Surmontant sa répulsion, Chris regarda la chose qui gisait devant lui. Ca avait été un rat avant qu'il ne le tue à coups de pied. De l'un des flancs écrasés jaillissaient les minuscules intestins, éphémères serpentins roses.
Il se laissa retomber sur la caisse. Elle craqua. La caisse était pourrie, comme toutes les choses entassées dans cet entrepôt sombre et poussiéreux.
Chris se saisit de la bouteille de whisky posée sur un tonneau et en but une bonne gorgée. Peut-être que l'alcool l'aiderait à oublier. Oublier qu'il était poursuivi par la police, que dehors, dans la nuit, de grands hommes vêtus de bleu, comme dans les séries télévisées, le traquaient dans toute la métropole.
La boisson était brûlante. Chris éructa et lança la bouteille dans l'entrepôt. Elle explosa contre une caisse. Vide. La bouteille était vide. Ce genre de récipient avait tendance à se vider bien trop vite entre ses lèvres, ces derniers temps.
Chris Redfield savait qu'il n'avait guère fière allure. Ses yeux devaient être enfoncés dans ses orbites au-dessus de deux poches de peau violacées. Il était mal rasé. Son teint rougeâtre était celui d'un alcoolique... des plus anonymes.
Au moment où il cherchait du regard une autre bouteille, la porte de l'entrepôt s'ouvrit.
Deux pieds charmants soulevèrent des nuages de poussière.
- Ada ? ! fit Chris. Foutre de Dieu, tu m'as fait peur ! Ferme cette porte !
La jeune femme hocha la tête, se retourna et poussa le battant. Elle sentit la masse de Chris la plaquer contre la porte.
- Pas de flics, mon ange ?
- Pas de flics, confirma-t-elle.
Les mains rudes coururent sur sa poitrine, sur son ventre et plus bas.
- Alors, Ada...
Ada se cambra.
- Je vous ai eus.
Ils firent volte-face. Ils connaissaient la voix qui venait de les interpeller.
- Depuis combien de temps tu la sautes, Chris ? reprit la voix impitoyable.
L'intrus émergea de l'ombre. Dans le labyrinthe qu'était l'entrepôt, il n'avait sans doute eu que l'embarras du choix en cherchant une cachette.
Visage aux traits réguliers de statue grecque, pâleur nordique, cheveux d'un blond platine et lunettes noires.
- Albert, commença Ada, je peux tout t'expliquer...
- Tu n'es qu'une pute.
Chris déglutit. Il ne parvenait pas à dire un mot, et les choses devenaient de plus en plus troubles à cause du whisky.
- Tu m'as trompé, poursuivit Albert. Tu t'es mariée avec moi pour l'oseille. Ada, petite pétasse.
En un sens, l'homme était calme, effroyablement calme.
- Je suis peut-être arrivé trop tôt ? Ada, Chris, dites-moi...
Ada, tout comme Chris, observait à présent le silence.
Un revolver apparut dans la main d'Albert.
- J'aurais dû patienter un peu. Tu allais te l'enfiler tranquille, contre la porte ? Hein, Chris ?
A la place de l'autre main surgit une lumière aveuglante.
Le faisceau de la torche se braqua sur les bras d'Ada, révélant les affreuses cicatrices pourpres.
- Tu l'as rendue accro, Chris. C'est ça, hein ? Ca ne te suffisait pas d'avoir tué un homme ? Chris, écoute les sirènes de la police. Toute la ville est à tes trousses.
Albert Wesker eut un sourire de squale.
- Je tiens ma vengeance. Une héroïnomane et un alcoolo. Quel joli couple que voilà .
Enfin, Chris rompit sa léthargie. Il bondit sur Albert. Détonation. Les deux hommes roulèrent sur le sol poussiéreux, laissant une traînée de sang.
Ada fit la seule chose qu'elle pouvait faire en pareille circonstance : elle se mit à hurler.
Albert se releva alors. Son smoking était devenu écarlate. Il abaissa le canon de son arme et logea trois balles dans le front de Chris.
- Voilà pour ton enfoiré d'amant !
Reportant son regard là où était Ada, Albert s'aperçut qu'il n'y avait plus d'Ada.
- Reviens ! Reviens !
Ada courait dans les rues de Raccoonpolis. Elle se précipitait elle ne savait où. Redoutant à tout instant d'entendre la détonation, de sentir la douleur entre ses omoplates.
Elle courait pour sauver sa peau.
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