Issu de l'Age d'Or de la littérature fantastique étasunienne, le Cycle de Fondation regroupe cinq ouvrages et constitue, avec le dyptique des Robots, une des deux clefs de l'oeuvre de ce géant qu'était Isaac Asimov.
Isaac Asimov... de formation biochimiste, il commence à publier des nouvelles alors qu'il est encore à l'université dans des magazines spécialisés. C'est ainsi qu'un jour, il propose au rédacteur ce qui deviendra le premier chapitre du premier tome du cycle de Fondation...
Une idée force pour expliquer le propos du cycle : la psycho-histoire.
La psycho-histoire est l'étude des lois statistiques permettant de prévoir le comportement humain à grande échelle (lois établis à partir de l'étude de la sociologie, de la psychologie ainsi que des précédents - de l'Histoire donc). La psycho-histoire repose sur deux axiomes fondamentaux :
- l'échantillon traité doit être important. Très important. La psycho-histoire appliquée à un individu, à une dizaine d'individus, à une centaine d'individus... ne veut rien dire. De la même manière que les lois statistiques que nous connaissons aujourd'hui ne peuvent prédire sur quelle face un dé, lors d'un lancer isolé, va tomber, la psycho-histoire ne peut prédire le comportement d'un individu ou d'un groupe d'individus. Il faut traiter des ensembles immenses pour que les lois statistiques de la psycho-histoire soient applicables.
- l'échantillon traité doit autant que faire se peut être dans l'ignorance de la psycho-histoire qui lui est appliquée. Le minimum absolu est que l'échantillon ignore les résultats de l'analyse. Ceci bien sûr afin que son comportement ne soit pas faussé.
Ces deux axiomes définis, la psycho-histoire révèle tout son potentiel. Dans un premier temps, formiable outil politique ("Gouverner, c'est prévoir"). Mais surtout, en découvrant ce qui va se passer et pourquoi... il devient possible de modifier le futur, en introduisant de nouveaux facteurs dont on aura prévu l'impact et qui feront évoluer la situation dans le sens souhaité...
Hari Seldon, mathématicien et inventeur de la psycho-histoire, est citoyen de l'Empire Galactique. L'Homme a conquis et colonisé la galaxie entière. L'Empereur règne sur des milliards de milliards de millards de sujets, et à peine moins de planètes ; ses flottes spatiales, militaires et commerciales, assurent la cohérence de l'Empire, la première en faisant respecter la Pax Imperium, la seconde en servant de trait d'union au travers du colossal empire. La capitale, Trantor, accueille 40 milliards d'habitants, tous fonctionnaires, entièrement dédiés à la gestion de l'Empire ; sa surface entière est recouverte d'un seul et immense bâtiment...
L'Empire Galactique est le géant monolithique, inébranlable et éternel que l'Homme a rêvé pour manifester son éclatante domination de son environnement. Et pourtant... pourtant, un Homme ose prédire la chute.
Hari Seldon, se basant sur la psycho-histoire, annonce de façon certaine rien moins que le pillage de Trantor d'ici cinq siècles, et l'effondrement de l'Empire. Ceci, toujours selon la psycho-histoire, marquera le début d'une ère de ténèbres, d'ignorance et de recul de la civilisation qui durera trente millénaires avant qu'un nouvel Empire Galactique n'émerge. Mais Seldon a un plan. Un plan qui réduira l'interrègne à un seul millénaire... la Fondation. La graine insignifiante, plantée avec la coopération involontaire des autorités impériales qui veulent réduire le psycho-historien au silence, et qui suivra le Plan prévu par Seldon pour donner naissance au Second Empire Galactique...
L'idéd d'origine d'Isaac Asimov était de narrer l'interrègne, l'Histoire de la Fondation, jalonnée par les "crises Seldon" comme on nomme les événements charnières qui marquent la progression du Plan et l'évolution de la Fondation, qui s'éloigne peu à peu de ce qu'elle était à l'origine, se transformant lentement pour tendre vers la forme prévue par Selon.
