Chapitre IV: Un retour à la réalité.
1. Un rêve parmi tant d’autres ?
Gorgon restait là , éberlué. Le monument qu’il avait si ardemment visité de façon virtuel, et qui était représenté par un simple forum, se dressait devant lui, d’un seul tenant, vrai de vrai.
Mais qui avait bien pu la construire, comme ceci, à l’abri des regards ? Etait-ce eux, grâce à leurs pouvoirs ? Ca peut pourtant paraître incroyable qu’une simple volonté commune, même extrêmement forte, ait pu matérialisé un tel édifice. Non, ça n’est pas concevable. Ce lieu semblait tellement étrange, comme si quelque chose d’irréel s’en dégageait. Le jeune homme hésitait. Tout ce qui s’était passé ces derniers jours avaient été d’un illogisme absolu, ou bien il n’en saisissait pas le sens. Ce qu’il s’était passé chez lui, puis à Paris, la mort de Radamenthe qui n’était peut-être pas arrivé, puis la tour. Rien à faire, il avait beau se retourner la tête dans tous les sens, que seule une intense migraine en sortait. Cependant il doutait. Il doutait de la véracité des faits. « Ca n’existe pas ! C’est sans doute une invention de mon imagination ! Je dois en fait être chez moi, dans mon lit, endormit. Oui ! C’est ça. » se disait-il. C’est alors qu’une voix, douce et avenante, se fit entendre.
« Gorgon_Roo, te voila enfin ! Nous t’attendions avec impatience pour le début de la réunion. Nous sommes tous présent, viens vite ! »
Elle semblait réconfortante et chaleureuse, presque attirante. Elle fit vaciller le jeune homme. La voix le tirailla entre l’envie d’entrer et une peur indicible que quelque chose d’anormal planait ici. Mais il était perdu, et pensait qu’il ne pouvait rien faire d’autre qu’entrer dans l’endroit qu’il avait toujours aimé rejoindre lors de ses moments de libertés. Cette voix, ressemblant à celle de Mr.Magnum étrangement, faisait diminuer peu à peu le doute en lui.
Les deux grandes portes de l’entrée s’ouvrirent tout d’un coup, prêtes à accueillir le nouvel arrivant. Gorgon résista un instant, puis, comme si la volonté ne venait pas de lui-même, ses jambes remuèrent et il entra enfin dans le vaste hall d’entrée de la gigantesque tour.
Des pas se répercutant en écho dans un couloir. Une masse sombre s’approcha près d’une silhouette assise sur un banc situé à côté d’une porte. Une fenêtre l’avoisinant permettait d’y voir une chambre dans lequel dormaient paisiblement, ou du moins semblaient dormir, deux jeunes hommes, l’un en face de l’autre dans deux grands lits. Tout était blanc et aseptique. La silhouette redressa la tête.
« Oh, c’est toi ?
-J’ai fait aussi vite que j’ai pu lorsque j’ai appris la nouvelle. » répondit la masse sombre qui représentait distinctement à présent un homme tout de noir vêtu, y comprit ses lunettes.
La personne assise était une jeune femme d’une vingtaine d’années avec des lunettes claires et transparentes, son corps était fin et son visage était fait pour y contenir milles grands sourires, mais elle ne souriait pas, elle ne le pouvait pas en cette occasion. L’homme en noir reprit.
« J’imagine que le voyage a dû être long depuis Brest, dit-il afin d’avoir un soupçon de conversation.
-Assez long….Oui, répondit-elle après un léger soupire.
-J’ai eu du mal à trouver cet hôpital perdu dans cette ville paumé de Mano-ch’ais pas quoi, dit-il avec un petit rire forcé.
-Manosque, répondit la jeune femme assise qui, elle, ne riait pas.
-Heu…Hum…Comment vont-ils ?
-Aucun changement. »
La voix de la jeune était distante et son regard se perdait dans le vague. L’homme était à présent devant la fenêtre, observant les deux corps allongés.
« Alors, c’est lui ? Demanda-t-il après un léger temps à dévisager l’un des deux jeunes hommes.
-Oui, François, répondit-elle doucement.
-Je…ne l’imaginais pas comme ça.
