Enfin, nous débouchons dans une pièce ou deux hommes en armes et un troisième avec un habit qui cherche à ressembler à une livrée nous accueillent. Les soldats interrompent leur discussion, me regardent, m’évaluent, me soupèsent du regard, l’examen a dû être favorable, ils me sourient, si seulement le roi pouvait conclure de même ! Le « majordome » me demande mon nom, frappe à la porte, m’annonce, une voix mâle, profonde, autoritaire ordonne de me m’introduire, ma tête se vide, mes jambes ne me portent plus, je vais jouer ma vie sur un regard, Belit me secoue, je respire un bon coup, j’entre.
Une grande salle, des tentures défraichies, mais tout est clair et propre, au centre une table, dressée pour un repas, en bout de table, debout, le roi, j’ose à peine lever les yeux sur lui, il est grand, jeune, beau, élégant malgré l’usure de ses habits.
Je plonge dans ma plus profonde révérence, un regard mi sévère, mi amusé éclaire son visage, il apprécie mon éducation et me le dit, puis de but en blanc il me demande si je veux être libre, je ne pensais pas qu’on entrerait si vite dans le vif du sujet, je suis prise au dépourvu, un peu déstabilisée, je réponds simplement oui, ma réponse n’a pas l’air de lui plaire vraiment, il se lance dans un petit discours d’où il ressort que la situation d’esclave n’est pas si mauvaise, et que beaucoup de nos reines et des plus grandes Dames de l’histoire avaient ce statut, j’ai comme un gout de terre dans la bouche, je me mors les lèvres pour ne pas l’interrompre, il veut refaire de moi une esclave !!!
Je bafouille une réponse incompréhensible, il sourit, son regard m’écrase, je me sens ridicule, je suis loin de rêves de conquête, mes mains tremblent, j’ai la nausée, heureusement, des gens arrivent qui font diversion, ils s’installent à table, Belit m’attrape par le bras et me fait assoir, je me laisse tomber sur ma chaise, l’esprit vide.
Belit me parle à l’oreille, elle me secoue, je me ressaisis, je recompose un sourire sur mon visage, je lève les yeux, je fais un rapide tour de table, tout les regards sont braqués sur moi, je suis visiblement l’attraction du jour.
Le roi est vraiment très beau, son sourire dominateur se promène sur l’assistance, à sa droite dame Mena, une femme, vêtue simplement mais avec recherche, sa femme peut être, à sa gauche un homme, l’air farouche, presque sauvage, le visage fendu d’une cicatrice rougeâtre, il ne doit pas faire bon tomber entre les mains de celui la.
Le roi me parle, me dit qu’il sait que je veux être servante, qu’il sait que j’ai besoin de lui pour ça. Tout le monde écoute, me regarde, j’en ai assez de subir, je lui déclare tranquillement que je veux être princesse, que je le vaux bien, puis, pour atténuer ces paroles qui pourraient me faire passer pour une idiote j’éclate d’un rire sonore, mon maitre me disait souvent que quand je ris je suis irrésistible. Il rit aussi, j’en profite pour pousser mon avantage et lui demander s’il peut m’y aider, avec un sourire il me répond qu’il peut faire de moi une servante, une princesse des mendiants, et plein d’autres choses encore, mais ajoute-t-il redevenant brusquement sérieux, il faut le mériter.
Le badinage n’a pas duré longtemps, la négociation commence, mon avenir se joue.
Qu’ai-je donc à lui proposer en échange de son aide, rien, désespérément rien en dehors de moi-même, de mon corps, de ma reconnaissance, je ne peux pas lui parler de mes talents de courtisane, cette femme à sa droite est sans doute sa femme, me reste ma reconnaissance, ma loyauté, bien peu de choses en vérité, il est si facile de promettre quand on n’a rien et que l’on veut tout, et si facile d’oublier ensuite, je m’en rends compte en le disant, mais je n’ai rien d’autre à proposer, lui aussi le sait bien, et ne tarde pas à me le faire remarquer.
Les quelques femmes présente se lèvent, font le service, me servent aussi, comme un hôte de marque, les gens mangent, boivent, semblent occupés, mais je sais qu’ils ne perdent pas un mot de notre échange, quand à moi, je bois plus que je ne mange, ça me donne des forces, une sorte d’assurance qui me manque cruellement.
En devenant membre de la Confrérie des Mendiants, je pourrais m’assurer de l’aide du roi et des siens, il me le dit clairement, mais il m’explique non moins clairement qu’en acceptant le marché je me livre totalement a eux, pieds et poings liés, il me laisse même entendre, comme une menace voilée qu’un tel lien ne se défait plus et qu’une trahison des engagements pris est toujours chèrement payée, un sourire cruel sur le visage du balafré à sa gauche souligne son propos.
Je suis prête à tout, à tout faire, tout accepter pour sortir de ma condition d’esclave en fuite, je le lui dit simplement, il a un sourire vaguement ironique quand il m’explique que s’il me demande de coucher avec un homme, une femme (une femme !!!), de tuer, de voler, je n’aurais pas le choix, le vin est bon, une douce chaleur m’a envahit, je lui répond simplement, un rien de menace dans ma voix aussi que je serais loyale si on l’est avec moi, après tout, je ne suis pas une volaille qu’on mène a l’abattoir, je suis née princesse et je le dis bien haut, je déclenche les rires, les filles du désert sont toutes princesses, c’est connu, le moindre chef de clan s’intitule roi, les bordels sont peuplés de ce genre de princesses et je ne suis qu’une esclave fuyarde, pas même une honorable mendiante, leur mépris me glace, une colère sourde monte en moi.
