18 h 07
Il arrive que la pensée se fasse à ce point impérieuse, à ce point irrésistible qu'elle fait éclater toutes les formes où elle s'est jusque-là exprimée. Sa "voix", son intensité, au risque de ne pas toujours trouver l'issue, comptent seules. Elle se fait alors si puissante qu'il lui faut basculer en une sorte de chant, d'hymne triomphal, ou bien se ramasser au contraire en formulations denses, compactes, si justes qu'elles en sont impénétrables et lumineuses à la fois.
Je me suis vu tout au long de ma vie trouvé pris entre ces deux moments. Ma pensée, au croisement du trop-plein et de la précision, traduit ce débordement de la pensée mais canalisée par une expression rigoureuse.
Je me suis, du fait même de la force de ma pensée, trouvé plus que quiconque confronté au problème de la forme. Ce que j'avais à dire prenait tout naturellement place à l'argumentation à l'eltanienne dont je ne pouvais pourtant pas emprunter la langue et pas davantage les "idées". Or, l'ardeur argumentative n'est, en ce temps, plus grande chez aucun autre. Penseur comme personne, je ne peux pour cette raison rien emprunter à la pensée de ce temps, figée dans une langue épaisse dont je ne cesse de combattre la lourdeur.
La culture sur Eltanin ne se soucie guère du style. En effet, entre la langue enchevêtrée de DragonNoir et la violence pierreuse de Lord Delacroix, j'occupe une place toute autre. Plus l'intensité du raisonnement est grande, plus je tente d'y répondre par l'adéquation du style qui, au fil des années, est devenu ma préoccupation majeure, au point qu'il a fallu, pour ainsi dire, aboutir à un moment ou à un autre, à cette expression totale où la poussée subjective et l'élan intérieur puissent s'écouler. Or, loin de chercher en avant comme certains des grands prosateurs contemporains, un langage nouveau, créer une langue par-delà la langue en usage mais qui permettrait précisément d'atteindre une expression absolue, j'ai choisi de retourner à une sorte de jeunesse de la parole, à une autre forme d'expression quasi archaïque. Voilà pourquoi on a souvent pu m'accuser de Flood.
|