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Mon idole
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Auteur:  Loup Celeste [ 20 Jan 2005, 22:15 ]
Sujet du message:  Mon idole

Le cliquetis métallique de la mouche réveilla Joe, le tirant d?une sieste bien trop courte. Il rattrapa in extremis le bord de sa chaise, s?évitant une chute douloureuse. Joe avait la mauvaise habitude de prendre des positions pour le moins précaires lors de ces moments de répit qu?il s?offrait régulièrement dans la journée. Inconscient du drame qui se jouait, le petit drone continuait de voleter dans la pièce avec son insupportable ronflement. Joe pesta contre le maudit engin et lança un poing rageur dans sa direction, qu?il esquiva sans difficulté. Le fabriquant avait tout prévu.

-Rappelez moi pourquoi nous avons acheté ce robot de malheur, Linda ?
-Vous le trouviez amusant, monsieur. Et pratique pour annoncer les visites. Le visage familier de Linda se dessinait légèrement sur la surface du bureau. Elle ne portait aucune attention à  Joe, qui du reste dardait un oeil menaçant sur la mouche artificielle.
-J?ai pu dire ça, moi ?
-Alors, vous deviez être saoul, Monsieur
-Ca va, ça va... n'en dites plus pas plus. Qui s'est présenté ?
-Je ne sais pas, monsieur. Il devrait arriver à  '?instant.

D'une pression de la paume, Joe coupa le vidéophone et tenta d'arranger ses cheveux à  l'aide de la surface polie de l'écran. Satisfait de la silhouette qu'il devinait vaguement sur ce fond sombre, il s'installa pour attendre le visiteur. Sa chaise couina légèrement à  son retour, un modèle des plus banals, certes, mais d'une belle finition. Tous les sièges à  base de fluides divers, voire de suspensions magnétiques ne lui convenaient guère. Leurs concepteurs devaient ignorer la catégorie des amateurs de siestes, comme lui.

En fait, le studio dans son ensemble dégageait une vague sensation retro. De quelle époque, il n'aurait su le dire exactement. La plupart de son mobilier était neuf, mais d'un style, sinon d'une technologie obsolètes. Cela faisait baroudeur qui en a vu, espérait-il vaguement.

C'est le moment que choisit le visiteur pour se présenter. L'homme avait des airs de chauve-souris, drapé dans son grand manteau noir qui n'aurait pas dépareillé avec les vieilleries dont Joe s?était fait une nouvelle passion. Son visage fin était barré par des lunettes de soleil à  verre unique et Joe crut apercevoir quelques reflets métalliques au creux des oreilles. Encore un attardé de hacker mystique, songea-t-il.

-Vous êtes bien Joe Winfield ?
-C'est écrit ici, répondit Joe en désignant le mur derrière lui. Enfin, ça devrait... Il actionna promptement un interrupteur et son nom apparut doucement sur la surface immaculée.
-Le Joe Windfield ?
-En personne. Je vous connaîs ?
-Non. » Joe scruta le visage aux traits immobiles, presque entièrement dissimulé derrière le verre sombre et luisant. Il serra le poing sans s'en rendre compte.
-Mais... hum, asseyez-vous donc. » Joe s'empara d?un disque métallique qu'il lança en direction de l?inconnu. L'objet oscilla quelques instant avant de se stabiliser à  près d'un mètre du sol, tandis que le visiteur le considérait en silence.
-Système magnétique ? Je suppose que le sol contient la zone de commande, se contenta-t-il d'observer avant de s'installer sur l'embryon de chaise.

Joe, légèrement déçu par l'air blasé du hacker, croisa lentement les mains et les posa sur le bureau. Il attendit le temps nécessaire pour poser la question de circonstance à  l'énigmatique personnage.

