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L?homme glissa. Son épaule frappa violemment le rebord métallique de la nacelle dans un craquement sec. Puis, il tomba. A cette hauteur, son corps atteignit rapidement la vitesse de quatre vingt dix mètres par secondes. Fidèle a toute logique physique, il vint frapper quelques fois la paroi vitrée de l?immeuble puis se sépara de son champ d?attraction pour finalement chuter de manière rectiligne.
L?homme se débattit quelques instants. Simple réflexe ; il n?avait pas complètement réalisé la nature de l?événement, encore en train de combattre ses hauts le coeur en fermant les paupières à s?en faire imploser les orbites.
Puis, il ouvrit les yeux. Il voulu crier, mais l?air s?engoufra a toute vitesse dans sa bouche. Apres trois secondes de suffocation, il finit par avaler sa langue, poussée par le vent.
"Merde", eut-il le temps de penser avant que son corps désarticulé ne vienne frapper le sol.
Dans la demie seconde qui suivit, il pu très nettement voir sa machoire inférieure rebondir sur le sol, indépendante de son homologue supérieure. Son casque vint exploser sur le bitume juste après, dans un feu d?artifice d?éclats jaunes.
L?homme s?écroula alors alors tout entier sur lui meme, happé par son propre corps. C?est du moins l?impression qu?il avait. S?il avait pu crier, il l?aurait sans doute fait, plus fort même qu?il n'avait voulu le faire lors de sa chute.
Dans un tourbillon de couleurs et de sensations, il chuta dans l?infiniment petit, dans l?infiniment grand, dans l?infiniment lointain et verginineux. Il chuta vers un univers nouveau.
Son oreille interne chercha déséspérément une ligne d?horizon valable. En vain. L?homme était atteri dans un monde sans dimension. Il avait la désagréable et obsédante impression que des masses énormes aux formes incongrues défilaient à toute vitesse a quelques millimetres de lui. Il ne pouvait dire s?il existait une dimension sonore a cet espace. Il aurait très bien pu y régner un silence total comme il aurait pu etre envahit d'un vacarme tellement assourdissant qu?il en serait devenu hypnotique. L?homme était simplement incapable de le dire.
Il tenta de se déplacer, mais pour aller où ? Il n?y avait pas de direction. Pas de haut, ni de bas. Pas de droite, ni de gauche. Pas de couleurs. L?homme se souvint que, selon un concept admis de tous, que lorsque l?on ferme les yeux, la seule couleur qui nous parvient est le noir. Or c?est faut. Et il s?en rendait compte a présent. On ne voit rien. Ni noir, ni blanc, ni rose. Et c'était exactement le cas, présentement. L?homme se demanda si c?est parce que le cerveau humain ne peut assimiler un tel concept, ou si c?est parce qu'il n?y a réellement rien.
Ni couleurs, ni dimensions, ni temps, ni sensations. Ce monde est un point. Un point où tout se concentre. Où l?univers entier se recroqueville dans une chute éternelle sur lui-meme. A la maniere d?une bille dont les rebonds sur le carrelage se font de plus en plus petits, mais qui paraissent ne jamais s?arrêter. Cet univers n?etait pas le centième rebond, ni meme le millième. C?etait le dernier, si tant est que la bille s?arrete un jour de rebondir. C?etait l?ultime cercle aérien que decrit un pendule au bout du ficelle, si l?on admet qu?il s?arrete un jour de se balancer. Ce monde n?est pas quantiquement possible dans la mesure ou il tend vers son ultime état de stabilité sans jamais l?atteindre, dans un panache de mouvements aléatoires infinis.
L?homme aurait eu le vertige s?il avait pu expérimenter la moindre sensation. Rassemblant toute la volonte contenue dans chacune de ses parcelles de conscience, il pensa :
"Et après ?"
Des années ou quelques secondes après (ou avant), une réponse vint s?imprimer sur l?équation de son être :
"Après quoi ?
- Après ca.
- Je ne vois vraiment pas de quoi vous voulez parler."
Et l?homme hurla en silence.
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