CHAPITRE XXIII
Adossé à la porte de sortie, je perçois les choses autrement. Je parcours du regard l'entrepôt de l'usine. Vaste et sombre... Les plans du bâtiment effleurent la surface de mon esprit. J'appréhende à présent toutes choses d'une manière impossible à étaler à " plat " en trois dimensions. Je possède bien plus de plans de perception et la vision humaine m'apparaît plus superficielle qu'une représentation bidimensionnelle de la réalité. Je me sens autre. En comprenant que je suis un être grotesque et pitoyable, que j'ai toujours méconnu la vie, que mon statut de " prédateur suprême " n'était en fait que la déchéance d'un être complexe, subtil, sensible au niveau d'une machine à tuer primaire, j'ai atteint un nouveau statut. En écho à ce mode de perception surnaturel, je rejoins quelque part ce que jadis j'étais - Has-kay-bay-nau-ntayl, l'indien qui ne faisait qu'un avec la terre. Je retrouve mon être oublié, mais je suis plus que lui, tellement plus. Le résultat d'une existence vouée à l'atrocité et pourtant si complexe. Je songe à l'univers et je comprends tout. Tout. Les informations dont je dispose, cette culture immense que je souhaitais léguer à Ripper, concordent vers quelque chose. Cette nouvelle vision du monde m'a permis de compléter le puzzle. Tout entre en corrélation. Je vois la voie de la rédemption s'ouvrir devant moi, non seulement pour mon être, mais pour chacun de mes semblables. Les affres de l'existence mettent leurs secrets à découvert. La structure de l'espace et du temps, l'origine et le destin de l'univers, les liens entre les êtres, tout cela constitue un tout prodigieux qui pourra être contrôlé... Et le Virus-NO est la clé de ce chemin, la voie de la rédemption. Je ne voyais mon enfant, fruit du génie génétique, que comme un moyen de gagner en puissance pour tuer plus vite et échapper enfin à cette enveloppe humaine certes robuste et efficace, mais si faible d'un point de vue absolu. A présent, je comprends quel rôle pourrait jouer le virus. Est-il prêt ? Je regarde ma montre. Oui, la solution est arrivée à maturité. Le Virus-NO sera l'instrument de ma transfiguration. Pourquoi fuir ? Je verrouille la grande porte de l'usine. Quelqu'un me parle en Viêt-namien. - Tu fuis bien souvent pour un grand prédateur. N'est-il pas enfin temps d'affronter tes frayeurs ? Trinh. Mort depuis longtemps, mais vivant en moi. Mon trépas ne serait pas suffisant pour expier mes meurtres. Mes victimes me poursuivront toujours. Le Virus-NO.
- C'est trop sombre...
Seth tâtonna à droite, dans l'obscurité, et finit par trouver un interrupteur.
Des néons illuminèrent l'entrepôt.
A l'extrémité de la salle, trente mètres plus loin, un homme était appuyé contre la grande porte. Dans cet éclairage éblouissant, il ressemblait à un Indien parti à la guerre.
- On ne va pas le laisser fuir, siffla Jill. Pas cette fois.
Wilde tira en direction de Rodaring. La déflagration le rata complètement.
- Vous ne voulez pas faire la paix ? clama leur adversaire.
Spike fut saisi d'un rire.
Le groupe s'immobilisa au centre de l'entrepôt, à quinze mètres de l'ennemi.
- Je suppose qu'il le faut, lança Rodaring. J'ai de grands projets. Je ne peux vous laisser me détruire.
Jill acquiesça, tira son Magnum Python de la ceinture. Elle soupesa le pistolet. Une chose dévastatrice qui ferait très bien l'affaire pour faire goûter le terreau à la personne qui y avait envoyé tant de gens.
- Non, fit Spike. C'est à moi de le faire. C'est moi qu'il a entraîné au pire...
- Que viens-tu chercher là ? railla son ancien mentor.
- Ma rédemption, Rodaring.
Jill remit l'arme au jeune homme blond.
- Tu ne m'appelles plus No ?
- Je te renie. Et je te considère comme l'instrument de ma damnation.
Nathaniel " No " Rodaring Has-kay-bay-nau-ntayl ricana.
- Ripper, Ripper, Ripper... tu ne comprends donc pas que tu m'emploies comme excuse ?
Il fit un pas en avant.
Spike Williams tira.
Rodaring fut saisi d'un soubresaut. L'une de ses rotules avait été pulvérisée.