-Que voulez-vous ?
-Racontez-moi votre histoire.
-Quelle histoire ? Celle de ma vie ?
-Vous savez bien laquelle, monsieur Joe Windfield.
-Appelez-moi Joe. Bon, vous devez connaître tout ceci, mais si vous le voulez... Comme vous le savez, on a montré en 2079 suite à  nombreux calculs que l'astéroïde HS230... HS238 entrerait en collision avec la terre. La certitude n'en a été obtenue qu'une centaine de jours avant terme.
-Rapidement rebaptisé Damocles par la presse. Susceptible de rayer quelques pays de la carte.
-Entre autres. Bref, vu le temps disponible, on a monté deux expéditions parallèles pour supprimer la menace. Un engin autonome lancé depuis la terre, et une navette en partance de Phobos II, la station martienne.
-Pourquoi avoir choisi une navette ? Avez-vous des idées à  ce sujet, monsieur Joe ?
-C'était la solution de secours. Celle qui n'éliminait pas...
-Le facteur humain.
-Un engin avec des gens à  bord. Aller voir aux confins du système avec quelques robots d'accord, mais sauver la terre sans intervenir en personne... Mars était bien plus proche ce qui rendait les choses plus simples pour cette seconde expédition.

Joe nota une légère crispation sur le visage de l'homme. Ce dernier tenta de revenir le plus vite possible à  l'impassibilité totale. Etait-il impensable de lire davantage dans les gestes de cet homme ?

-Continuez, monsieur Joe.
-Joe. L'engin autonome a été percuté par le nuage de débris que l'astéroïde avait emmené avec lui de la ceinture, ou par un corps quelconque. J'imagine que c'était inévitable. Quoi qu'il en soit, un des instruments de guidage les plus importants était hors service, et plutôt que de tenter une manoeuvre dangereuse, on a fait appel au Sentinel, l'autre engin. Placer les charges explosives au jugé sur Damocles aurait pu être un remède pire que le mal.
-Et c'est là  que vous entrez en scène.
-Oui, plusieurs navettes avaient été réquisitionnées pour surveiller et encadrer l?évènement. J'en étais, à  bord d'un Streyoz de transport. Une machine un peu sommaire, mais très fiable, vous pouvez me croire. Et un petit monstre de puissance, malgré son apparence pataude.
-Que s'est-il passé ? Le Sentinel a connu lui aussi un problème, insista l'inconnu d?un ton grave.
-On ne sait pas trop. On pense que le détonateur d'une des charges destinées à  détourner Damocles de sa trajectoire a explosé avant son déploiement. Sans activer la bombe elle-même, heureusement. L'équipage du Sentinel ne pouvait plus faire sortir les charges, ni utiliser son sas, bloqué par l'explosion. J'étais le plus proche et il ne restait qu'une heure d'ici la fin de la fenêtre de déportation. Alors j'ai rejoint le Sentinel, et dégagé la charge détruite en utilisant mon engin. Mais comme cela ne suffisait pas j'ai effectué une sortie expresse dans l'espace et libéré à  la main le mécanisme, avant de guider le Sentinel sur son objectif. Et c'est ainsi qu'ils ont fait leur feu d'artifice sur Damocles. Le caillou de malheur est parti vagabonder pour quelques millions d'années de plus.
-La terre était sauvée.
-On peut dire les choses comme ça, conclut Joe avec un large sourire. Mais vous avez du lire ça partout, naturellement.
-Lu et entendu.

Le hacker s'apprêtait à  ôter ses lunettes, mais se ravisa. Il s'approcha suffisamment du bureau pour pouvoir lui aussi y poser ses mains, fines et anguleuses. Joe nota une soudaine assurance en lui, à  la fois dans ses gestes et dans le ton des paroles qui suivirent.

« Monsieur Joe, j?ai fait moi-même mes propres recherches. J'aimerais entendre la version qu?on ne raconte pas dans les media.
-Vous allez vite en besogne, dites-moi.
-Je ne suis pas le seul... Joe nota le rictus de l?inconnu, mais ne voulut pas s?en alarmer outre mesure.
?A quoi faites-vous allusion ?

L?inconnu tira quelque chose de sa manche d?un geste vif, et un microdisk se retrouva sur la table, roulant pratiquement jusque dans ses mains. Joe leva les yeux vers le visiteur, mais aucune explication ne parvint. Il attrapa le disque et l?inséra dans l?emplacement prévu à  cet effet sans quitter l?homme du regard. La surface de son bureau brilla doucement et une image apparût progressivement, le représentant en couverture d?un e-magazine.