Le roi m’ordonne alors d’un bref glapissement de me lever, mon éducation d’esclave est encore bien là , je me lève d’un bond, sans même pouvoir me contrôler, cette servilité spontanée fait sourire autour de la table, mais le roi apprécie mon obéissance.
Commence alors un feu roulant de questions, toujours le même thème, suis-je prête à coucher, à tuer, à voler, à espionner, sans discuter, sans hésiter ?
Oui ! Oui ! Oui ! Je réponds oui a tout, j’en ai assez, j’ai trop bu, la tête me tourne, je me sens humiliée, que faut il donc leur dire pour qu’il me laisse en paix ?
Dire ? Pas grand-chose sans doute, les mots ne suffisent plus, ils veulent des actes, déjà …
« Déshabilles toi ! », m’ordonne- t- il froidement …
J’ai une hésitation, peut être même que j’esquisse un refus, je me souviens pas vraiment, non pas que me déshabiller en public me choque, chez mon ancien maitre, je passais des nuits entières à servir nue pendant qu’il jouait aux dominos avec ses amis, il me trouvait « décorative », mais je m’attendais pas à ça, ici et maintenant.
Les convives grondent, je ne suis pas prête, je ne sais pas obéir, même Belit me lance un regard mauvais, devant le tollé je me soumets et retire mes vêtements, je demande pardon, j’assure que je vais obéir, mais ça ne suffit pas, je n’ai pas obéi sans réfléchir, je me suis permise une seconde de réflexion, c’est trop pour eux, ils sont en colère, je commence à me demander si j’ai fait un bon choix en venant ici.
Le roi aboie à nouveau : « A genoux ! » Cette fois, pas d’hésitation, je me laisse tomber instantanément en position de repentir, tous les esclaves du monde la connaissent, elle peut parfois éviter le fouet, j’en ai les larmes aux yeux, mais les invités semblent apprécier, je me conduis enfin comme ils l’attendaient.
Au bout de quelques secondes qui me paraissent une éternité, Dame Mena m’ordonne de me lever puis de tourner sur moi-même, je m’exécute, j’en profite pour leur montrer un peu ce que je sais faire, comme si je faisais virevolter ma robe en ondulant comme une liane, puis je me bloque dans un déhanchement à réveiller un mort.
La compagnie apprécie, les femmes sourient, les hommes sifflent, le désir brulent fugacement dans leurs yeux de brutes. C’est un triomphe !
Et puis ils commencent à parler de ce qu’il faut faire de moi, et là , ça se gâte.
Les un veulent me renvoyer à mon maitre contre rançon, les autres me vendre au marché, d’autres encore, les moins nombreux, parlent de me dresser et de m’utiliser, aucun n’a l’air de s’intéresser à ce que je veux, moi !
A plusieurs reprises j’essaie d’intervenir dans le débat, de placer un mot, de leur rappeler que je suis là volontairement, pour leur demander de l’aide, pas pour être traitée comme une marchandise, à chaque fois la réponse est la même « Eny, tu te tais » !!!
C’en est trop, je craque, je lance « Si vous me trahissez, je vous tuerais ! ».Ce n’était surement pas la meilleure chose à dire, j’en prends conscience à l’instant même ou je profère cette énormité, immédiatement je regrette, je voudrais ne pas l’avoir dit, j’ai envie de pleurer.
Ils me regardent tous avec mépris, pitié pour certain, je suis idiote, je suis une imbécile, on ne fera rien de moi, je ne vaux rien, même Belit me regarde comme un monstre.
Je me confonds en excuse, en demande de pardon, je jure que je regrette, que j’apprendrais a obéir, à me taire, que je serais une bonne esclave, j’ai peur d’être battue, fouettée, pire peut être, ces gens la ne sont pas des tendres.
Le roi, finalement, après m’avoir laissé me débattre un petit moment me sauve du pire, il ordonne que je sois enfermée en cellule jusqu’à nouvel ordre, afin de réfléchir. Belit ne perd pas une minute, m’attrape par le bras et m’entraîne au sous sol, comme si elle craignait qu’il change d’avis, ou que les autres protestent.
Belit me fait entrer dans une cave, il y a un trou au sol pour les besoins, une gamelle pleine d’une eau douteuse dans un coin, rien d’autre, pas même un bas flanc.
J’essaie de parler à Belit, de lui dire mon espoir, ma déception, ma peur, ma peine, mes regrets, le vin, le bruit … je ne voulais pas … je ne voulais pas …
Elle me gifle rageusement, j’éclate en sanglots, malgré sa colère, malgré les coups je m’accroche a elle, j’ai besoin d’elle, d’un mot, d’une caresse, d’un peu de réconfort.
Dans ces moments là , je suis encore une enfant, Belit finit par se laisser attendrir, elle m’attire sur son épaule, me laisse pleurer tout mon saoul, me caresse la tête, me console, puis elle se détache, me regarde. « Ce soir, le roi te reverra, si tu accepte de prêter serment, tu seras mise à l’épreuve, et ça sera très dur, tu l’as bien cherché, mais si tu refuse … alors … ».
Elle n’en dit pas plus, pas la peine, j’ai compris ce qu’elle n’ose pas me dire, je lui fais signe oui de la tête, elle sort, ferme la porte a clef.
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