J'ignorais ce mouvement. Mais je ne fais pas de reproches au film sur ce point : en fait, je suis ravi que Spielberg trouve d'autres alternatives pour exprimer l'horreur de la situation que des pluies de sang, des membres déchiquetés volant en tous sens, etc. La puissance de la suggestion est trop souvent négligée dans la narration cinématographique actuelle au profit d'excès gores malvenus et parfois irréalistes.
Cela n'excuse pas les véritables défauts du film, ainsi qu'un propos douteux appuyé par cet article d'une fameuse revue.
Jean-Luc Parquet a écrit:
A PREMIÈRE vue, on se dit que Spielberg n'a pas trop trahi H. G. Wells avec sa « Guerre des mondes ». On y retrouve beaucoup d'éléments du livre paru en 1898 : l'attaque soudaine de la Terre par les « Marsiens », les fameux tripodes qui détruisent tout sur leur passage à l'aide de leur « Rayon Ardent », l'envahissante « Herbe Rouge », la fuite affolée du héros, etc.
Dans le livre comme dans le film, l'atmosphère de déroute est totale du début à la fin, l'impuissance de l'humanité portée à son comble, ses armes les plus meurtrières aussi inefficaces que des jouets d'enfant. Et si les extraterrestres meurent à la fin, c'est uniquement parce qu'ils n'avaient pas prévu qu'il y ait des microbes sur Terre, et qu'ils tombent victimes d'une infection carabinée.
Mais il y a des différences. Le héros de Wells cherche à rejoindre sa femme, celui de Spielberg à « lutter pour la sauvegarde de ses enfants ». C'est plus gnangnan. Chez Wells, le héros zigouille un vicaire pris de folie au point de croire que les Marsiens ont été envoyés par Dieu pour châtier les humains (qui le méritent bien). Le gars que tue Tom Cruise n'est plus curé : à Hollywood, l'anticléricalisme est tabou. Wells explique que les Marsiens ont de bonnes raisons d'envahir la Terre : leur planète se meurt et devient inhabitable.
Rien de tel dans le film : pour Spielberg, ils n'agissent que par esprit de conquête et cruauté pure. Le cinéaste reconnaît explicitement avoir pensé à Ben Laden : "Aujourd'hui, on craint à nouveau les attaques d'un ennemi qu'on ne comprend pas. Ces extra-terrestres symbolisent cet ennemi."
Le terroriste comme Autre absolu, même pas humain : tout un programme.
Militant socialiste et anticolonial, Wells écrit « La guerre des mondes » alors que les guerres coloniales font rage. Par cette fable, il entend montrer ce que l'on ressent, lorsque des êtres prétendument civilisés, à la pointe du progrès technologique, mènent contre vous une guerre d'extermination, et vous rabaissent au rang de bétail.
En cinquante ans, nous avons balayé du monde les Tasmaniens, dit-il, « sommes-nous de tels apôtres de miséricorde que nous puissions nous plaindre de ce que les Marsiens aient fait la guerre dans ce même esprit ? ». Evidemment, ce genre de préoccupation ne traverse pas une seconde l'esprit du cinéaste.
Pour Wells, les E.T., c'est nous. Pour Spielberg, c'est eux. Le mal est dans le camp d'en face. Rien dans le film qui renvoie à la guerre en Irak, ou jette un doute sur la manière dont l'Amérique use de sa puissance.
Mieux : voilà des années que les films catastrophe (la série des « Terminator », « Titanic », la série télé « Lost ») produits par la machinerie hollywoodienne ne cessent de marteler cette idée : il ne s'agit plus désormais de se demander « comment empêcher la catastrophe », mais « qui va survivre à la catastrophe, et dans quelles conditions » (1).
Comme si elle était inéluctable.
Tout un programme ?
Jean-Luc Parquet
(1) « Nouvelles de nulle part n2 4 », de Jean-Marc Mandosio (disponible chez l'auteur : 91 bis, rue d'Alésia, 75014).
« Le Canard enchaîné » - mercredi 6 juillet 2005 - p. 5