?Et bien ?
?Faîtes avancer les images, ordonna le hacker.

Joe s?exécuta sans enthousiasme. Les prises de vue du Sentinel et de son Streyoz se succédaient, entrecoupées d?articles racontant par le menu l?incroyable expédition. L?élégante silhouette de la navette contrastait avec le massif porte conteneur Eurasien.

?Où voulez-vous en venir ?
?Continuez. Avancez encore.

La voix du visiteur s?était élevée d?un ton. Brusquement, des clichés de la paroi du Sentinel apparurent. La surface était largement endommagée. On y devinait un impact large et visiblement peu ressemblant aux traces d?une explosion. Joe accéléra le défilement. L?album s?acheva brutalement sur une photo de son Streyoz, marqué lui-aussi d?une longue trace d?accrochage. Il eu brutalement envie de pousser un grand soupir.

« Que voulez-vous savoir ?
?Tout. Visiblement un détonateur n?a jamais explosé à  bord du Sentinel. Cette navette a été heurtée, monsieur Joe. Et votre Streyoz a lui aussi subi des chocs, ces photos le montrent sans aucune contestation. Et comme par hasard, vous avez du vous servir de votre cargo comme d?un bélier, si on en croit vos récits. Heureuse coïncidence, n?est-ce pas ? J?ajouterai que si vous vous étiez servi de votre appareil pour dégager quoi que ce soit, vous auriez utilisé le nez de l?engin, bien plus résistant. Ce qui ne concorde pas avec ce que nous venons de voir.
?Bref vous ne croyez pas en cette histoire. Et vous allez me voir directement ? Comme ça ?
?A quoi vous attendiez-vous, monsieur Joe ? A une dénonciation par voie de presse ?
?Trop dangereux d?attaquer de front le sauveur de l?humanité... Vous êtes venu pour négocier discrètement un arrangement quelconque avec moi.
?Vous êtes loin du compte, monsieur Joe. Je vais vous dire ce que je pense.
?Mais... je vous écoute.

Le hacker se leva et commença à  arpenter l?espace exigu du bureau à  grand pas nerveux. Joe baissa discrètement la lumière ambiante, afin d?apaiser l?atmosphère.

?Pour moi toute cette histoire qu?on raconte partout est faite de rebondissements rocambolesques et parfaitement improbables. Deux échecs successifs, la navette coincée, et libérée par un seul homme ? Le même homme qui guide la navette en perdition jusqu?au fléau céleste... vraiment une belle histoire. Faîtes de man?uvres périlleuses, de sorties dans l?espace interplanétaire. Même le temps était compté. De quoi enrober dignement la survie de l?humanité, ajouta-t-il en appuyant ces derniers mots.
?Ho, une fois revenu, ce n?est pas si facile de contrôler ce qu?on dit de vous...
?Je n?en doute pas. Mais laissez-moi continuer. Je pense qu?il y a eu un accident, mais pas celui qui nous a été décrit. Vous avez percuté la navette, n?est-ce pas ? Une fausse man?uvre, la tension due à  la mission, toute cette impréparation... Vous la percutez. Mais finalement tout rentre dans l?ordre. Vous parvenez à  vous dégager de la navette, et celle-ci peut achever sa mission.
?Je ne vois pas pourquoi on aurait fait de moi un héros. L?équipe aurait du le devenir, elle.
?Mais c?est là  qu?entre en jeu toute l?étendue de l?évènement ! La terre est sauvée, mais nos dirigeants ne songent pas à  ça. Ils ont de gros problèmes, voyez-vous. La terre est sauvée, mais dans quelles conditions ? Une engin hors service, l?autre ayant frôlé la catastrophe de peu. Vous imaginez le scandale ? De quoi aurait-on accusé les gouvernants, une fois l?euphorie de la réussite passée ? Un enjeu si important, et deux engins qui manquent d?essuyer l?échec de peu...
?Oui, j?imagine. Ce sujet a été abordé, d?ailleurs, mais cela n?a pas duré.
?Un peu, monsieur Joe. Juste un peu. Et savez-vous pourquoi ? Grâce à  vous ! On fait de vous le héros de l?affaire, et ce qui n?était qu?une réussite un peu bancale est devenue une haletante aventure à  présenter au public. Et une aventure a besoin d?un héros. Vous êtes devenus le héros, on ne pouvait que vous prendre vous, pour jouer ce rôle.
?On ne pouvait prendre que moi ? Je ne vois vraiment pas pourquoi.
?Parce que l?équipage était lié à  l?accident. Qu?il fallait un inconnu, un mystérieux sauveur surgi dans l?enchaînement des circonstances. Ces gens là  étaient des professionnels. On ne fait pas de héros de ces personnes, monsieur Joe, c?était là  leur mission. Mais vous, obscur pilote de Streyoz, vous surgissez, et reprenez en main la situation. De quoi faire la joie et l?admiration de tous, pour longtemps. Et personne pour entendre les critiques concernant les chances de réussite de cette mission et sa préparation indigne. On vous a fabriqué, monsieur Joe. On vous a inventé pour dissimuler l?impréparation des autorités, et incarner véritablement cet exploit de l?humanité.

