Où ai-je reproché aux
Silent Hill leur originalité ? J'ai dit que je trouvais le côté "hollywoodien" sous-exploité jusqu'ici, pas qu'il devrait devenir LA caractéristique de la série, ni même que certains épisode ne pourraient pas intégralement s'en passer. Le parcours de James, par exemple, était un jeu d'auteur, sans
rien, virtuellement, pour appâter le chaland ou construire une histoire dynamique. Et c'était très bien comme ça.
Je crois qu'à force de rechercher quelque chose de particulier dans
Silent Hill, on s'égare, et on refuse le renouvellement d'une franchise. S'il y avait un épisode sans cauchemar, sans hôpital ou sans infirmière, la série ne s'en porterait pas plus mal (et ça renvoie à la seule chose que je trouve actuellement sujette à critique dans
Homecoming : le manque d'imagination.
Je vais expliciter mon opinion en recopiant ci-dessous ma prose du forum Silent Hill Destiny, un brin retouchée et restructurée.
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De partout, on aperçoit des critiques : "
Hé, on peut faire des roulades", "
Les monstres sont moins abstraits", "
Qu'est-ce que Pyramid Head fout là ?", "
Toutes les 'nouveautés', elles sont pompées du film", "
On dirait que le héros n'a aucune psychologie", "
C'est du bourrinage", "
On dirait que l'on joue à un jeu d'arcade", "
Pot-pourri d'éléments du film et de toute la série", "
Oh, une porte-vagin, quelle subtilité dans le symbolisme", "
Arrêtez de mélanger Silent Hill et Resident Nanar 4"...
Toutes ces piques sont exactes, nul ne le niera.
Cependant, il est possible d'être enthousiasmé par cet épisode, et de l'attendre à bras ouverts... même avec impatience. À cela, trois principaux arguments :
1) La survie de la sérieAvant l'adaptation cinématographique,
Silent Hill était une franchise morte, ou peu s'en faut.
Christophe Gans a écrit:
Par exemple il était vital pour Yamaoka que le film se fasse dans la mesure où Silent Hill 5 n'avait pas reçu de feu vert. Comme chacun sait, les budgets des jeux vidéos n'ont cessé de grossir, et l'imminence du film pouvait convaincre Konami de valider financièrement un cinquième Silent Hill. Il y a donc beaucoup de choses à dire qui relèvent à la fois de la mythologie de Silent Hill, mais aussi de sa viabilité commerciale. Le jeu a beaucoup de succès dans les pays anglo-saxons, comme les Etats-Unis et l'Angleterre, ou encore en Allemagne. Mais il faut savoir qu'il s'en est vendu à peine quelques milliers en France... tout comme au Japon où Silent Hill n'a aucune viabilité commerciale ! C'est un jeu très ésotérique pour beaucoup de gens...
(Source :
DVDrama.)
Le problème est sans doute dû, entre autres, au risque pris avec
The Room.
On peut supposer qu'au final, le quatrième épisode aura été extrêmement bénéfique, marquant l'univers d'une expérimentation énorme, déséquilibrée, souvent grotesque et déformée (à l'image des créatures ou des décors traversés). Nous ne sommes plus dans la réalité. Le jour où Henry s'est réveillé dans son appartement corrompu, la franchise a confirmé et radicalisé son orientation dépressive et anormale.
Cependant, sur un plan médiatique,
The Room a été semble-t-il mal accueilli. Alternant entre des teintes monochromes et des fluorescences destroys, d'impeccables modélisations de visages et des gros plans en vue subjective sur les murs grossiers et flous de l'appartement, imposant au joueur de refaire tous les niveaux (même d'une autre manière) et de fuir des créatures paranormales qui le touchent à distance, le tout additionné d'une maniabilité que bon nombre de personnes ont trouvé malaisée,
Silent Hill 4 a rebuté.
Bref...
The Room ou pas
The Room,
Silent Hill était à l'agonie.