-Ah… ? Toi non plus… ?
-Je ne le pensais pas avoir des cheveux aussi longs.
-Hmm… »
Il y eu un léger silence pesant, seulement troublé par le bruit de brancards, de médecins et d’infirmiers qui passaient sans leur prêtait beaucoup d’attention. François ne pouvait tenir. Il voulait savoir.
« Plusieurs rumeurs ont circulé sur les forums, lança-t-il doucement. Je pense que la plupart sont fausses mais… »Il marqua un temps. « Que s’est-il vraiment passé, Caroline ? » Il la fixa intensément. Celle-ci redressa à nouveau la tête. Elle ne le savait pas vraiment elle-même, mais François semblait se doutait qu’elle en connaissait plus que les autres forumeurs.
« Et bien…, commença-t-elle après une profonde inspiration qui indiquait qu’une longue, du moins assez longue, histoire risquait d’atterrir dans les récepteurs auditifs d’un François grimaçant, tu sais que Thibaud est, depuis un certain temps, mon petit ami, aussi bien sur le forum qu’en vrai… » Il hocha la tête. « …et donc, je fus en sa compagnie la plupart du temps que je le pouvais, malgré la fac, malgré les partiels, enfin tous ça. Après la dernière réunion d’Eltanain (elle émit un fin sifflement pour déformer le nom) auquel il tenait à participer, je l’ai retrouvé…comme différent. Je ne sais pas comment l’expliquer. On aurait dit qu’il ne semblait plus lui-même. Il devenait distant, froid. Ensuite, il m’a demandé plusieurs fois l’adresse où bien des renseignements sur ce Gorgon_Roo. J’ai finit par lui dire où il se trouvait, vu qu’il me l’avait révélé. Je ne sais pas ce qu’il aurait pu lui vouloir exactement…et je ne l’ai plus vu ensuite, avant aujourd’hui. »
Elle porta son regard quelques instants sur la vitre de verre.
Les deux grandes portes du bâtiment se refermèrent derrière lui dans un lent grincement. Il ne pouvait plus revenir en arrière. Le vaste hall d’entrée était assez faiblement éclairé. Loin devant se trouvait un comptoir, celui servant d’accueil. Gorgon traversa à pas feutrés quelques piliers ainsi qu’un semblant de tapis rouge au sol puis arriva devant le fameux petit comptoir duquel s’échappait des bruits étouffés et des jurons. Le jeune homme se pencha et découvrit un petit bonhomme portant une cape jaune et verte, comme ses habits, et avait une sorte de maquillage de clown sur le visage. C’était Kefka, affairé à nettoyer des taches d’on ne sait quoi par terre. Il finit par remarquer qu’on le dévisageait et leva la tête.
« C’pour quoi ? Grogna-t-il.
-Euh, pour la réunion, il me semble, répondit Gorgon.
-Ah, ouais. ‘Faut aller au 7ème étage, vers la salle des fêtes, dit-il en désignant un grand ascenseur derrière lui du doigt. Ca s’ra tout ?
-Euh…Oui, merci. »
Gorgon se dirigea donc vers l’ascenseur, et pendant ce temps le petit bonhomme derrière son comptoir eu un sourire horrible aux lèvres. Les deux portes s’ouvrirent, puis se refermèrent derrière lui. Cet ascenseur était assez spacieux pour pouvoir y tenir une dizaine de personnes au bas mot. Le jeune homme appuya sur le bouton représentant le 7ème étage et attendit. La machine émit un léger ronronnement puis monta doucement d’un étage à l’autre avec un petit bruit de poulies grinçante et de métal rouillé.
Une voix se fit alors entendre, mais elle semblait lointaine et parvenait difficilement aux oreilles du jeune homme. « Gorgi, c’est pas encore finit bordel ! Tu peux encore résister à ce cauchemar ! Allez ! Nom d’une qui… » Puis, le silence, du moins les mêmes bruits de grincements qu’auparavant. Gorgon se colla contre le fond de l’ascenseur. Celui-ci avait dépassé le 7ème étage sans s’arrêter et continuait sa montée en accélérant le mouvement. Il allait de plus en plus vite. Gorgon fut ensuite cloué au sol de part la folle vitesse de l’engin. Il ferma les yeux. Les étages défilaient avec un léger effet de floue. Le choc semblait inévitable. L’ascenseur vacilla, le mécanisme qui l’actionnait crachait des étincelles tout en produisant un douloureux cri strident. Le jeune homme rouvrit un léger instant les yeux pour voir que l’intérieur de l’ascenseur s’ébranlait. Il referma les yeux et porta ses mains à ses oreilles. Ca allait se produire.