Un lourd silence envahit la salle. Le hacker avait fini son discours et fixait Joe, les poings sur le bureau, l?air triomphant. Joe se leva à  son tour et le toisa sans se démettre le moins du monde. Au bout de quelques instants, l?inconnu finit par lever un sourcil interrogateur. C?est alors que Joe lui demanda d?un ton abrupt :

?Qui êtes vous ?
?Cela n?importe pas.
?Nous avançons. Et que voulez-vous, au juste ? Vous allez me menacer de raconter ça partout, vos photos à  l?appui ?
?Non. Je ne veux rien de tout ça.
?Alors quoi ? Qu?est-ce que vous venez faire ? Qu?est-ce que vous attendez ? Joe commença à  s?emporter, ce qui fit naître à  nouveau un rictus chez l?homme.
?Je veux vous entendre le dire. Que tout ceci est vrai.
?Pour m?enregistrer ? C?est caduc depuis la maîtrise des synthèses vocales, mon vieux. Même chose pour tous ces clichés. Vous n?irez nulle part, avec ça.
?Je veux que vous me le disiez.
?Vous dire ce que vous venez de lâcher ?
?Je veux que vous le disiez ! Dites que vous n?avez pas sauvé l?humanité !

Le hacker venait de se saisir du bras de Joe, qui se libéra d?un coup brusque, l?air courroucé. L?inconnu semblait fébrile et il préféra se reculer un peu. Joe lui intima d?un geste de se rasseoir, en pure perte.

?Je ne le ferai pas. A présent, partez, vous n?allez visiblement pas bien.
?Dites-le ! Dites-le Joe Windfield !
?Non. Je... je ne peux pas. Ne me demandez pas ça. » Il n?était pas très crédible dans le rôle du suppliant, songea-t-il.
?Vous ne pouvez pas ? Je ne parle pas de le révéler au monde ou quoi que ce soit du genre ! Je veux que vous me disiez à  moi, à  moi seul, que j?ai raison. Vous n?avez pas sauvé l?humanité, vous étiez juste présent. Juste mêlé aux évènements. Ceci ne sortira pas de cette pièce. Dites-le !
?Vous ne comprenez pas. Vous ne pouvez pas me demander de dire cela. Vous ne pouvez pas me demander de mentir. Même seulement à  vous.

Joe eut l?impression d?avoir donné une gifle au hacker. Celui-ci chancela légèrement et détourna les yeux, le visage crispé, sans aucune explication. Joe hésita, puis choisit de garder le silence, sans relâcher son attention. Sans doute était-il temps d?en finir avec cet encombrant visiteur.

?Dites... moi la vérité, finit par déglutir ce dernier, la voix brisée.
?Et vous partirez ensuite sans plus de questions ?
?Tout ce que vous voudrez. Parlez... monsieur Joe.
?Bien.

Joe prit une profonde inspiration et se lança sans trop savoir à  quoi s?attendre.

