Paris-Amazonie. La trotte, c'est le moins qu'on puisse dire. Et on ne la fait pas à pied, mais dans un hélicoptère de tourisme, un engin bombé dont le vent parcourt sans cesse l'habitacle largement ouvert des deux côtés. Si j'ai bien compris, on va vers une des bases pourries d'Umbrella Corporation, ils en ont collées sur tout le globe terrestre comme des champignons, mais celle-là , c'est le pompon, la cerise sur le gâteau, un machin énorme et il n'y a pas dix personnes au monde qui peuvent en dessiner un plan. Enfin, c'est ce que disent Laurel et Hardy : Umbrella Corporation aurait divisé le complexe en "secteurs autorisés" pour certaines personnes, de manière très complexe, avec un système de clefs et de cartes, un vrai cauchemar ultra-sécurisé. Hardy est pas loin en ce moment. C'est comme ça que j'appelle le Mexicain, sûrement le plus abruti des deux, qui nous surveille avec un regard vitreux. L'autre est trop occupé à piloter. Pour ce qui est de s'échapper, ça va pas être possible, on est saucissonnés à mort et empilés les uns sur les autres. D'ailleurs, j'ai de la veine d'avoir été collé sur le flanc, si ça avait été sur le dos, Jill aurait perçu l'émotion que j'ai à l'avoir au-dessus de moi, m'écrasant de tout son poids. Laurel aurait juste pu éviter de me coller la gueule dans la poitrine de Rebecca. On n'est plus bâillonnés, alors on peut parler. De tout. De rien. De la pluie. Du beau temps. - Alors j'ai rencontré ce mec, Red Falcon 007, sur un forum Paranormal, il avait l'air super sympa... Je coupe court aux divagations de Rebecca : - Comment est-ce que Ripper repeint son plafond ? - Je ne sais pas... dit-elle. - Ma langue au chat, confirme Jill. - Il commande une pizza et il crève le livreur ! Elles deviennent silencieuses. Je me maudis, c'était clairement pas la blague à dire. J'en cherche une autre : - C'est un avion qui vole, il s'écrase sur une île déserte, il y a trois survivants : deux passagers et une hôtesse de l'air. - Tu crois qu'ils vont nous faire quoi, Umbrella Corporation ? demande Jill. - Au bout de quelques jours, l'hôtesse va voir les passagers et leur dit : "Ecoutez, je suis jeune, vous êtes jeunes, je suis belle, vous êtes beaux, faut profiter de la vie, alors voilà comment on va faire..." - Torture ? fait Rebecca. - "... ça va être toi les jours pairs et toi les jours impairs". Ils s'organisent comme ça, ils ont une cabane au bord de l'eau, super, tout va bien, ils alternent... - Mauvaise réponse, reprend Jill. En fait, je n'ai pas la moindre idée de ce qu'ils nous veulent. Peut-être même... - Et puis, un jour, l'hôtesse de l'air marche sur une pince de crabe putréfiée à moitié enfoncée dans la plage, elle attrape la gangrène et elle meurt dans d'atroces souffrances. - ... un simple rapport sur tout ce que nous savons. A part Ripper et No, on est les seuls survivants de Raccoon City. Ils ne savent pas exactement ce qu'on a vu... - Les deux jeunes gens sont bien embêtés sans leur petite amie, persiste-je. - ... mais ils se doutent que c'est intéressant, poursuit Jill comme si je n'existais pas. S'ils ont No ou Ripper, ils veulent en savoir encore plus, s'ils n'ont aucun des deux, ils entrent en terrain vierge quant à ce que l'on connaît. - Un jour, au feu de camp, l'un des deux jeunes hommes s'approche de l'autre, près, très près... il a un air lubrique. Il lui souffle : "Ecoute, tu es jeune, je suis jeune, tu es beau, je suis beau, alors, on va faire comme ça..." - Notre survie dépend des informations qu'on possède ? fait Rebecca en se tortillant d'une manière qui m'enfonce encore plus la tête entre ses seins. - "... ça va être toi les jours pairs et toi les jours impairs". Le nouvel arrangement marche à merveille, les deux jeunes hommes se dépensent de toute leur vigueur, et ils passent encore quelques semaines formidables. - Même pas, répond Jill. Umbrella nous tuera même si on leur dit tout. Surtout si on leur dit tout. - Mais au bout d'un mois, l'un des jeunes hommes hésite, continue-je en tirant en vain sur mes liens. Il se confie à l'autre, l'air un peu intimidé, et il dit : "Ecoute, j'en ai assez, ce n'est pas normal ce qu'on fait, c'est contre-nature". - Faut s'échapper, c'est clair, fait Rebecca. - L'autre jeune homme répond : "Ouais, tu as raison, en plus, les sensations ne sont plus les mêmes qu'avant". Mes compagnes se sont tues. A la limite de la crise de nerfs, je lâche la chute de la blague : - "Okay... on l'enterre ?" Silence de mort, haché en paquets tranchants par le bruit des pales de l'hélicoptère. Puis le Mexicain éclate de rire.
_________________
|