Du coup, le tour que devait prendre la série était clair : avant de poursuivre (de manière expérimentale ou plus classique), l'Å“uvre devait opérer un retour aux sources et cimenter l'univers (
Silent Hill Origins) puis fournir une superproduction de calibre internationale. C'est là que nous entrons dans le vif du sujet, le cinquième épisode.
Qu'est-ce qui plaira à un large public ?
De l'action, de l'horreur bien violente qui prend aux tripes, du gore, un système de jeu où on comprend immédiatement comment on se déplace, où on tire avec aisance, où il se passe fréquemment des choses.
Bref, un peu du
Resident Evil 4, oui, ne nous le cachons pas. Mais si
Resident Evil 4 était médiocre en soi, et une déception par rapport à la série dont il était issu, ce n'était pas en raison de son système de jeu. Son interface genre "arcade" était l'une des plus instinctives qui soient, et quiconque s'est déjà fait assiéger dans le village espagnol saura qu'une toute nouvelle oppression peut se créer via des interactions renouvelées avec le décor. Le problème du jeu en question, c'était son univers et son scénario sans nul rapport avec la licence
Biohazard. Et également son côté ringard et nanardesque, incohérent, répétitif, mais là , il y aurait beaucoup à dire dessus... Ce n'est pas à toi que je l'apprendrai.
Ce n'est donc pas le système de jeu plus actif qui peut être mauvais, mais l'usage possiblement restrictif qui en est fait.
Pour le reste, le public a envie de retrouver le Pyramid Head du film, c'est bien naturel. Et de revoir d'anciennes têtes, histoire d'avoir quelque chose auquel se raccrocher dans cette histoire de fous. Donc, on ressort le Travis O'Grady du placard, par exemple.
Et il faut du grand spectacle, et une base assez claire pour l'histoire (j'y reviendrai).
Ce nouvel épisode doit être à la fois fondateur, fédérateur, définitif. Il n'a pas le droit à l'erreur. Et à ce titre, la nouvelle orientation "action" est compréhensible. Il faut que ça bouge, que ça soit long, libre, aisé, une expérience dont la fluidité ne fera qu'accentuer la viscéralité. Il n'est pas temps pour la subtilité.
Quelle importance si les monstres ressemblent plus à des prédateurs de films d'horreur qu'aux silhouettes caparaçonnées et sanglées dans des entraves impossibles auxquelles nous sommes habitués ? Si divers éléments sont repris du film et de tous les jeux de la série, apparemment sans souci de cohérence ? Cela ne fait, je pense, que fournir un indice que Double Helix nous prépare un jeu long, intense, et extrêmement dense. Un foisonnement, une compilation, un bilan, un concentré, bref, médiatiquement, une bombe.
2) Le studio de développementOh mince, ce sont des Américains qui ont été chargés de
Homecoming ! Ils n'ont sûrement rien compris à notre passion mystérieuse ! Ils vont saboter la série !
Non, la nationalité des développeurs n'est en aucun cas en rapport avec la qualité de la chose, il n'y a pas d'ingrédient magique, de démarche orientale impossible à reproduire, qui transfigurerait chacun des jeux de la série.
Silent Hill se sert très clairement de l'horreur japonaise, mais les divers composants de cette fameuse horreur japonaise ont été identifiés depuis longtemps ; de nombreux articles et ouvrages ont été écrits sur la question, et je vous y renvoie, par exemple quant à la nature souvent aussi organique que fondamentalement incompréhensible des fantômes ou démons. Maître Corbeau, toi-même, tu aurais des réflexions à détailler sur la question.
Ajoutons que l'une des principales inspirations de la série reste les États-Unis : la ville maudite y est située, tous les épisodes s'y déroulent, et les influences majeures (les ouvrages de Stephen King ou encore le film
L'Échelle de Jacob) sont originaires d'Amérique du Nord.