2. Eveil.
Caroline toisa quelques instants François du regard. Celui-ci était appuyé contre le mur à sa droite, en train d’attendre. Ils ne pouvaient que patienter de toute façon. Elle secoua un peu la tête et finit par dire :
« Je suis sûre que tu sais toi aussi des choses, Magnumichou. Dis-moi tout ! »
L’homme, comme tiré d’un songe, porta un regard amorphe sur la jeune femme toujours assise sur le banc. Il mit un temps, puis cligna des yeux.
« Ne m’appelle pas comme ça, ronchonna-t-il. On dirait du Gorgon… »
Elle se mit à rire, mais ce n’était pas un rire sincère ni joyeux. Il servait juste à décompresser les nerfs. Ils étaient tout les deux inquiet, par cette attente interminable, par ce silence pesant de couloir vide.
« Enfin, reprit-il, oui. J’ai un peu enquêté. D’après ce que j’ai cru comprendre, Thibaud a loué une chambre d’hôtel ici et se serait isolé avec comme seule distraction un ordinateur portable qu’il avait emmené. Puis, il y a de cela quatre jours, il se serait dirigé en hâte, tôt dans la matinée et en bus, vers le village voisin où habitait Gor…enfin, Valentin. J’imagine qu’ils ont dû se rencontrer ensuite…Je n’en sais pas plus. »
Il haussa les épaules et reporta son attention sur les deux jeunes hommes, allongés sur leurs lits d’hôpital respectifs. Pendant ce temps, Caroline broyait du noir, et essayait tant bien que mal d’agencer et de comprendre les évènements récents. Les lumières semblaient se tamiser légèrement, marquant que l’après-midi semblait bien avancée. Elle fut coupée court dans ses pensées quand François s’exclama.
« Hey ! Mais ils bougent !
-Quoi ? Demanda-t-elle en bondissant du banc.
-Là ! Je viens de voir Thibaud remuer ! »
La jeune femme soupira, regardant elle aussi la chambre voisine.
« C’est normal, expliqua-t-elle. Il parait que leurs muscles peuvent bouger, se tendre ou se détendre, malgré leur coma…
- Ho…»
A cet instant, une porte s’ouvrit un peu plus loin Un grand homme en blouse blanche, vraisemblablement un médecin, en sortit. Il s’aperçut de la présence des deux comparses, regarda à droite et à gauche, se gratta la tête, toussota même, puis se dirigea lentement vers eux.
« Vous êtes de la famille ? S’empressa-t-il de demander.
-Plus ou moins, répondit Caroline. Nous sommes des amis…
-Hum, je vois. »
Il jaugea pendant quelques instants les deux individus.
« Vous savez, reprit-il, les visites ne sont pas encore possible à cet heure-ci.
- A vrai dire, balbutia François, on ne nous a pas expliqué ce qu’il leur était vraiment arrivé. Nous pensions attendre afin de prendre des nouvelles d’un docteur ou bien qu’ils se réveillent… » Il finit sa phrase par un petit sourire décousu.
Le médecin plaça ses mains dans son dos.
« Je me suis occupé de l’analyse des radios de ces deux jeunes hommes, déclara-t-il. Celui-ci, dit-il en désignant le jeune homme aux longs cheveux noir de jais, a reçu un coup assez fort derrière la tête. Il y a quelques marques d’ecchymose sur l’arrière du crâne. On suppose que c’est ce qui a provoqué la perte de conscience et ce coma profond. Par contre, l’autre jeune homme… » Il marqua un temps et hocha la tête. « …n’a absolument rien d’anormal. Pas de marque de blessures, pas de lésion interne, rien. C’est un garçon en parfaite santé, si l’on oublie le fait qu’il soit dans le même état que l’autre. »
François remercia le médecin qui finit par partir dans une autre salle. Caroline, quant à elle, resta pensive.
