Vaste critique des modèles sociaux humains, dont les deux épisodes sortis à l'heure actuelle sont Dogville et Manderlay.
"Oula, encore de la dénonce dégoulinante de beaux principes", rouspètent déjà certains. Eh bien non. Je ne connais, en toute honnêteté, aucune "critique" comparable à celle-ci, tant elle pousse loin le cynisme... le pousse jusqu'à l'orgasme, en fait. Il n'est pas un seul brin d'herbe qui ne soit aplati, moulu, démantibulé, dissous à la chaux dans ce conte monstrueux.
Mais de l'herbe, déjà , il n'y en a pas beaucoup. Car les deux films se déroulent chacun dans un hangar, suggérant les murs et les habitations par de simples lignes peintes au sol. Arnaque conceptuelle ? Absolument pas. Il s'agit en fait d'une vaste pièce de théâtre, où les personnages occupent tout l'espace, avec un petit plus "filmesque" qui se passe aisément de décor. Et un hangar a beau être plus spacieux qu'une scène, il n'en est pas moins limité dans l'espace : le propos porte justement sur l'organisation sociale au sein de petites communautés fermées (et qui sentent le renfermé).
Les personnages (nous y venons) sont des échantillons représentatifs de caractères, de sorte que c'est tout un petit monde qui cohabite dans ce modeste espace. Une concentration humaine si forte qu'elle ne peut que dégénérer en une réactions chimique rapide et violente, illustratrice de ce qui se déroule lentement et sourdement dans notre monde.
Mais parlons plutôt des films (pas trop, cependant, pour faire saliver sans trop spoiler).
Dogville est un petit hangar/village retiré, peuplé d'individus bourrus et refrognés qui regardent patiemment les années s'écouler. Une bourgade plus morte que vive, donc. Pourtant, un jeune philosophe du coin (dont j'ai oublié le nom) a l'intime conviction que dort au fond de ces mornes individus un meta-power existentiel qui n'attend que d'être réveillé. C'est alors que survient une jeune femme fugitive, dans laquelle il voit l'opportunité d'offrir un présent à ces gens qui ne savent pas recevoir.
Autant dire que la première moitié du film est très Amélie Poulaineuse, puisque Grace (c'est son nom – qui est en fait la véritable héroïne) va, tout en s'intégrant à la communauté, gagner et ouvrir le cÅ“ur de ces rudes paysans d'la campagne. Je me suis presque laissé attendrir par tant de simplicité et de bons sentiments, et "berner" par l'agencement de prime abord optimiste des évènements.
Mais. Je ne voudrais pas gâcher la surprise (comment ça, c'est déjà fait ? avouez que sinon, vous n'iriez pas vous procurer ce film), mais il se trouve en réalité que ce faux raisonnement "philanthrope" ne sert qu'à mettre en place des éléments qui seront ensuite retournés avec un cynisme tout bonnement monstrueux. Eh oui, notre réalisateur scandinave (un grand malade, comme on le découvre bien vite) n'a rien laissé traîner au hasard. Sur le coup d'un petit élément perturbateur, tout, absolument tout va être démoli à coup de répliques "cultissimes" (c'est ainsi qu'on les aurait qualifié, dans un RPG quelconque) qui résonnent avec tant de causticité que l'on ne peut s'empêcher d'esquisser un sourire carn... pervers.
Du sadisme pur et simple ? Même pas, mon petit monsieur. Car, je vous le rappelle, l'Å“uvre a une portée critique (whoah) dont le thème est ici la Justice, ou plutôt exactement le Pardon. Tout tient dans le dialogue final (que je trouve absolument génial [une vraie fangirl, décidément]), synthétisant si bien le film qu'il est absolument impossible de prendre parti. Juste de constater avec quel brio les raisonnements manichéens, et même un peu moins manichéens, dans quelque sens qu'ils aillent, ont été explosés. Dogville, Å“uvre destructrice ? Disons plutôt qu'elle déblaye de terrain (à coups que kalachnikov, certes) de façon à ne plus laisser possible qu'une réflexion propre et lucide.