Asimov va publiquer un certain nombre de nouvelles qui réunies formeront pendant longtemps "la trilogie de Fondation" : Fondation, Fondation et Empire, Seconde Fondation. A eux trois, ces livres couvrent environ le premiers tiers de l'interrègne...
De nombreuses voix s'élèveront pour réclamer une suite, qu'Isaac Asimov écrira "malgré lui" : deux gros pavés, Fondation Foudroyée suivie de Terre et Fondation. les événements de ces deux romans se déroulent au milieu de l'interrègne, et s'écartent sensiblement de l'idée d'origine (narrer l'Histoire de la Fondation en suivant le fil rouge de la psycho-histoire) sous bien des aspects... que je vais détailler maintenant.
La trilogie fondatrice (Fondation, Fondation et Empire, Seconde Fondation) suit un découpage qui s'explique par sa forme originelle : ce sont des nouvelles, publiées séparemment. La structure des chapitres est plus ou moins toujours la même : nous avons un prsonnage clef, ou dans certains cas (Fondation et Empire principalement) un groupe qui peut être considéré comme formant dans son ensemble un personnage entier, ses constituants n'étant mis en scène que suivant la facette qu'ils apportent à l'entité qu'est le groupe ; ce personnage est au premières loges d'événements d'une rare ampleur qui affectent en profondeur la Fondation ; il va tenter d'influencer sur la crise, parfois avec succès, mais sa réussite - si réussite il y a - ne sera due qu'au fait qu'il est en réalité le héraut des forces sociologies, politiques, économiques, etc. prévues par le Plan Seldon pour influencer l'issue de la crise. Dans le Plan Seldon, l'individu n'a de valeur que parce qu'il peut user de sa capacité décisionnelle pour faciliter le déploiement des forces susnommées, les facteurs qui font le Plan. En lui-même, il n'est rien !
Fort heureusement, la triologie évite la monotonie en mettant en scène le fait que l'issue n'est que rarement évidente, et surtout, que le Plan Seldon, si ses axiomes ne sont pas respectés, peut avoir des ratés... Bref, nous ne nous trouvons pas dans une ennuyeuse succession de dates et de brefs commentaires, loin de là !
Les deux romans. Ils tranchent de manière nette avec l'ancien "format". D'une part, ils ont été écrits en tant que romans, ce ne sont pas des "recueils" de nouvelles. Ceci se ressent dans la continuité, et surtout cela permet à Asimov de changer de manière radicale son approche narrative.
Les deux romans quittent l'approche "impersonnelle" du personnage-prétexte (témoin-acteur alternativement) pour narrer les événements historiques ; nous nous trouvons dans une structure bien plus classique avec des personnalités bien campées qui ont des motivations et des projets tout à fait humains, et non interragissant avec le Plan...
Mais surtout, le traitement du Plan évolue. Dans la trilogie originelle, les faits se passent à l'intérieur du Plan ; les deux romans montent un cran au-dessus, et traitent désormais du Plan lui-même. L'idée évoquée plus haut que le Plan Seldon est en fin de compte bien fragile et repose sur des règles très précises devient l'objet de l'histoire. Désolé de ne pouvoir être plus clair, mais je me suis promis de ne pas faire de spoiler dans ce post.
Conclusion. Le Cycle de Fondation, outre sa qualité de classique de son genre littéraire, fait montre d'une originalité certaine tant dans son idée fondatrice (la psycho-histoire) que dans l'application de celle-ci (jamais tenue pour acquise). Le Cycle présente une cassure très nette qui marque un renouvellement de l'ensemble avec une nouvelle orientation du propos de l'auteur. Bref, que du tout bon.
Je sais, c'est un GROS post. Mais il y a tant à dire. Maintenant, pour la discussion à proprement parler, je pense que les spoilers vont fuser.
_________________ Il est facile de distinguer les jours où je suis de bonne humeur de ceux où je suis de mauvaise humeur : les premiers, je me définis comme obscurantiste et professe que l'Humanité a désespérément besoin d'être ramenée au niveau technologique d'il y a trois siècles ; les autres, je me définis comme nihiliste et professe que le meilleur avenir auquel l'Humanité puisse aspirer, c'est une extinction sans douleur.
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