(DragonNoir, tu veux de l'argumenté de ma part, tu vas en avoir.)
Le Japon, à l?heure actuelle, est un pays riche, industrialisé, que l?on peut qualifier de puissant. Mais sous quels aspects peut-on considérer cette puissance ? D?où lui vient-elle et quelles sont ses limites ? Et plus encore : est-ce que cette puissance est une puissance mondiale ? Par rapport à quels autres pays ? Le Japon est-il bien intégré dans l?espace mondial ?
Nous allons ici étudier les fondements de la puissance du Japon, soutenue en grande partie par son industrie, mais aussi par son organisation économique et sociale, et par son ouverture vers la mer, puis nous allons étudier ses aspects, vis-à -vis des pays de l?Asie-Pacifique, des autres puissances mondiales, et de sa propre puissance financière. Enfin, nous verrons les limites de la puissance japonaise, en étudiant sa concurrence, sa faiblesse politique, et son organisation du territoire inégale.
L?industrialisation a été un facteur important dans l?émergence de la puissance japonaise, pour ne pas dire un pilier. Le Japon a su développer des industries de toutes sortes, complémentaires, allant de l?industrie lourde et la pétrochimie, aux industries de pointe, sans oublier les produits manufacturés plus traditionnels : automobile, textiles, etc. Afin de faire face aux problèmes relatifs au manque d?espace inhérent au territoire japonais, les habitants ont su, outre la délocalisation dans les Nouveaux Pays Industrialisés (NPI), créer des Zones Industrialo-Portuaires (ZIP), où la plupart des produits pourront y être élaborés, et immédiatement être exporté. De même, les matières premières importées pourront y être immédiatement traitées, notamment dans le cas de la pétrochimie, ce qui fait de ces Zones Industrialo-Portuaires de véritables interfaces entre le Japon et le reste du monde. Cette organisation de l?espace utile japonais vient notamment compléter le système du « Juste-à -temps » (Kanban), visant l?idéal des « cinq zéros » : zéro panne, zéro défaut, zéro délai, zéro papier, zéro stock. De plus, le réseau de communication à très haut débit (Trains à grande vitesse, comme le Shinkansen, le « Japan corridor » ou le « Super express », ou le réseau autoroutier) permet une circulation optimale des hommes et des marchandises.
Cependant, il est nécessaire d?ajouter que le Japon dispose d?un système économique et social adapté aux exigences d?un capitalisme fort. Ainsi, dès l?ère Meiji, à partir de 1868, existaient les Zaïbatsu, conglomérats dominés par de grandes familles, qui servent de modèle aux Keiretsu, à partir de 1945 : il s?agit de grands groupes d?organisation triangulaire : banque, société-mère (Holding), et compagnies commerciales (Sogo-Sosha), faisant la promotion des produits de la société-mère. De plus, le Japon comporte bon nombre de Petites et Moyennes Entreprises (PME), ayant trois rôles fondamentaux : la sous-traitance, l?artisanat, et l?industrie de pointe. Cette organisation économique est soutenue par un subtil interventionnisme d?Etat. Le Ministry of International Trade and Industry (MITI) élabore des études de marché, conseille les entreprises japonaises, créé des plans d?économie d?énergie, encourage à la Recherche-Développement (R.-D), et favorise les secteurs d?activité prioritaires. De plus, le Japan External Trade Organization (JETRO) se charge de la promotion des produits nationaux. Ensuite, la société japonaise dispose d?un niveau d?éducation élevé (Les ouvriers les moins qualifiés disposent tous d?un diplôme de type baccalauréat). Elle se fonde sur une hiérarchisation omniprésente (Entreprise, à l?image de Stupeur et tremblements, d?Amélie Nothomb, famille, Etat, notamment), et le patriotisme (pour reprendre le titre d?une nouvelle de Yukio Mishima) est présent à tous points de vue : les japonais consomment essentiellement des produits nationaux, respectent leurs entreprises et travaillent beaucoup dans la semaine et dans l?année (D?où une relative absence de contestation sociale).
Enfin, l?une des raisons pour lesquelles le Japon est un pays puissant, est qu?il est depuis longtemps tourné vers la mer. L?insularité (Plus de 3400 îles et 30 000 kilomètres de côtes) a permis un développement considérable de la pêche (13 millions de tonnes de produits marins pêchés par an), et bien que son territoire soit de superficie moyenne (378 000 km²), son espace maritime est très étendu. Sa position au sein de l?Asie-Pacifique est idéale : sa proximité avec tous les autres pays d?Asie du Sud-Est et (Chine, Corée du Sud, Singapour?) facilite grandement les échanges, d?autant plus que, dans la seconde moitié du XXème siècle, jusqu?à aujourd?hui, l?économie japonaise est essentiellement tournée vers l?exportation.
Le développement d?un tel système au Japon a permis à celui-ci d?obtenir une grande puissance mondiale, jouant plusieurs rôles selon les régions.
Le Japon est une puissance motrice en Asie-Pacifique. Au cours des années 1950 à 1990, le pays du soleil levant a délocalisé nombre de ses activités dans les proches pays d?asie : Parmi les quatre Dragons (Singapour, Hong-Kong, rétrocédée à la République populaire de Chine en 1997, la Corée du Sud, et Taïwan), les trois Tigres (Malaisie, Indonésie, Thaïlande), entre autres, notamment pour les produits à faible valeur ajoutée, en raison du faible coût de la main-d??uvre locale, contribuant au développement de l?économie des pays concernés. Ainsi, les plus proches pays devenant plus riches et augmentant le coût de leur main-d??uvre, le Japon leur a délégué des secteurs d?activité plus complexes (Produits de moyenne valeur ajoutée), et en délocalisant les précédentes industries vers les pays voisins, et ainsi de suite. Au final on peut tout à fait parler de vagues d?investissements, ou d?investissements en spirale, ce qui a accentué le développement économique de toute la région (Le Japon fournissant des crédits à ces pays, et leur vendant ses produits à forte valeur ajoutée). Le modèle japonais a permis ce que l?on appelle en termes économiques l? « Asiatisme ». Certains de ces pays se réclament d?ailleurs officiellement d?influence japonaise, si bien qu?il est pertinent d?affirmer que le Japon est devenu un modèle économique au sein de la région Asie-Pacifique.