Remarquons que vous ne savez toujours rien sur le fond de la chose, et c'est normal, il faut que vous gardiez la cerise pour le visionnage. Mais indépendamment de la réflexion, la forme exceptionnelle justifie à elle seule ces... presque trois heures de film.
Manderlay, le second volet, en est la suite directe. Enfin, façon de parler : Grace (personnage central, je rappelle) a semble t-il fait un "reset" complet, alors même que les évènements dogvilliens auraient du la laisser dans un état suffisant pour décrocher le rôle principal dans le prochain Drakengard. Eh bien, non, elle est restée aussi pure, naïve, idéaliste (et, osons le dire : co-conne) qu'au début. Sauf que cette fois, c'est elle qui tient le power, et va donc pouvoir jouer les apprentis Dieu.
Son premier terrain de jeu sera donc une plantation esclavagiste (on voit tout de suite le thème) dont elle va déloger les propriétaires, ses instincts de citoyenne américaine se trouvant profondément choqués par la perpétuation de telle pratique "après l'abolition *officielle* de l'esclavage".
Son père, toujours aussi amusé par les lubies idéalistes de sa fifille, va la laisser "faire ses preuves" sur place, en lui allouant l'aimable assistance d'une dizaine de gros machos à gros flingues, histoire de faciliter le processus. Car Grace se met en tête de guider ce troupeau d'esclaves timorés vers leur affirmation fière et libre de citoyens américains.
On se doute déjà que ça va finir en beauté, mais on observe avec amusement les tâtonnements de Grace comme Impératrice Suprême de la Libération des Peuples. Je dis "amusement" plutôt qu'"intérêt", parce que cette même Grace est assez piteuse, et pas forcément dans le bon sens du terme. Elle estime en effet de bon goût de se fringuer en paysanne, histoire de paraître plus proche de ses sujets, et organise des "cours" de citoyenneté qui feront frémir plus d'un allergique à la pédagodémagogie. Ajoutons à cela que ce n'est plus Nicole Kidman, mais par une certaine Miss "Howard" qui l'incarne, dont la doubleuse française exacerbe assez bien la "désagréabilité" naturelle. Fort heureusement, les belles claques qu'elle se prendra l'amèneront à faire une rechute de "drakengardinite", lors d'un final certes moins traumatisant que celui du premier épisode, mais tout aussi vil, cruel, lucide.
Je ne connais pas beaucoup d'Å“uvres traitant du racisme, mais c'est en tout cas la seule qui me semble proposer une réflexion potable, bien que fondamentalement sèche et anti-démocratique. Seulement, même avec toute la candeur du monde, il est impossible de pas acquiescer un peu, tandis que se déroule le générique de fin sur fond de David Bowie (qui réveille de l'état un peu spécial dans lequel met cette chose). Le problème tient dans un terrible cercle vicieux, et c'est magnifiquement dit.
Bon, on peu quand même reprocher pas mal de trucs au film. Certes, il entre assez rapidement dans le vif du sujet (bon point, lorsqu'on n'est plus vierge de Dogville), mais s'avère souvent maladroit, et parfois très tiré par mes cheveux, dans le "non-laissage-au-hasard" de chaque élément (qui reste cependant excellent).
Et n'oublions pas qu'il s'agit à la base d'un conte philosophique, divisé en chapitres, et amené par un narrateur dont le timbre "bienveillant" se révèlera tout aussi cynique que l'ensemble du film. Le réalisme de la trame reste donc assez secondaire, ce qui excuse pas mal de choses, et permet d'en apprécier essentiellement toute la machiavélique finesse (non, c'est moi qui m'emporte, là ).
Je dois avouer que je suis fan (non : fafan) de ce réalisateur, n'en déplaise aux critiques qui jugent son sadisme envers ses personnages plus racoleur qu'autre chose. Eh bien, je suis racolé, et en tout cas pas assez blasé pour m'en lasser. Vivement le grand final, qui devrait sortir dans quelques temps.
(Notez que je ne mets aucune image, pas même d'affiche, car cela serait, en plus d'être inintéressant, en profonde contradiction avec l'esprit de la chose.)
(Il faut que je me force à être plus concis, à l'avenir. A chaque fois, je m'étale et j'ennuie le peuple.)
|