- Des tas de soldats sont jetés sur les champs de bataille, reprit-il. Ils pourraient se serrer la main, mais ils décident de tuer. Parce qu'ils sont payés pour ça, mais surtout parce qu'ils oublient le sens du meurtre.
Il se mit à boiter.
Spike Williams tira.
Seconde secousse. Rodaring tomba à genoux - genoux qui n'étaient plus que charpie mêlée d'os.
- Occire quelqu'un, supprimer sa conscience, sa mémoire, son corps, plonger dans le chagrin tout son entourage, souiller la terre de son lugubre sang. Anéantir d'une seule balle son passé, son présent et son avenir. Tu le ferais ?
Spike Williams tira.
- Tais-toi ! rugit Spike.
Williams tira.
- Tais-toi !
Tira.
- Tais-toi ! Tais-toi ! Tais-toi !
Tira, tira, tira.
Rodaring hoqueta. Sa cage thoracique était déchiquetée. A l'emplacement du coeur, une balle avait perforé chair, organe et os de part en part.
L'homme parvint à sourire. Cela plia ses peintures de guerre faciales en un motif évoquant une araignée.
- Encore vaillant et toutes mes dents. Cela te réjouit-il, Ripper ?
L'expression de Spike devint terrifiante. En le voyant, Seth, Jill, Wilde, Rebecca et Dietrich esquissèrent un recul.
- Mon... nom... n'est... pas... Ripper !
Il fonça, franchit les quinze mètres et poussa Rodaring contre le mur d'un coup de main soudain changée en patte griffue. Le torse déjà malmené de l'homme se disloqua.
Spike cria et appliqua le canon du Magnum contre la tempe de Rodaring.
- Je m'appelle Spike !
Quand l'arme claqua, les yeux et les tempes furent vaporisés, matérialisant un cône de débris et de jets de sang de l'autre côté du crâne. Le sang aspergea Spike.
Sous la tête défoncée, la mâchoire inférieure cliqueta.
- Ca aurait marché ailleurs... mais à Raccoon City, les morts ne sont plus ce qu'ils étaient, Ripper !
- Toi ? Toi... un monstre ? Comme Seth ? Comme moi ?
- Comme toi. Je suis ton image, Ripper, un avenir possible. Ce que tu serais devenu si tu m'avais suivi. La guerre crée des monstres et elle a forgé le croque-mitaine No Rodaring. J'aurais pu en faire une dynastie !
Les restes de la tête rirent sous les flots de sang.
Ripper recula.
- Connaissez-vous votre chance de pouvoir admirer la version optimisée du Virus-NO ? Je me le suis injecté juste avant que vous arriviez et il fait déjà merveille. Exempt de tous les défauts du précédent virus ! Je ne risque pas de devenir un ersatz de William Birkin rongé par le Virus-G, à l'opposé de votre ami...
Spike jeta un regard en arrière, vers Seth. Il était resté avec ses amis, plantés au centre de l'entrepôt.
- Rejoins vite tes camarades, petit garçon. Car Has-kay-bay-nau-ntayl ne joue plus.
Le corps de Rodaring cessa de parler et se détendit.
Spike avança une main prudente et prit son pouls. Mort.
Le cadavre craqua et s'effondra.
- D'accord, dit Spike. Erreur dans ta formule. Ou je t'ai tué trop vite. Echec et mat.
Il fit signe au groupe de le rejoindre.
- Résistant, le bougre, fit Wilde.
Gémissement.
Un instant, ils crurent que Rodaring revenait d'entre les morts. Toutes les armes se pointèrent sur le corps. Mais la dépouille mutilée n'était plus animée.
Ralph Dietrich remarqua les membres tremblants de son fardeau et le posa à terre. La femme blonde hoqueta.
Jill tourna la tête vers Rebecca.
- Agent Chambers, manoeuvres de secourisme.
Rebecca fit quelques pas, se pencha sur la malade allongée. Annette respirait fort. La jeune recrue du S.T.A.R.S. écarta les mâchoires de sa patiente par la force des choses et se courba pour le bouche-à -bouche. Des exhalations pestilentielles la firent reculer.
- Son haleine sent le tombereau d'ordures, gémit Rebecca. Qu'est-ce qu'elle a bien pu manger ?
Sur ce, Annette Birkin ouvrit les yeux. Les pupilles étaient vitreuses.
- Will... iam...
Rebecca leva les yeux vers Spike.
- Elle t'appelle.
- Non. Moi, c'est Williams, avec un " s " à la fin.
- Mon mari, reprit Annette. William...