On peut non seulement affirmer que les Américains sont parmi les mieux placés pour s'occuper de
Silent Hill, mais aussi qu'ils y ont déjà réussi. Rappelez-vous de
Silent Hill Origins... Hé oui, un studio américain !
Il serait faux de rendre Double Helix, nos amis qui concoctent amoureusement leur
Homecoming (retour au foyer, tiens, comme c'est intéressant), responsable de l'éventuelle médiocrité du cinquième épisode. Parce que la Silent Team prend garde à sa franchise, et qu'ils ont par exemple débarqué chez Climax pour leur expliquer que
la première ébauche de
Origins ne leur convenait pas. D'où une profonde révision de l'Å“uvre, avec le succès dont l'on se souviendra.
Double Helix n'est que l'exécutant. Le cerveau et le gardien de
Silent Hill 5 demeure la Silent Team.
3) Le grand spectacle et l'apparent classicismeL'essence de
Silent Hill n'est peut-être pas totalement là où on l'attend, dans la bizarrerie et la sobriété, dans le glauque et les personnages désarmés face à un mal qu'ils ne peuvent affronter.
Bien sûr, il y a de ça, mais ce n'est pas tout.
Silent Hill, c'est aussi, parfois, un pitch clair et classique, et des enjeux quasi-hollywoodiens.
Songez au premier épisode : suite à un accident de voiture aux abords d'une ville balnéaire, un père doit retrouver sa fille. Mais l'endroit est devenu étrange, comme arraché de la réalité. D'étranges gouffres s'ouvrent dans les rues, une brume blanche s'est répandue, la neige ne cesse de tomber, et bientôt surgissent des monstruosités. Dans l'enfer que devient Silent Hill, en traversant des dimensions parallèles cauchemardesques, Harry Mason cherche obstinément Cheryl... et devra défaire le Démon pour l'obtenir.
Et
Silent Hill 3 ?
Ces bases scénaristiques sont l'occasion d'arpenter des environnements épouvantables et aberrants, de vivre des évènements anormaux, de croiser des protagonistes atypiques et tourmentés, d'éprouver une angoisse, une tristesse et d'autres émotions poignantes...
Mais ce sont avant tout des structures attendues, efficaces... Et c'est dans cette apparente facilité que le 1 et le 3 puisent leur force. Ils s'attardent sur autre chose, finalement, que les histoires du Culte. Le scénario est un prétexte, un voile pour toucher le joueur insidieusement. Au final, il se retrouvera bien plus perturbé par
Silent Hill que par n'importe quelle autre histoire de ville basculant dans une dimension parallèle, ou étant hantée par des esprits, des démons.
Oui, un
Silent Hill peut être à la fois un grand spectacle plein d'action, de roulades, de voitures qui valdinguent, de phrases nettes comme celles prononcées par Joshua (signalant qu'il est le responsable de tout), et une Å“uvre intimiste, touchante, tragique.
Et
Homecoming nous le prouvera.
Et
Homecoming permettra à la franchise de survivre, de se consolider tant culturellement que médiatiquement, et de nous offrir encore des années et des années d'expériences psychiques et émotionnelles hors du commun, de plongées dans les purgatoires personnels d'innombrables personnages.
Maintenant, quelques pensées, supputations et espoirs supplémentaires :
1) Silent Hill est encore plein de possibilités.Mon souhait personnel serait que l'on conserve un système de jeu "rigoureux" (du type des trois premiers
Silent Hill, et de
Origins) et qu'on ait droit à des innovations sur le
fond plutôt que sur la
forme. Voyez combien l'hôpital Brookhaven est différent par les yeux de Heather et par ceux de James. On peut parfaitement imaginer des mondes infernaux dont les parois sont faites d'une sorte de plastique translucide, ou d'autres pétris de glaise. On peut, à loisir, découvrir de nouveaux bâtiments cauchemardesques, aux architectures infâmes, de nouveaux moyens aberrants d'étirer et de distordre la réalité : une morgue gigantesque, toute blanche et argentée, perchée sur des pylônes tranchants et immaculés (spéciale dédicace à quelques personnes qui se reconnaîtront

), une route devenant une passerelle cabossée et percée de grands "globes oculaires" sans pupilles qui ne cessent de s'agiter, un lac Toluca rempli de rouages qui se déplacent par vagues. C'est également le cas pour les monstres, de nouvelles abominations, d'autres moyens de nier l'humanité, de confiner à l'absurde ou à l'abstrait, de lier la chair et l'acier, de confiner, d'entraver, d'enserrer les atrocités dans des cadres rouillés, des gangues matelassées, des gaines métalliques, des coques qui semblent faites de papier mâché...
