Zohar De Malkchour a écrit:
Toujours rien sur ce film après deux semaines de sortie. Dire que je suis étonné serait faible, car on nous a habitué ici à voir tous les films blog buster critiqués par notre apprenti cinéaste, Raphaël (surtout quand celui-ci l'a vu, et c'est ici le cas de son aveux même).
Jusqu'à présent, j'avais observé le plus grand silence pour éviter de devenir
Bisounoursesque envers la chose ici présentée... "Je suis une légende", ou quand, en quelque sorte, Hollywood
envoie des petits coeurs sur le monument aux morts de toute la vieille science-fiction sérieuse des années 50, tombée au champ d'honneur avec les Futuriens pour déboiser un peu le territoire de l'imaginaire futur.
"Je suis une légende" est une barre chocolatée sans nom drapée dans les oripeaux d'un film de qualité, l'une des plus belles impostures de l'histoire du cinéma, le fond de la bisounourserie, une tromperie pas gentille sous des dehors soignés.
Voilà , c'est dit. Maintenant, pourquoi ? Comment ? Et qu'est-ce qui fait de ce film quelque chose que l'on peut raisonnablement considérer comme tout à la fois médiocre, insultant et nauséabond ?
Adapté deux fois auparavant au cinéma, le mythe "Je suis une légende" a connu, après le fameux film "Le Survivant" où joue Charlton Heston, une période de vaches maigres. En tant qu'Arlésienne à la pré-production même sans cesse repoussée, le film a fini par mériter totalement son titre. À Hollywood, on appelle ça une
conception infernale. C'est quand tous les éléments humains, naturels ou surnaturels paraissent se liguer contre un projet unique. Terry Gilliam a connu ça à de multiples reprises, Val Kilmer aussi. "La Planète des Singes", qui a finalement échoué entre les mains d'un Tim Burton en pleine crise artistique, est un excellent exemple de ce genre de tempête. Les conceptions infernales, ça a cassé les dents des plus coriaces producteurs, ça a brisé des réalisateurs, ça a rendu fou des acteurs.
Pour juger de l'ampleur de cette incroyable cabale, dans le cas de "Je suis une légende", qu'on se souvienne qu'Arnold Schwarzenegger était visé pour le rôle du personnage principal, en... 1993 !
Les scripts se sont succédés, les postes aussi, la perspective du film a émergé et replongé à d'innombrables reprises dans la grande mer furieuse qu'est Hollywood l'immonde, pour finalement accoucher du produit que nous avons sous les yeux...
"Je suis une légende" est une belle oeuvre de cinéma, sur un plan formel, c'est là la frustration. L'oeuvre ne cache pas ses influences, références qui l'honorent (notamment l'immense "Le monde, la chair et le diable"), et se trouve bien éclairée par un Will Smith qui livre là , sans doute, la meilleure prestation de sa carrière.
Mais...
Le scénariste de
"Batman & Robin", individu sinistre s'il en est, a bien oeuvré pour faire du film un récit puritain, consensuel et ordurier.
Je vous invite à un bref petit jeu.
Question 1 :
Je suis un militaire qui doit faire des recherches pour sauver l'humanité d'un abominable virus en cours de propagation.
Où vais-je m'installer ?
1) Aux antipodes de l'épicentre de l'épidémie
2) Dans une base militaire surarmée
3) Dans une zone froide ou désertique
4) Au coeur de l'épicentre, dans mon ancienne maison retapée que j'aurai bien sûr, en plein chaos urbain, changée en vrai bunker doublée d'un laboratoire souterrain suréquipé et aseptisé, prétextant que "c'est le point d'émergence" (???).
Question 2 :
Après trois ans d'épidémie...
1) La végétation commence à reprendre ses droits
2) Les premiers arbres repoussent
3) Une forêt de type nord-américain recouvre déjà la ville, et des ours y circulent
4) C'est la savane, où cavalent lions et antilopes.
Question 3 :
Je suis l'abruti de la question numéro 1, qui a choisi de rester sur place !
Sachant que mon fidèle toutou peut être contaminé, vais-je :
1) L'enfermer chez moi
2) L'enfermer dans une cage blindée
3) Le faire sortir uniquement de jour, dans le jardin, et sous haute surveillance
4) L'emmener avec moi dans chacune de mes sorties sans la moindre exception ?
Question 4 (offerte par un ami à moi du doux nom de Thierno) :
Je suis un scientifique militaire afro-américain. Il est donc logique que...
1) Je connaisse la "musique afro-américaine" (Rap, Reggae)
2) Je conduise à un moment ou à un autre une voiture de bisounours tuné parce que j'ai trop la classe du Hip-Hop inside
3) Si ma femme est autre chose qu'afro-américaine, alors ce sera hispano-américaine
4) J'aie une grosse bite ?
Question bonus (pour avoir plus de points) :
Si j'ai bien réussi à faire contaminer mon gentil chien fidèle à force de le sortir, que vais-je donc en faire ?
1) L'achever miséricordieusement dans l'instant
2) L'abandonner pour qu'il rejoigne la meute de sa nouvelle espèce, les vampires canins
3) L'emmener chez moi et l'étudier comme les dix mille autres spécimens que j'ai
4) L'emmener chez moi pour une douce euthanasie
5) L'emmener dans mon laboratoire sans prendre la moindre précaution sanitaire, et le serrer contre moi jusqu'à ce qu'il se transforme ?
Question ultime :
Ça y est, c'est la fin, mes mauvais choix m'ont conduit droit au coeur de l'enfer. Me voilà cerné dans mon laboratoire secret, avec une femme et un enfant.
Mais merveille !
Deus ex machina ! J'ai trouvé le remède, le spécimen vampire que j'avais au coeur de mon labo est revenu à l'humanité. Derrière moi, il y a un local dans lequel je pourrais me planquer avec mes deux amis. Devant moi, une vitre blindée me sépare des vampires, mais ils la défoncent peu à peu avec des coups de boule (alors qu'ils sont assez intelligents pour utiliser des outils).
LE SANG DU SPÉCIMEN ATTACHÉ SUR UNE TABLE, INCONSCIENT, PEUT SAUVER L'HUMANITÉ.
Que faire maintenant !
1) J'abats tous les vampires, ou je me sacrifie en essayant (après tout, je suis fort commodément immunisé contre l'épidémie), puis je continue la lutte...
2) Je me planque avec la femme et l'enfant dans le petit local, laissant les vampires se régaler avec le spécimen dont le sang les guérira, puisqu'il porte le remède, comme je le dis en toutes lettres.
3) Je prends un échantillon de sang, je me planque avec la femme et l'enfant dans le petit local, puis je lance une grenade, même si le choc pourrait briser nette la précieuse fiole
4) Je perds du temps en contemplant la vitre, puis en donnant un échantillon du sang à la femme avant de me suicider pour rien.