Le groupe se rassembla autour de la malade.
A quelques mètres de là , le corps de Rodaring se désagrégeait.
- Je suis là pour vous protéger, fit Dietrich à Annette. C'est le moins que je puisse faire pour expier.
- Idiot... les crimes que tu as pu commettre, ils sont déjà pardonnés... ne me protège pas.
Annette serra les dents ; son visage reprit des couleurs.
- J'ai une larve dans le ventre. Elle colonise mon organisme en pillant mes réserves de calories pour accroître son rythme de développement. Elle répand le Virus-G dans toutes les cellules qu'elle touche. La contamination sera bientôt totale.
Annette s'agrippa aux vêtements de Rebecca.
- Moi et l'enfant de William... nous ne ferons plus qu'un. Ce que William a raté avec Seth et Spike, il l'a réussi pour moi. ADN compatible, pas de virus antagoniste pour que les deux toxines s'anéantissent. Je serai bientôt votre ennemie.
Tous s'écartèrent.
Wilde présenta son arme à la cantonade.
- On sait tous ce qui doit être fait.
Il visa Annette.
Seth, voyant la scientifique mise en joue par Oscar Wilde, la comprit petite, frêle, prête à être emportée par une brise. Un amas de brindilles drapé d'un mouchoir blanc.
Wilde ne tira jamais. Un son humide, répugnant, donna à tous la chair de poule.
Ils se tournèrent vers la source du bruit. L'emplacement du cadavre de Rodaring. Il n'y avait plus de corps. Rien qu'une grande flaque de liquide rouge qui allait en s'étendant. Des veinules roses palpitaient dans la substance gluante, se dissipaient, se reformaient ailleurs.
Spike poussa un juron londonien.
Le fluide s'envola vers lui, parcourant l'air en mille tentacules liquides, propulsé par quelque influx nerveux. Spike s'était déjà retourné pour commencer à courir. La solution sanglante s'abattit sur le sol, manquant de l'éclabousser - mais il savait qu'il ne le fallait pas, qu'il ne devait pas entrer en contact avec cette chose.
Ils s'éloignèrent le plus possible de la flaque qui se concentrait à présent, comme si le processus de fonte d'un bonhomme de neige avait été inversé. Une silhouette rougeâtre s'érigeait dans le hangar. Une cavité naquit dans la figurine liquide qui se modelait à l'image d'un homme.
- Seule ma psyché permettait cette symbiose avec le Virus-NO, balbutia l'effigie. J'ai abandonné une structure corporelle fixe pour devenir un être absolu.
- Tu es plus pitoyable que jamais, proféra Spike.
- Faux, Ripper. Je l'étais avant. Humain, tentant d'atteindre le stade de prédateur ultime. C'était une régression au stade animal d'un être infiniment plus subtil. Ca, c'était ridicule. Un homme essayant de se faire bête. Alors que j'avais la conscience, la connaissance, la richesse, la musculature, des sens surdéveloppés, une osmose avec la nature, je me suis ravalé au rang de tueur en série. Consciemment, m'enfonçant dans mon erreur.
Jill ricana.
- Tu crois que c'est mieux ? Comme ça ? Renier ton humanité... pour être un chewing-gum rouge ?
- Un être protéiforme a le contrôle ultime, dit la chose. Vous avez devant vous un No sublimé.
- Je ne vois qu'un protoplasme carnivore. Tu es plus bas que jamais. Une paramécie géante, c'est ça, ta conception de l'existence absolue ?
La statue écarlate fronça ses semblants d'arcades sourcilières.
- Je peux être tout. Tout. C'est une réincarnation perpétuelle.
Les humains reculèrent ; leurs armes cliquetèrent.
- Je ne sais pas comment tuer du sirop de fraise conscient, déclara Seth. Mais on va y arriver. On doit y arriver.
La masse en constante réorganisation vacilla, éclata, se rassembla.
Et No laissa échapper d'entre ses tentacules un chant, des sons graves jamais entendus sur cette planète. Les harmoniques de sa voix submergèrent les tympans de l'équipe. Cette chanson contait toutes les erreurs de No, son évolution spirituelle, sa répulsion de son état antérieur, la conscience de la place qu'il occupait dans le grand ordre des choses, comme chaque élément sur cette Terre, comme chaque existence de cet univers.
Resserrant ses doigts sur ses armes, Seth fut le premier à voir des étincelles vertes éclore sur le sol. Il crut devenir fou. Mais en croisant le regard de ses compagnons, il vit les prémices d'un trouble identique.