Tout cela peut être facilement imaginé en fonction des mille et une psychoses et névroses dont peut être affligé l'esprit humain, de tous les traumatismes explorables.
Silent Hill est potentiellement immortel et infini, parce que ses limites sont celles de la psyché.
2) Où est passé le Silent Hill qu'on connaissait ? Hé bien, il est encore là ...À chaque nouvel épisode, Silent Hill n'est plus jamais comme avant, et c'est tant mieux. On veut que la série se poursuive, non ? Pas retrouver encore et encore exactement les mêmes émotions. Jusqu'à présent, chaque épisode a été différent, et c'est excellent. Même si le premier, le deuxième et le troisième conservaient grosso modo le même système de jeu, on ne peut pas dire qu'on y ressentait la même chose, ni qu'on y traversait les mêmes épreuves.
Si nous souhaitons retrouver une impression d'obscurité, d'égarement, de pur cauchemar incompréhensible et aussi sobre qu'épouvantable, reprenons les commandes de Harry Mason.
Si nous désirons plutôt une introspection dépressive, James Sunderland nous attend.
Pour la vengeance sanglante et l'environnement étroit et hostile, avec un début d'éclaircissements sur ce qui se passe exactement, Heather sera toujours là pour nous.
Etc.
3) La Silent Team est-elle aussi dégoûtée de Silent Hill que le public le croit ?- Yamaoka travaille toujours sur les musiques (et il faudrait voir s'il n'y a pas d'autres membres de l'équipe qui contribuent d'une manière ou d'une autre aux épisodes "américains") ;
- Ceux qui devaient partir sont
déjà partis voici longtemps, pour fonder la série
Forbidden Siren ;
- La Silent Team est intervenue pour corriger le tir en ce qui concerne la préquelle.
On dirait que depuis 2004, l'équipe "fondamentale" laisse la franchise croître, en digérant le semi-échec de
The Room, qu'ils voulaient expérimental et rafraîchissant, et qui a connu (d'après Maître Corbeau, que je crois sur parole) un accueil mitigé.
Cela fait quatre ans... Vous ne croyez pas, vous n'espérez pas qu'ils nous préparent quelque chose de grand ?
4) L'action dans les combats, est-ce mal ?Une seule perspective m'inquiète, que tous les épisodes "bénéficient" à l'avenir de mécanismes de jeu fondés sur l'action. Si
Homecoming ne fait qu'ouvrir la voie à une nouvelle génération de
Silent Hill bourrés de roulades et de coups de tromblon, ça sera sans moi.
Reste que j'aimerais bien trouver une certaine aisance dans les affrontements, pour tous les jeux futurs.
Car la plupart des créatures de Silent Hill ne sont pas redoutables, physiquement. C'est le "syndrome Biohazard" : un zombie, c'est super facile à esquiver, dans la réalité, c'est lent, putréfié, et se maintenir à distance, esquiver la chose, ne devrait pas poser de difficulté. Pourtant, dès que Jill Valentine (mettons) passait à moins d'un mètre d'un quelconque mort-vivant, elle se faisait saisir, sans espoir de s'enfuir. C'est stupide.
Je crois qu'une immersion supplémentaire naîtrait d'affrontements moins malaisés.