le refusant, de liberté épris,
Faisant cependant face au drame d'une vie,
Seul dessur une scène qui ne peut être fuie,
C'est là une effrayante superbe Comédie :
Telle la loue la Muse du Théâtre, Thalie.
EUTERPE
Et combien admirable fut le rire de ceux
Qui, osant badiner lorsque noirs sont les cieux,
Firent si bellement, ô êtres courageux !
Dans les temps les plus graves, un contrepoint joyeux !
N'est pas humain qui est en tout temps sérieux,
Et dans cet affrontement meurtrier et affreux
Qui se fit en chacun, entre tous, en tous lieux,
Ceux qui encor riaient sont les braves qu'aux yeux
D'Euterpe il faut louer et admirer le mieux.
TERPSICHORE
à” l'horreur magnifique de la danse des corps
Qui se croisent et s'affrontent sous les règles du Sort :
Gracieux combattants de l'airain le plus fort,
Gracieuses combattantes belles comme la Mort,
La terrible beauté de tous ces cestiphores,
De tous ces coups adroits qui prennent leur essor
S'abattent et se heurtent, dedans ce grand décor,
Cette piste de bal digne du grand Stator,
Voilà ce qu'en tremblant admire Terpsichore.
CALLIOPE
On y voit tant d'ardeur, de bravoure et de gloire
Qu'il serait fort inique qu'on n'en chantât l'histoire :
Ah, éclatants combats ! Ah, grandioses victoires !
Ah, bravoures guerrières, spectacles grands à voir !
Ceux qui aux premiers rangs osèrent comparoir,
Voilà les valeureux, les martyrs du devoir,
Splendides paladins, qui meurent sans déchoir ;
Lorsqu'ils comparaîtront auprès de l'onde noire,
Calliope jurera qu'ils sont tous méritoires !
MELPOMÈNE
Eclatent dans ce drame et l'amour et la haine,
Chez ces damnés qui tant follement se démènent
Tandis que dessur eux, le Destin se déchaîne !
à” terribles dilemmes, épreuves inhumaines,
à” luttes égarées, espérance incertaine,
Toutes finalement face au Sort aussi vaines,
Quel déchirant spectacle nous révèle la scène !
D'aussi grandes horreurs, d'aussi profondes peines
Que dans les tragédies grecques ou bien romaines ;
Autant en applaudit qu'en pleure Melpomène.
POLYMNIE
C'est là mythique lutte, c'est là combat sacré
Qui oppose l'humain à la divinité,
La cruauté du saint et l'espoir du damné,
L'arrogance de l'un, cherchant à s'élever,
De l'autre la vindicte, le châtiment dernier.
Dans cette Apocalypse, où est la Vérité ?
Ce choc universel des âmes tourmentées
Qui embrase le monde de fatales clartés,
C'est ce que Polymnie veut en hymnes chanter.
URANIE
Ces étranges présages, obscures prophéties,
Ces augures et symboles, antiques manuscrits,
Ces cryptiques arrêts que dans les cieux on lit,
Qui guident de leur main ce trop fatal conflit !
Les étoiles l'annoncent, cela était écrit,
Par l'auteur du Grand Livre et les Parques aussi,
Sous ces signes sacrés, le Destin s'accomplit !
Fidèle tabellion des cosmiques édits,
Et donc de cette guerre, la rapporte Uranie.
ERATO
Et le feu, le vacarme, le chaos et le sang
Sont dedans les esprits tout comme sur le champ !
Quelles raisons, quel but ? Chacun va questionnant,
Et montre ses fiertés, et cache ses tourments,
à” la terrible épreuve que sont les sentiments !
Sois en paix avec eux, tu seras triomphant ;
Laisse-les te briser, et meurs fatalement !
De ces luttes intimes, menées secrètement,
Erato veut ici tisser et faire son chant.
CLIO
Adoncques ce récit si inquiétant, si beau
Relève de nous toutes ; j'y appose mon sceau
Ce malgré qu'il surgisse soudain, ex nihilo
Sans produire témoin, chroniqueur ou héraut,
Ne soit donc de l'Histoire ; et cependant Clio
N'entend pas qu'un récit si grand s'oublie sitôt.
Que ce drame éternel résonne donc haut,
Et qu'il inspire à tous le rire et le sanglot !
C'est assez discouru – levons donc le rideau.
Acte I
Scène 1
Le CHOEUR, une VOIX, puis LES HOMMES (dont deux ROIS, deux POLEMARQUES et CYRUS).
VOIX
Silence ! Pas un bruit ! Que se taise la voix
Du plus petit insecte comme du plus grand roi !
Que meurent les lueurs, et malheur à celui
Qui, mortel sacrilège, poignardera la nuit !
Ce qui céans repose, ô dépouille terrible,
A encor en le corps une flamme invisible.
Que les yeux se détournent, bannissez les regards,
Que nul cri ne le tire de son sommeil hagard !
CHOEUR
C'est ici la cité des puissances anciennes.
Pauvres débris de murs au milieu de la plaine :
Voilà ce qui subsiste de celle qui jadis
Était de l'Univers seule dominatrice !