- Vous quittez les valeurs concrètes, proféra No.
Il acheva son chant sur une note qui parut trouver son écho dans une explosion de lumière autour d'eux, une symphonie visuelle.
- Nos yeux nous trompent ! s'exclama Dietrich.
Seth vit un arc d'énergie traverser son bras... et ne le sentit pas. Il comprit que rien de tout cela n'était réel, qu'en quelque sorte, ils étaient tombés sous l'influence psychique de No. Ils voyaient le monde comme il l'admirait à présent. Il leur faisait partager le goût du maelström perpétuel de flux d'énergie entremêlés, une cathédrale de flammes vertes prenant toute son ampleur autour d'eux. Les arabesques ardentes mêlaient la géhenne, l'écriture, les symboles cabalistiques, les tableaux, l'architecture en un tout harmonieux, d'où se dégageait l'expression de la structure de l'univers.
- Bienvenue dans l'intangible...
Puis le vert vira au brun, tandis que l'environnement psychédélique était perturbé.
Dietrich se tourna vers ses compagnons, la splendeur insolite du monde astral ne cessant de se déployer plus loin avec davantage de complexité autour de lui.
- Ce truc de shaman va sonner notre glas... on doit se battre !
Acquiesçant, Wilde mit No en joue. Un coup, deux coups, trois coups. Des éclaboussures naquirent dans la chose avant de disparaître.
- Ce n'est pas comme ça qu'on l'aura ! fit Jill.
L'adversaire, devenu un quadrupède cramoisi, galopa jusqu'à Wilde. Voyant la chose venir, ce dernier se mit à courir. Le monstre bondit. Il avait présumé de sa victoire ; Wilde fonça en sens inverse et l'être massif passa au-dessus de lui. Il atterrit sur quatre pattes comme des troncs d'arbres et fouetta l'air de ses tentacules.
Wilde reprit sa course, mettant la plus grande distance possible entre lui et la chose, pendant que ses amis canardaient. Des étincelles ocres filaient autour de lui.
La bête s'ouvrit comme une gigantesque cage thoracique putréfiée. Un essaim d'abeilles rouges en sortit pour fondre sur la proie actuelle. Wilde hurla quand les parcelles de la chose le rattrapèrent, se refermèrent sur lui en sarcophage sanglant avant de s'introduire dans son nez, dans sa bouche, dans ses oreilles, à travers tous ses orifices pour le dépecer de l'intérieur, et que de son épiderme, par mille plaies, le Virus-NO était injecté. Ses cellules furent colonisées à grande vitesse. Un appendice buccal anéantit son cerveau pour éviter que la conscience de Wilde ne soit intégrée à l'organisme.
Seth pensa trop tard à achever Wilde. Quand il tira, l'agglomérat rouge se scinda en une myriade d'araignées qui galopèrent vers lui. Il ne restait plus rien de leur ancien compagnon - ou plutôt, il était intégré au protoplasme.
- Dietrich ! Rebecca !
Jill leva une main.
- A mon signal...
Ils opinèrent et visèrent l'atrocité.
Seth voyait sa mort survenir.
Dietrich, Jill et Rebecca tirèrent de concert. L'être protéiforme fut rejeté en arrière comme un brisant fracassé par un récif. La masse se réorganisa, mais de nouveaux coups de feu la ramenèrent à un état instable.
- C'est comme essayer de fusiller une rivière, constata Seth.
- Même mes mines ne font pas d'effet... souffla Dietrich.
- Il doit y avoir un moyen de détruire cette... chose, affirma Rebecca.
- Le... le Virus-NO...
C'était la voix d'Annette, assise, livide.
- Il faut... utiliser... le... contraste. Deux virus ennemis nés du Precursor s'annulent...
Spike adopta une moue qui avait quelque chose de cockney et dit, en détachant chaque mot, dans un anglais digne d'Oxford :
- Eh bien, je crois que c'est mon heure de gloire.
Il prit une inspiration. Une fois de plus, le jeune homme sentit ses forces lui échapper. Il avait faim, extrêmement faim, mais il devait prendre à nouveau cette forme consommatrice de maintes calories.
Ses vêtements se déchirèrent sous la pression d'un corps en pleine extension. Une fois de plus, sa peau jaunit, ses membres s'allongèrent jusqu'à évoquer de longues et maigres pattes d'araignée. Le corps de l'être cessa de grandir ; ses articulations cliquetèrent lorsqu'il fit face à l'abomination rouge.