La puissance du Japon ne se cantonne pas à cette seule région. Depuis sa reprise économique fulgurante durant les Trente glorieuses, le Japon est avant tout devenu une grande puissance mondiale, d?une importance comparable à celle des Etats-Unis d?Amérique et de l?Union Européenne. Le Japon est l?un des trois pôles de la Triade, terme géographique regroupant ces trois derniers ensembles, et qui représente 80 % de la production mondiale, et 80 % des Investissements Directs à l?Etranger (A raison d?un total annuel moyen de 1002 milliards de dollars entre 1998 et 2001, pour l?ensemble du monde). Le Japon investit et exporte massivement dans ces pays (Usines Toyota à Valenciennes, en France, ou dans d?autres pays de l?Union Européenne, échanges de capitaux entre Renault et Nissan?). La puissance des entreprises japonaises est comparable à celle des Etats-Unis. Plus d?une centaine des 500 plus grandes entreprises mondiales sont japonaises. Toyota est la seconde plus grande entreprise automobile du monde, en termes de Chiffre d?Affaires (CA).
Ensuite, il est à noter que le Japon est la plus grande puissance financière mondiale : c?est le plus grand créancier. La population fortement épargnante (Les japonais mettent en épargne l?équivalent du budget de la France chaque année) a permis au Japon de compter 11 de ses banques parmi les 25 plus grandes banques du monde, et 6 de ses banques parmi les 10 premières. Le Japon, pays du « tout-exportation », investit dans tous les pays de la Triade. Enfin, ce pays est depuis longtemps intégré aux grandes organisations internationales, malgré sa défaite militaire en 1945 qui a dès lors réduit sévèrement ses courbes de croissance, avant une reprise rapide dans les années 1950. En 1955, le Japon intégrait le General Agreement of Tariffs and Trade (GATT) ; en 1956, il intégrait l?Organisation des Nations Unies (ONU), et, dix ans plus tar, l?Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE), sans oublier son rôle dans le G7, aujourd?hui le G8, regroupant les sept pays les plus industrialisés du monde, plus la Fédération de Russie.
Malgré tout, le Japon souffre de problèmes qui l?empêchent d?être une puissance mondiale à part entière, le condamnant, à l?heure actuelle, à n?être qu?une puissance incomplète.
Tout d?abord, pour évoquer les limites de la puissance japonaise, il est nécessaire de parler de l?effet pervers qu?a engendré ses délocalisations : l?émergence d?une concurrence féroce. Les pays dans lequel le Japon a délocalisé en premier (Corée du Sud, Taïwan) ont développé eux aussi des industries à haute valeur ajoutée, et surtout ont l?avantage d?être plus compétitifs que le Japon. Les Nouveaux Pays Industrialisés (NPI), malgré une dépendance financière pour certains, sont donc « dangereux » pour certains secteurs commerciaux japonais.
Ensuite, il est incontestable que le Japon, bien qu?il soit un géant économique, est un « nain politique ». Ce pays est sous la tutelle des Etats-Unis d?Amérique dès sa défaite en 1945, qui leur ont imposé une constitution préconisant l?absence d?une armée régulière, toujours en vigueur aujourd?hui. Les choses viennent à peine de changer, en 2003, avec l?envoi en Irak et au Cambodge de contingents militaires japonais (qui n?ont d?ailleurs pas de vocation strictement martiale, mais plus humanitaire). De plus, le Japon n?a pas de siège permanent au Conseil de Sécurité de l?Organisation des Nations Unies, malgré ses multiples demandes.
Autre point : le Japon, du fait de contrastes sévères dans l?organisation du territoire, aggrave la situation engendrée par son manque de place. Au final, ce pays est condamné à importer presque toutes ses matières premières. Outre ceci, la façade asiatique du Japon est dite « vide » (notamment à Hokkaido), alors que la façade pacifique est urbanisée à outrance, et que les ruines de la guerre n?ont su laisser place qu?à un amoncellement de tours et de zones industrielles polluées sur 1200 kilomètres de long.
Enfin, le Japon est atteint par une véritable crise sociétale, pouvant trouver une de ses sources dans une remise en cause du système éducatif, ou encore dans l? « occidentalisation » des jeunes japonais, engendrant une rupture générationnelle croissante. En effet, les tenues parfois extravagantes des jeunes japonais dans les quartiers « branchés » des grandes villes ne correspond certainement pas à l?image de rigueur que l?on tient de la société japonaise traditionnelle. Aujourd?hui, ce phénomène s?étend, et le terme de « hikikomori » a même été adopté sociologiquement pour désigner les « décrocheurs extrêmes » qui passent quasiment toute la journée enfermés chez eux à s?adonner à l?informatique ou aux jeux vidéos?
Nous voyons donc que le Japon est effectivement une grande puissance mondiale, basée principalement sur la force de ses industries et de ses capitaux, mais qu?elle est incomplète, du fait de sa concurrence, de sa faiblesse politique, d?une crise de sa société, et de son territoire, source de nombreux problèmes.
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