Je vais ici essentiellement évoquer le tome 9, puisque c'est d'actualité et que j'ai déjà écrit une critique très explicite.
Attention, cette critique est farcie de spoilers telle une dinde de Noël.
Le tome 9 du manga "Neon Genesis Evangelion" est un aboutissement. Les volumes précédents préfiguraient déjà le triomphe qu'allait être ce volet avant tout consacré à Kaoru. Sadamoto confirme que son univers alternatif est digne de dégager autant d'intérêt que les lecteurs lui en prêtent, les dessins sont sublimes et...
Okay, je blague.
Que ce soit clair : plus que tous les autres, le tome 9 affirme le statut de sous-adaptation boiteuse du chef-d'oeuvre d'Anno.
A l'évidence, Sadamoto travaille lui aussi à l'improvisation, en suivant vaguement la ligne narrative des épisodes, mais il n'a pas son talent. Du coup, les scènes s'enchaînent sans transitions ni véritable cohérence. Plus que jamais, il abandonne la suggestion et les concepts intrinsèques (l'une des forces du scénario d'Anno) pour des images trop démonstratives : la mère d'Asuka tentant de l'étrangler en est un exemple approprié. Certains passages semblent tout droit issus de ce que les
dark fics et le
waffy peuvent produire de pire.
Ici, l'une des rares qualités du manga, les dessins parfois plus soignés que ceux de la série, se décompose à grande vitesse. Sur certaines cases, Gendô Ikari est absolument hideux. Dans l'ensemble, les poses des personnages sont peu convaincantes, les proportions parfois déficientes, les expressions inadaptées et la structure des cases inique.
Les Evas sont plus encore démystifiées que dans les volumes précédents (on peut admirer l'Eva-02 en cours de réparation comme un vulgaire bateau en cale sèche) et se voient attribuées des armes d'un goût douteux telles que la double tronçonneuse. Sadamoto se trompe en dessinant les décors : à présent, l'école est située le long d'une quasi-route de campagne, l'écran géant montrant l'Ange des Oiseaux n'est plus le même, et tiens, à propos de cet Arael, l'envergure de ses ailes est bien moins grande que dans l'animé et il semble transporter avec lui un élément sphérique dont la nature et l'utilité m'échappent (peut-être Sadamoto a-t-il ajouté ce rond sous l'être céleste pour faire joli).
L'aspect le plus grave du manga est son caractère absolument OOC ("Out Of Character"). Cependant, on pourrait le pardonner si l'auteur fournissait une cohérence à son univers alternatif à "Neon Genesis Evangelion". Tel n'est pas le cas. Même en tenant compte d'une volonté de fournir des personnages différents de ceux de l'animé, leurs réactions et leurs expressions demeurent mal placées. Par exemple, Shinji réagit à peine à la mort d'un animal et Asuka fait des crises de nerfs alors que rien dans son évolution psychologique ne laissait supposer auparavant leur arrivée : cela rend l'aspect tragique de la condition de la jeune fille peu convaincant.
Achevons cet exposé édifiant avec la cerise sur le gâteau, l'élément parachevant la médiocrité du manga : le nouveau Tabris.
Sur la couverture, Kaoru Nagisa est pourvu du charisme seyant aux personnages. Il en est de même dans une page de garde de toute beauté où il tient un chat dans ses bras. Hélas, on le voit peu après survenir au coeur du manga lui-même.
Et là , c'est le drame.
Kaoru apparaît en jouant du piano (la Neuvième Symphonie de Beethoven, bien entendu). D'une part, on se demande d'où lui vient cette aptitude, d'autre part, tout lecteur avisé remarquera l'aspect insolite du piano intact dans un décor ravagé.
Le premier dialogue avec Shinji commence n'importe comment. Kaoru ne fait aucune référence aux Lilins ; l'auteur semble croire que cela révélerait directement la véritable nature du personnage... mais plus loin, il sème des indices dont la subtilité est équivalente à celle d'un troupeau d'éléphants dévastant l'organisation d'une convention d'animés.
Plus loin, les choses empirent.
Kaoru joue du piano.
Kaoru commande l'Eva-02 avec la fameuse double tronçonneuse au design d'une laideur achevée et dit à l'Ange de la Matrice Armisael qu'il doit être gentil et se laisser battre comme c'est prévu dans le scénario.
Kaoru s'entretient tranquillement avec la SEELE (comme dans la scène supplémentaire qu'Anno avait voulu pour l'animé... sauf que cette fois, il est sur une chaise dans une pièce sombre, bien moins charismatique).
Kaoru va voir le Third Children sous la douche pour chercher sa savonnette. Shinji, l'élu de son coeur, déclare "Je ne suis pas celle que vous croyez" et le repousse (???).
Kaoru surgit devant Asuka dans les toilettes des filles et y provoque un esclandre.
Kaoru pique les répliques que Rei aurait dû dire plus tôt dans l'histoire (par exemple, il lance à Asuka "Si tu n'ouvres pas ton coeur, l'Eva ne bougera pas").
Le summum de l'extase dans la médiocrité se déroule en fait dès les premières pages du manga, quand, sous les yeux du lecteur paralysé par une hébétude horrifiée...
Hum, calmons-nous et reprenons de manière plus civilisée.
Quand j'ai vu le chat, j'ai cru qu'ils étaient revenu au concept de base dans le projet Eva d'Anno, avant la réalisation de la série. "Le premier Ange à visage humain : un beau garçon avec un chat".
C'était avant que Shinji se plaigne. "Oh non, ce chat va me suivre jusque chez moi !"
Kaoru attrape le chat.
Et il serre.
"
CRUNCH !"
Colonne brisée.
Il relâche le chat mort.
"Tu sais, Shinji, c'est pas grave, il allait mourir de faim de toute façon."