Terribles messagers de ses dieux jaloux,
Ses héros immortels marchaient, subjuguant tout,
Et le Monde alentour, et tous ses vains mortels,
Tremblaient, car sa colère était celle du Ciel.
Eut-elle un ennemi ? L'a-t-on jamais défiée ? Si cela fut jamais, son nom est oublié, Détruit et dispersé, et rien dessur la Terre Ne peut en subsister, pas même sa poussière.
Homme ! Courbe le dos devant ses tours immenses,
Et prie pour ne pouvoir connaître sa puissance.
Cache-toi de ses yeux, de sa main meurtrière,
Pour ne jamais sur toi attirer sa colère !
Pour la Cité la mort est la sentence seule :
Et voir sa grand'bannière, c'est voir son blanc linceul.
Sans proférer un cri, sans pousser une plainte
L'Homme allait donc ainsi dans la nuit et la crainte...
(Pause)
Mais si l'Homme est débile, il est pourtant rusé
Et tout mortel qu'il est, nombreux comme nuée.
A la Cité jadis, il déroba le feu,
Et en fit dans la nuit un défi pour les dieux.
Par eux il fut puni, et ravagée la Terre :
Sous des cieux sanglants des millions succombèrent.
L'Homme vécut pourtant, car tel est son destin,
Aussi inexorable qu'était le lent déclin
De ces tyrans terribles ; mais si la Cité dort
Son long sommeil n'est pas celui qu'induit la mort.
Il leur souvient trop bien du goût de la puissance ;
Ils veulent encor savoir celui de la vengeance.
Dans leur sommeil inquiet, ces souverains antiques,
Leurs fatales bannières, leurs armes mortifiques,
Espèrent le réveil, l'aube d'un nouveau jour
Pour régner à nouveau, et pour régner toujours.
VOIX
Adoncques, pas un bruit ! Que se taise la voix
Du plus petit insecte comme du plus grand roi !
Que meurent les lueurs, et malheur à celui
Qui, mortel sacrilège, poignardera la nuit !
Ce qui céans repose, ô dépouille terrible,
A encor en le corps une flamme invisible.
Que les yeux se détournent, bannissez les regards,
Que nul cri ne le tire de son sommeil hagard !
De la Cité en ruine, que jamais nulle chose
Ne s'approche, sans quoi le réveil... Mais ! Qui ose ?
Scène 2
Le CHOEUR, une VOIX, LES HOMMES (dont un GUERRIER, trois ROIS, trois POLEMARQUES et CYRUS).
LES HOMMES
Entrent sur scène en chantant.
De par nos guerriers par millions,
De par nos lances,
De par nos sages de renom,
De par nos sciences,
Jusques aux derniers horizons
Notre puissance
Et notre civilisation
Déjà s'avancent !
Nul fief que nous n'ayons conquis
Par nos victoires,
Nulle bataille où l'ennemi
Nous vît déchoir,
Nous défions temps et oubli
Fermons l'Histoire,
Subjugons la Cité honnie
Pour notre gloire !
Notre étendard sur ces cercueils
Le passé gomme,
Ses secrets firent notre deuil ;
Jadis, tout comme
De l'univers, dira à l'oeil :
Tes maîtres sommes...
La VOIX et LE CHOEUR, se baissant en se couvrant la tête
Malheur ! Oh, le funeste orgueil !
LES HOMMES, occupant le centre de la scène et clamant
Oui, nous, les Hommes !
Scène 3
Plusieurs ROIS et POLEMARQUES, CYRUS.
CYRUS
Souverains et héros des plus grandes nations,
Il n'est plus temps d'avoir de vaines discussions.
La proie est devant vous, à vos pieds elle gît,
Pour qui nous abordâmes ce rivage maudit ;
Si quelqu'un d'entre vous sent faiblir son courage
Et ne veut point de part au final dépeçage,
Qu'il renonce céans au glorieux hallali
Qu'il retourne tremblant à sa débile vie.
Un GUERRIER Eh ! Que s'enfuient les fous ! On peut se conquérir Dans ces vieilles ruines...
Un ROI Le sceptre d'un empire !
Un POLEMARQUE L'arme de cent victoires,...
Un second POLEMARQUE Pillages, et maîtresses !
Un second ROI L'or qui fait la puissance...
Un troisième POLEMARQUE La gloire qui fait l'ivresse !
Un troisième ROI Bientôt nous serons dieux, souverains et héros !
TOUS, sauf CYRUS, sortent en courant et criant, enthousiastes : Oui ! - Courons ! - Place donc ! - Et au dernier les os !
CYRUS
D'abord moi, et puis moi, et enfin encor moi ;
Voilà tout ce qu'ils ont pour principe et pour foi.
Il suffit d'agiter un peu l'appât du gain,
De leur parler de proie pour provoquer leur faim.
Ah ! Allez donc, courez, telle la meute avide !
Allez, vains égoïstes, après ces grandeurs vides !
Tandis qu'ils servent seule leur pitoyable gloire,
Je vais donc seul aller servir notre devoir.
Dernière édition par Tovarich1917 le 20 Jan 2006, 00:27, édité 3 fois.
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