« Aucune blessure, aucune marque de coup, rien, se disait-elle. Et pourtant…Mais comment ? » De légers cris se firent entendre de l’autre côté de ce couloir rectiligne. Deux personnes leur faisaient des signes de salut de la main en s’approchant. Anaïs et Romain venaient d’arriver.
Gorgon ouvrit les yeux. Il faisait noir tout autour de lui. Le néant absolu, le vide. Il tâtonna de ses doigts devant, derrière, dessus et même dessous lui, mais il ne sentait rien, car il n’y avait rien. Il se sentait flottant dans ce vide, nageant dans l’infinie. Ses yeux s’adaptèrent peu à peu à ce noir profond. Malgré tout, il était difficile de voir ne serait-ce que des contours ou des formes. Son attention fut rapidement attiré sur un tout petit point rouge sous lui. Le point rouge s’agrandit rapidement et devint immense. Elle se transforma en une plateforme rougeoyante avec une légère teinte de rosée duquel s’activaient de grandes veines bleues. Le jeune homme si posa dessus. C’était instable. Les espèces de tuyaux s’enchevêtraient les uns sur les autres, se gonflant et se dégonflant, agissant comme des pompes qui transportaient le liquide bleuté. L’ensemble émettait un rayonnement rouge intense. C’était comme…vivant.
Le jeune homme tenta d’analyser où il était et il en arrivait à la même conclusion. Cela ressemblait à un cerveau, un immense cerveau humain. Cela n’avait plus aucun sens. C’était sans doute un horrible cauchemar, il fallait qu’il se réveille. Deux grands yeux sortirent de la noirceur environnante et l’observèrent fixement. Gorgon se figea, forcé à soutenir l’obscur regard que l’on portait sur lui. Puis une voix se fit entendre, venant de nulle part et de partout à la fois, et se déversèrent sur lui comme un raz de marée.
« Enfin, te voila, seul, faible, à ma merci. Je peux enfin prendre possession de toi, de tout ton être. Tu m’aiderais à accomplir mes plans. Personne ne fera attention à toi. Tu passeras inaperçu parmi cette foule de résidus abjecte !
-Hein ? Bredouilla Gorgon, mais qu’est-ce qu… »
Il n’eut pas le temps de finir sa phrase. Une forme apparût entre les deux yeux étincelants, un symbole mystique, une espèce de croix, l’Ankh.
Le haut de la plateforme commença à se fissurer. Une lumière aveuglante s’en échappa.
« Radamenthe croyait pouvoir me résister, reprirent les voix, et il essaya à maintes reprise d’empêcher que je n’accède à ton esprit, ce vers pullulant. Il te portait un temps soit peu de considération apparemment, et il a cru pouvoir me berner, moi ! »
Elles eurent un rire démentielle qu’une oreille saine aurait eu du mal à supporter puis surenchérirent.
« Mais ce petit impétueux a finit par abandonner ! Il rejoindra toutes les ordures de votre espèce ! Et maintenant, que le rituel s’accomplisse ! »
Tout sembla immobile un moment, puis le néant ambiant fut soudainement aspiré par la fissure à l’intérieur de l’ensemble. Gorgon lâcha un cri et prit sa tête dans ses mains sous le coup d’une intense douleur. Le rayonnement rougeoyant passa au noir total et le jeune finit par s’évanouir.
Des médecins et infirmiers entrèrent en trombe dans la chambre des deux jeunes hommes allongés armés de machineries de toutes sortes. Thibaud était pris de convulsion. Le personnel essayer plusieurs massages cardiaques, ainsi que des coups de défibrillateurs. Les quatre Trauméniens présent étaient plantés à la fenêtre, la peur au ventre. Personne ne fit attention au fait que l’autre jeune homme, lui, bougeait doucement. Malgré les vaines tentatives, le son strident de l’électrocardiogramme émettait toujours son bruit strident. Thibaud était mort, c’était finit. Et, pendant que les témoins de la scène au-dehors commençaient à réaliser ce qu’il s’était passé, Gorgon s’éveilla.
_________________ *Vide*
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