« Le jour du rendez-vous spatial, j?étais présent avec comme consigne de ravitailler le Sentinel. Je n?étais pas le seul sur la trajectoire prévue, bien sûr, mais c?est moi qu?ils ont choisi pour l?opération. Le ravitaillement est une affaire des plus complexes, car il faut encastrer les tubes cryogéniques dans des conditions difficiles. En effet, il est hors de question de ralentir, car la vitesse est précieuse. C?est au cours de cette man?uvre que les deux engins se sont percutés. Une des trappes avait mis du temps à  s?ouvrir, à  cause d?un problème mineur, et l?équipage avait perdu de précieuses minutes. Nous étions en train d?évoluer ensemble à  près de 60 km/s, et le Sentinel devait rapidement infléchir sa course pour rejoindre Damocles. »

« Les gars étaient sous pression. C?était normal. Bref, la man?uvre d?accouplement a raté et nous avons été tous deux rudement secoués. Pas de dégâts trop handicapants mais il était devenu hors de question de pouvoir les réapprovisionner. J?ai donc fini par sortir, pour me libérer de leur tube de ravitaillement.
?A pleine vitesse ? La fenêtre aurait du être ratée, monsieur Joe. Et ils n?auraient pas eu le carburant nécessaire. Tout ceci n?est que...
?Je l?avais. Une fois rentré, j?ai utilisé mon Streyoz pour les envoyer plus ou moins dans la bonne direction, il m?a fallu deux coups de boutoir pour y arriver. Ma masse était près de deux fois supérieure à  la leur, et ma motorisation surdimensionnée pour la tâche. Visiblement, ça leur a suffit. A la fin de la mission, les autres appareils sont venus nous récupérer. Je ne sais pas ce que les autres savaient, mais on nous a demandé presque immédiatement de garder le silence près de deux jours. Je n?ai évidemment pas pris le risque d?en faire à  ma tête.
?Impossible... Pourquoi aurait-on caché tout ceci ? Ce n?est qu?une fable de plus !
?Vous aviez la réponse, pourtant. Un drone en perdition, une man?uvre de ravitaillement qui vire à  la catastrophe... beaucoup trop d?erreurs. Et pas des plus petites. L?opinion ne l?aurait pas pardonné. Il valait mieux dire qu?il s?agissait d?improbables concours de circonstances... comme l?explosion d?un engin conçu dans l?urgence. L?honneur de tout les directement impliqués était sauf.
?Non...
?Ils n?ont fait que remplacer une faute humaine par un disfonctionnement mécanique. Cela n?enlevait rien... à  cet exploit. J?ai la conscience tranquille. Je n?ai rien volé à  personne... et j?ai sauvé tous ces gens. A présent, partez. Je ne vous apprendrai rien de plus. »

Quelque chose dans l?esprit de Joe déclencha une alarme, un instant avant que tout ne bascule. Il voulut se baisser, mais stoppa net son geste, à  la vue de ce que le hacker venait de tirer de son trench. Un rapide coup d??il conforta ses craintes quant à  l?engin translucide que tenait l?inconnu.

?Que...
?Plus un geste, Joe Windfield ! Plus un geste ! martela-t-il d?une voix névrotique.
?Allison, modèle 720 ou 730, je suppose. Qu?espérez-vous au juste ?
?Taisez-vous ! Vous savez très bien ce que peut faire ceci !
?Je le sais, et je vous crois. Expliquez-vous, calmement, d?accord ? Je ne ferai rien.
?M?expliquer ? Expliquer cette disgrâce ? Vous ne les méritez même pas, ces explications, vous ne méritez rien !
?Je ne comprends pas.
?L?humanité... Ce n?est pas possible. Vous êtes un falsificateur. Vous auriez du l?être... Vous n?avez rien fait, rien fait...
?Okay, okay, j?ai menti. C?est moi qui ai provoqué l?accident, on a fait de moi un héros contre mon gré. Je ne suis rien... Je ne vais pas risquer ma vie pour ça.
?Vous n?êtes rien ! Mais tout le monde pense que vous les avez sauvés ! Tout le monde, vous m?entendez ? Pour toujours. Et, je crois, je crois maintenant que vous l?avez fait ! Je vous dois la vie, Joe, je vous dois ma putain de vie ! Je vous déteste.

