[center]PHORIE[/center]
Par deux fois j'ai renié mes origines. Celles que je croyais être les miennes puis celles qui sont véritablement les miennes. Par deux fois j'ai eu tort. Quel que soit le nombre d'ennemis que j'abatte, aussi forte que soit ma résolution, je reste issue d'un homme qui a abandonné jusqu'à son désespoir pour une arme avec laquelle il désirait façonner le monde à son image. Mais je ne lui doit rien de plus que le fait d'avoir ouvert les yeux.
Quant à ma fausse ascendance, mes parents adoptifs, la stupidité de mon acte est encore plus grande. J'ai vécu entourée de leur amour. de leurs idéaux. Ils ont fait de moi celle que je suis aujourd'hui, bien plus que ce pirate bien trop souvent revenu d'entre les morts. Et je ne me suis pas aperçue que ce nom qu'ils m'avaient donné, à moi, petite chose abandonnée sur leur perron, il me faudrait un jour m'en montrer digne. Je prends la plume pour annoncer que ce jour est arrivé. Aujourd'hui, je le déclare : mon nom est Isabella Valentine. J'ai mené les travaux de mon père adoptif à un point qu'il n'aurait jamais pu imaginer. En une nuit, j'ai accompli ce que des années de recherches m'avaient dépeintes comme impossible : la réalisation d'une arme parfaite.
Une arme parfaite... Ironie. Ironie car c'est alors que je me tenais au milieu des débris de la Soul Edge que j'ai enfin compris. Je tremblais de tous mes membres. Pas uniquement de fatigue, je dois le reconnaître. Le combat contre cette chose qu'était devenue Zasalamel avait été éprouvant. Sans le pouvoir de la Soul Calibur qui avait imprégné ma lame, je doute que je serais encore de ce monde. Mais, comme toujours, j'ai exécuté ma danse de mort sans hésitation. Et, comme toujours, mon épée a su trouver son chemin. Certes j'avais failli mourir, mais il y a longtemps que cette perspective me remplit plus d'une amertume douloureuse que d'une véritable frayeur.
C'est ensuite que la réalité a commencé à se distordre. Et c'est à ce moment là qu'a eu lieu l'illumination. A l'instant où je levais la main pour détruire la source de mon malheur, quelque chose s'est interposé. Quelque chose qui avait la couleur de ces âmes en peine que Nightmare, durant mon initiation, m'avait permis de contempler quelques instants durant. Ces êtres qui n'apparaissent dans le monde mortel que lorsque l'on s'apprête à renier leur existence toute entière. C'est exactement ce que je m'apprêtais à faire à cet instant. Et c'est pourquoi l'âme qui m'est apparue à cet instant avait mon visage.
Je l'ai contemplée, bouche-bée, pendant qu'elle m'agrippait le poignet. Ivy. Ivy, quelques années auparavant, dans cette tenue que j'avais confectionné entre deux éclats de rires, après la mort de mon père, cette tenue qui n'était qu'un amas de liens, faite uniquement pour m'enserrer, me faire souffrir encore un peu plus. Elle me suppliait, me priait de ne pas faire ça, de ne pas anéantir ce sang qui courait dans mes veines. Qu'elle était forte ! Bien plus forte que moi. Bien plus forte qu'Isabella, éprouvée par cette longue route, par cette succession de combats contre de jeunes sots idéalistes, contre des femmes éprises de vengeance. Et j'ai vu ma main s'éloigner peu à peu de la Soul Edge.
J'ai fait appel à la seule chose que cette âme n'avait pas, ne pouvait pas m'enlever. Ma voix.
"Je veux être moi-même !"
Bien sûr. Bien sûr ! Pourquoi ai-je entrepris ce voyage, long de plusieurs années, parsemé de corps inanimés, morts parfois ? Pourquoi ai-je tout refusé, jusqu'alors ? Uniquement parce que je savais que tout cela n'était pas ma vie. On m'avait enfermée dans tant de cocons différents : "fille maudite", "femme à l'épée serpent", "comtesse recluse"... Et face à ce fantôme violacé, j'ai enfin réussi à briser le carcan. Lumière !
Et cette arme que je tiens aujourd'hui entre mes mains, contre laquelle le plus expérimenté des combattants n'aura pas le moindre recours, cette arme parfaite est fruit de cette lumière. L'alchimie est une science si simple, lorsque l'on y pense. Ce sont les emplois que l'on peut en faire qui sont complexes à déterminer. J'ai repris mes recherches à zéro. Bien entendu. Tout ce que j'ai fait jusque là est intéressant, j'ai toutes les raisons d'en être fière... Mais je me trompais totalement de chemin.
Il m'a fallu peu de temps pour mettre au point l'unique opération qui me permettrait de réaliser ce que j'avais en tête. Et lorsque le grand jour est arrivé, l'expérience s'est déroulée sans le moindre heurt, sans douleur aucune, comme si le soleil ne s'était levé que pour fêter l'avènement de cette arme nouvelle.
Que vais-je en faire, maintenant que mes combats sont terminés ? Tant de choses. J'éprouve une satisfaction intense à la voir tracer d'une écriture droite et régulière ces mots que je viens de lui communiquer. Sa main s'arrête un instant, pour laisser sécher l'encre, tandis qu'elle rejette en arrière ses cheveux d'un blanc de lait. Je me suis lovée sur ses genoux. Me placer dans le fourreau me priverait du plaisir de la voir réagir à la moindre de mes pensées. Cela fait à présent deux heures qu'elle s'est assise à la table de travail, pour classer divers document et écrire dans mon journal. Quel bonheur, de ne plus avoir de jambes, qui seraient, j'en suis certaine, parcourue de fourmis à l'heure actuelle !
Peut-être allons-nous descendre dans la salle d'entraînement pour quelques exercices. Je dois m'habituer à elle. Phorie... Jamais guerrier n'avait pensé son art en ces termes. Etre porté par son arme plutôt que de la porter. C'était... si simple, pourtant.
Mon nom est Isabella Valentine, portée par Ivy.
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