No parut se réjouir de la transformation. Le décor changea une fois de plus, les flammes brunes virèrent au rouge avant de s'estomper, les laissant tous sur un plateau rocheux au coeur d'un paysage qui n'était que conflit. La lave rugissait au contact des eaux furieuses. De partout s'élevait la fumée. C'était la Terre primordiale, avant l'apparition de la vie, avant même que la Pangée n'émerge.
Dès la charge du monstre, la course de Ripper, Rebecca comprit qu'il employait la mauvaise technique. Peut-être en avait-il conscience et se jetait-il dans ce dernier combat pour échapper à cette survie qui lui paraissait de plus en plus vaine à chaque instant. La masse rouge se divisa en deux silhouettes squameuses qui s'écartèrent sur le passage de Ripper.
No avait trompé son adversaire comme un torero.
La chose cramoisie riposta sans attendre à la charge manquée, assenant à Ripper un coup d'un membre évoquant autant une masse d'armes qu'un fouet. La créature arachnide tomba sur le flanc, une large plaie ouverte entre ses côtes.
L'abomination rouge laissa filtrer quelque chose qui ressemblait à un rire.
- Tu ne mérites pas cette capacité de transformation octroyée par le Virus-G.
Un appendice projeta une goutte de la chose protéiforme dans la blessure.
Serrant follement son arme inutile, Jill vit du coin de l'oeil que Seth, tentant de faire abstraction du combat, brisait le verrou de la porte de l'entrepôt. Les deux battants étaient une fausse note, une enclave de la réalité dans le délire visuel. On ne voyait même pas le mur où ils étaient fixés ; ils semblaient se dresser dans l'air devant des flots de lave.
L'attention de la jeune femme revint à No et Ripper quand un cri humain retentit.
L'organisme de Spike Williams se tordait sur le sol, en proie à une lutte violente.
Jill songea à la bataille qui devait faire rage dans ce corps entre le Virus-G et le Virus-NO, l'improbable conflit qui laisserait les organes épuisés, l'être brisé. Des choses se rompaient au rythme des spasmes de Spike. Pas tant des éléments de son anatomie que la résistance à la douleur qu'il avait développé au fil des années, ses dernières velléités de combat.
- Reviens à ton moi initial... persifla la chose rouge.
Seth donna un coup de pied dans la porte.
Claquement.
- On peut y aller ! s'exclama Seth.
C'était compter sans No.
Il bondit au plafond, grand être vermiforme, serpenta à grande vitesse et atterrit devant Seth.
Il est trop près. Je pourrai jamais filer. Je tire et j'exécute un saut en arrière. Ma gorge est sèche. Trop près, il est trop près. Je tire encore, sans aucun effet. Douleur au thorax. Baissant les yeux, je vois qu'un tentacule gluant m'a perforé le tronc. Tout devient froid... si froid, si sombre. Je tourne la tête. J'ai l'impression de me déplacer dans de la gelée. Je sens plus mon torse. Je suis foutu. Il m'a touché, c'est suffisant. Un simple effleurement et c'est la fin. Mon regard croise celui de la brunette. Désespéré, je lui souris. Merci, Rebecca. Merci de m'avoir fait croire au bonheur, un petit moment. Pourquoi ça dure aussi longtemps ? No me dévore. Je meurs... Ben, ça doit être la perception du temps. Et puis je ne souffre pas, là . Plus de douleur. J'en avais avant. Pourquoi ça s'arrête ? Pourquoi tout est froid ? Rebecca a le souffle coupé. Moi, je pleure. Je pense à ma famille, à mon passé, à ma psychose et à Ripper. A tout le monde. Je parviens à ouvrir la bouche alors que le protoplasme rouge recouvre mon visage et y pénètre. - Prends soin de toi. Je t'aime.
Une explosion pulvérisa la carcasse pantelante de Seth.
No, rejeté en arrière, se rassembla.
Ralph Dietrich survint à grands pas.
- J'avais raison d'économiser mes grenades thermiques...
Il s'arrêta et balança sa seconde grenade. La déflagration orangée réduisit No à l'état de grands arcs de liquide rouge.
Lorsque Dietrich passa à côté d'Annette Birkin, il ne remarqua pas qu'elle se relevait.
Autour d'eux, dans des cascades de lumière verte, la Terre préhistorique laissa la place à une cité humaine. Les gratte-ciels étaient communs, mais Dietrich était convaincu que jamais de tels bâtiments n'avaient été érigés en bordure de Raccoon City... et encore moins détruits. Car la ville qui les entourait, cette illusion sinistre, n'était plus que décombres.