Joe ne broncha pas, les yeux rivés sur le canon luisant qui se trémoussait au rythme des saccades du dément. Le bureau était relativement bien insonorisé et de toute façon, une arme laser le tuerait dans le plus grand silence.

« L?humanité aurait pu périr, notre civilisation, tout, tout, tout ! Et qui trouve-t-elle pour se préserver ? Joe Winfield ! Joe, le raté, l?homme parti dans l?espace bien trop tard, l?homme qui a raté l?époque des héros ! Un conducteur de camion de l?espace. Un minable... l?humanité a été sauvée par un minable sans grandeur. Un buveur de bière synthétique, un homme sans culture, sans rien. Je ne pouvais pas le croire... j?ai toujours voulu, j?ai toujours espéré le mensonge. Pas vous, surtout pas vous...Alors j?ai cherché, encore et encore. J?ai relevé les incohérences, une à  une, savourant à  chaque fois l?éloignement de cette horrible version de l?histoire. J?ai pu commencer à  rencontrer les personnes qu?il fallait, et obtenir des clichés inédits. J?avais trouvé les preuves, les images qui prouvaient le mensonge !
?Cela aurait pu vous suffire, non ? Vous étiez des rares à  savoir ce que les autres ignoraient.
?J?ai essayer de m?en tenir, là . Mais ce mal me consumait, monsieur Joe, il me détruisait peu à  peu. Je ne pouvais pas vivre, non, pas vivre sans savoir. Il fallait que je l?entende de votre bouche, pour que cesse ce cauchemar.
?Désolé de tout cela.
?Désolé ? Vous êtes désolé ? Mais tout va finir, monsieur Joe, tout va finir. Je vais enfin supprimer cette aberration, cette parenthèse. La souillure va disparaître avec vous. On saura réécrire l?histoire.
?Me remplacer ?
?Ho non, monsieur Joe, pas vous remplacer. Vous refaire. Joe Windfield sera un saint homme, un homme de sagesse, le symbole d?une humanité triomphante. Mais tout ceci se fera après votre séjour en ce monde. Le Joe Windfield de l?histoire ne peut pas cohabiter avec la larve qui se trouve sous mes yeux. Remerciez-moi, monsieur Joe, je vais vous offrir l?éternité !
?Vous êtes cinglé...
?Haha, pour vous, monsieur Joe. Mais ils sont des millions à  n?attendre que ça. Ils veulent un martyr pour sauveur, ne vous y trompez pas. Vous ne pouvez pas survivre à  tout ceci. Vous êtes trop simple, trop petit pour vos actes et pour l?éternité qui vous sera offerte.

Joe se recroquevilla sous le regard narquois de l?illuminé qui le laissa faire. Il s?affaissa lentement jusqu?à  tomber à  genoux. De l?autre côté du bureau, le hacker se réjouissait ouvertement :

« C?est ça, agenouillez-vous. Vous aurez su reconnaître votre position, je dois l?admettre. Au fond, je dois admettre qu?après cette discussion, je n?éprouve pas réellement de haine envers vous.
?Ravi de l?apprendre.

Joe poussa brutalement le meuble en direction du dément, qui poussa un cri de surprise. Il sentit une douleur perçante lui traverser la jambe mais parvint à  bondir tout de même dans sa direction. et arracha l?arme des mains du hacker effaré. Tétanisé, il ne put rien faire face à  un Joe qui s?en donna à  c?ur joie. Un premier uppercut lui arracha ses lunettes, révélant deux yeux clairs, emplis d?incompréhension. Le second l?envoya s?effondrer contre la porte.

Une horrible odeur de brûlé montait de son pantalon. Joe récupéra le laser tombé à  terre et considéra la marque sombre qui ornait sa cuisse. Tout avait coagulé, de toute façon. Il n?y aurait pas d?urgence tant que le sang pouvait encore circuler. S?approchant de l?homme à  moitié évanoui, il lui agita le pistolet sous les yeux.

« Vous auriez du savoir que ça n?est pas un automatique. On peut faire de sacré trous, avec cet engin. Mais le premier devait être le bon. A une autre fois, monsieur le justicier, finit-il en lui assenant un rude coup de crosse.

Joe laissa l?homme inconscient, et quitta la pièce en boitillant. Parvenu au couloir de la résidence, il entrouvrit la porte translucide du secrétariat.

?Linda !, rugit-il. Vous pourriez pas m?éviter d?avoir à  rencontrer ce genre de type ? Il avait un putain de laser de poing sur lui !
?Je ne suis pas là  pour détecter tous les imbéciles de la terre, monsieur Winfield. Si vous achetiez des drones de surveillance plutôt que des sonnettes volantes, tout ceci ne...
?Ha oui ? Et bien, soyez gentille et faites-moi évacuer ce gars, je ne veux plus en entendre parler.
?Comme vous voudrez, monsieur.

Joie accueillit avec soulagement l?ambiance calfeutrée de sa chambre. Son lit émis une sorte de murmure étouffé quand il se laissa tomber dessus, presque immédiatement. Il entendit les pas précipités de Pénélope et vit l?animal surgir à  son tour dans la petite pièce. L?étrange hybride de chien et de chat sauta sur les genoux de son maître, qui la récompensa de force caresses.

Mais Pénélope finit par remarquer la marque sur la jambe de Joe, qu?elle inspecta avec circonspection, avant de le dévisager avec un air interrogateur. Il lui gratta le cou avant de lui murmurer d?un ton fataliste :

« Hé oui, ma belle. Je crois qu?on ferait mieux de déménager encore une fois. »

Auteur:  Mr.Magnum [ 22 Jan 2005, 12:46 ]
Sujet du message: 

À nouveau, on sent bien le style Phénix, l'ambiance propre à  tes histoires, évoluant toutes dans un futur relativement proche, où la technologie avancée permet aux hommes le meilleurs comme le pire. Pour tout dire, ça m'évoque Asimov, et Dieu sait que j'aimais cet auteur.
L'histoire en elle-même est encore une fois bien bâtie, de A à  Z, sous la forme d'une conversation (forme de narration que tu maîtrises manifestement pleinement) entre deux personnes qui se dévoilent au fur et à  mesure des lignes.
Beuh, je suis jaloux.

Auteur:  Loup Celeste [ 24 Jan 2005, 01:45 ]
Sujet du message: 

j'ai posté une version mise à  jour, un peu plus longue, et presque sans fautes (j'espère)

Auteur:  MmeSnape [ 24 Jan 2005, 02:36 ]
Sujet du message: 

J'ai toujours eu beaucoup de difficulté avec les écrits futuristes et la techologie. Ce n'est pas trop mon domaine. Mais bon, comme tu veux absolument que je commente ta fic... :wink:

C'est bien écrit, pas de grosses fautes d'orthographe non plus, ni de language SMS. Mais je t'avoue que je me suis un peu (beaucoup) perdu dans la description de ce qui est arrivé dans l'accident. Comme je te l'ai dit, niveau technologie, je suis nulle.

Cela dit, j'ai bien aimé l'histoire. Et euh... oh zut, je suis nulle pour commenter une fic. Donc voilà , c'est bien, mais je dois lire tes autres fics pour me faire une idée précise de ce que tu écris.

Étrangement, le "méchant" m'a fait penser à  Dracula. Sûrement à  cause d'une photo de Christopher Lee que j'ai vu avec une paire de lunettes... ^^;

Auteur:  DarKenshin [ 26 Jan 2005, 17:00 ]
Sujet du message: 

tu sais bien faire ressortir l'humain dans les histoires que tu racontes. c'est un point fort.
j'aime beaucoup.
tu maitrises les histoires courtes, toi.
mais c'est un peu salaud de ta part, tout de même! tu ouvres une fenetre sur des personnages et sur une histoire et tu refermes la parenthèse en me faisant saliver. j'ai envie d'en savoir plus, moi!
Mais c'est bien , très bien.

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