Etait-ce l'avenir ? La disparition de la civilisation humaine ?
Il ne prit pas le temps de réfléchir à cela, n'ayant d'yeux que pour la flaque rouge. No se reconstituait. Dietrich fut abasourdi de la rapidité avec laquelle lui-même s'habituait au concept d'environnement visuellement protéiforme. L'entrepôt existait toujours, quelque part, c'était son sol qu'il sentait sous ses pieds, mais il était mystifié.
Il ne lui restait plus qu'une mine. La chose approchait.
Dietrich comprit que s'il tirait maintenant, le coup aurait peu d'impact. Il devait attendre que No soit tout proche, afin que la déflagration consume le maximum de sa substance. A défaut de lance-flammes, ils pouvaient compter sur les explosions pour neutraliser des portions de l'être.
D'un doigt moite, il tapota sa gâchette.
Si l'ennemi était plus rapide que lui, il l'absorberait avant qu'il ne puisse tirer.
No bondit.
Dietrich pressa la détente, un projectile partit dans une fleur de fumée, la mine explosa, il fut ébloui et assourdi.
Spike, Jill, Rebecca et Dietrich lui-même crurent que tout était fini.
Puis le décor se modifia une fois de plus. La ville en ruines céda la place à d'autres édifices, des architectures qui n'avaient jamais existé et n'existeraient jamais en ce monde. Ces bâtiments n'appartenaient pas à la Terre. Entre les colonnades cyclopéennes que devait avoir jadis parcouru quelque peuple incompréhensible et lovecraftien, les restes de No apparurent, prenant la forme d'une sorte d'insecte de taille humaine.
- On ne peut le brûler, fit Jill. C'est terminé.
Rebecca confia son arme à Jill et rejoignit Spike. Il ne portait aucune trace d'ecchymoses, nulle scarification. Le contact avec le Virus-NO avait anéanti les résidus du Virus-G laissé par William Birkin en Spike Williams. Elle avait devant elle un être humain normal, à peine toussotant.
- Relève-toi, fit-elle.
- Ca ne sert à rien. Il nous rattrapera.
- Spike ! Seul un imbécile croit prédire l'avenir !
- A si brève échéance, il est inévitable. No nous dévorera.
No avançait lentement vers les quatre humains, les derniers restes du groupe. Jill et Dietrich tiraient, en pure perte. L'effet de chaque impact se dissipait chez la chose rouge.
- Spike ! Lève-toi !
- Rebecca. Nous sommes condamnés.
- Je ne crois pas au destin ! On construit soi-même son propre futur. Si tu te laisses porter par les événements, tu es un lâche. Décide par toi-même, Spike !
L'homme blond ferma le poing.
Spike déglutit et se releva... pour voir Annette Birkin qui titubait.
- Umbrella... m'a... volé... ma vie...
Le thorax d'Annette tressautait. La larve de William se développait toujours, l'empoisonnant, tentant de faire muter le corps à vive allure pour se fondre en elle.
Les pas d'Annette l'amenèrent à dépasser les humains pour avancer vers No. La chose rouge s'était immobilisée, percevant les symptômes.
- N'approche pas, siffla No.
Il cracha un jet de venin qu'Annette esquiva. La vigueur de la malade était certainement provoquée par le Virus-G. Elle n'en avait pas moins le teint maladif et les gestes hésitants.
- Nathaniel Rodaring... pour moi et mon mari...
Annette hoqueta.
- ... que cesse... la... folie...
No avança, levant des griffes acérées, Annette puisa dans ses dernières forces pour se précipiter entre les pattes du monstre, l'un de ses bras fut arraché, deux tentacules l'embrochèrent, mais elle atteignit le tronc de la forme en perpétuel remodelage en un cri.
No hurla.
La tête d'Annette rebondit au sol de l'étrange cité... qui n'était plus une cité. Tout se brouillait tandis que l'emprise psychique de leur ennemi se dissipait.
L'entrelacs mystique de flammes vertes apparut, des faisceaux lumineux filant vers la chose qui se rétractait, en proie au conflit des virus. Plus question d'échappatoire pour l'abomination.
Un instant, il y eut les étoiles, l'univers éternel.
Quelque chose s'acheva, l'entrepôt de l'usine chimique d'Umbrella Corporation, en bordure de Raccoon City, réapparut enfin.
La bataille était terminée.
No était tombé.
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Dernière édition par Raphychou le 21 Juin 2005, 04:53, édité 1 fois.
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