"Les mecs, on vous a choisi pour écrire Pirates des Caraïbes 3. La logique aurait voulu qu'on prenne les mêmes types que pour les précédents épisodes, c'est mieux en général pour la cohérence d'une trilogie, mais tant pis. Vous avez bien lu le résumé en cinq lignes du second film ? Alors au boulot.
- Bon, alors déjà , ce truc-là , le kraken... ça me gêne, j'en veux pas.
- On a qu'à dire qu'il est mort...
- Comment ? Pourquoi ? T'as vu le bestiau ?
- Les anglais ont ordonné à Davy Jones de le tuer ?
- C'est complètement débile, ce truc est l'une des pires armes jamais vues...
- On s'en fout, comme ça, on en est débarassé...
- OK, je marche. Y a des trucs dont toi tu veux te débarasser, au fait ?
- Boaf, pas spécialement, juste les enjeux exposés jusqu'à maintenant que j'aime pas trop, ils me gênent pour mettre mes idées...
- Détaille ?
- Alors voilà , déjà , moi, Pirates "des Caraïbes", je trouve ça trop réducteur, tu vois ? Des pirates, il y en a eu ailleurs dans le monde ! Alors moi je dis, on va mettre des pirates de partout ailleurs... mais pour que ça reste "des Caraïbes", ils feront de la figuration, tu vois ? Un ottoman, une chinoise, un africain, tout ça, ça fera exotique !
- T'as l'air de t'être documenté...
- J'ai retrouvé un de mes vieux Picsou Magazine sur les pirates.
- C'est pas notre employeur qui te contredira, alors. Et tous ces pirates, ils font de la figuration, mais encore ?
- C'est là que j'ai une idée géniale. Tu vois, on va continuer à picorer dans les trucs mythologiques, après les aztèques avec leur or maudit et le Grand Siècle avec son Hollandais Volant et tutti quanti, je pensais aux grecs... Calypso, la déesse de la mer, tu vois ?
- Si tu le dis, ça doit être vrai. Et donc ?
- Et donc... si la sorcière caribéenne, c'était Calypso enfermée dans un corps humain ?
- Ca sort de nulle part, ça ne mène nulle part... j'adore !
- Et pour semer le doute dans l'esprit du spectateur, on va mettre une scène complètement inutile et débile où on laissera penser qu'Elizabeth pourrait être, elle, Calypso enfermée dans un corps mortel !
- Ca vient encore plus de nulle part, ça mène encore plus nulle part... je bande !
- Arrête de soulever la table. Bon, maintenant qu'on a les idées, faudrait essayer de trouver le gros fil blanc qui les fera tenir ensemble... Ils ont mis quoi, nos prédécesseurs, dans le scénario du 2 ? Vu que le 3 est supposé être une suite direct, ça pourrait être pas trop mal d'essayer de faire un petit prolongement...
- Attends, je regarde le résumé... Voilà ... Sparrow est mort.
- Bon, donc ils vont aller le chercher ! Après tout, il est cool, Sparrow...
- Et les anglais contrôlent donc Davy Jones grâce à son coeur.
- Bon, alors voilà le topo. Les anglais se servent de Davy Jones pour faire la chasse aux pirates...
- Jusque là , c'est cohérent, même si sans le kraken, tout de suite, il perd pas mal en efficacité...
- ... et les pirates, pour se défendre, ont besoin de l'aide de Sparrow.
- Il est pas balèze à ce point...
- Lui non, mais Calypso, oui ! Et ils ont besoin de lui pour accéder à elle...
- Comment ?
- On trouvera bien une histoire abracadabrantesque à improviser, qui ne tiendra pas compte du moindre semblant d'échelle temporelle cohérente, lorsqu'on tournera, t'occupe.
- OK, donc ils ont besoin de Sparrow pour libérer Calypso, ils vont le chercher, le ramène, ils libèrent Calypse, et grosse baston !
- C'est un peu court, non, pour un film qui doit durer trois heures ?
- Hum, Sparrow, il aime bien jouer double/triple/quadruple jeu, non ? Alors on va mettre plein de pseudo-complots dans tous les sens !
- Eux aussi ils ne viendront de nulle part et ne mèneront nulle part ?
- Evidemment - sauf les quelques rares trucs qu'on va être obligé de garder en prolongement du 2, mais fais-moi confiance pour les noyer dans le reste !
- Je t'adore.
- Moi aussi, je m'aime."
Ce document ultra-secret est la transcription écrite des divagations du dément enfermé dans un asile psychiatrique contrôlé par Disney qui a servi de base au scénario de Pirates des Caraïbes 3.
Ce "détail" permet de mieux apprécier la cohérence à toute épreuve du scénario de ce film, ainsi que celle du comportement de ses protagonistes - amener le coeur de Davy Jones, le moyen de le contrôler, sur SON navire, littéralement sous sa "main", mais bien sûr, quelle brillante stratégie, cela dénote une longue expérience dans le domaine de la coercition, de mettre à portée du dominé le moyen qu'il a de briser le lien de sujétion ! Cet esprit supérieur du chef anglais a également marqué de son empreinte la brillante stratégie navale qui consiste à envoyer le vaisseau amiral, seul, au combat alors que la flotte reste en arrière...
Bon, le budget a été économisé pour le scénario, une bonne partie est passée dans les cachets des acteurs, il en reste heureusement assez pour nous assomer sous les effets spéciaux - qui eux aussi seront d'une cohérence à toute épreuve, rassurez-vous. La bataille navale dans le maëlstrom restera un modèle du genre - le genre en question étant "spectaculaire auquel un enfant de six ans ne croierait pas une seconde" (je peux le certifier, il y en avait un à côté de moi dans la salle, il était mort de rire).
La mise en scène des batailles, absolument illisible - ça donne un sentiment d'enchaînement trépidant et excitant... du moins c'est sans doute ce qu'ils ont voulu... - n'est éclipsé que par l'instant nanard suprême du film, je veux bien sûr parler des négociations mises en scène dans le plus pur style westerne. Ca aurait pu être bien vu, mais là ... la sauce est par trop immangeable ; cette épice achève de la rendre indigeste, au lieu de remplir son rôle d'ingrédient surprise qui rehausse la saveur.
J'ai lâché le mot : un nanard, voilà ce qu'est ce film. J'attends avec impatience qu'il soit chroniqué sur nanarland.com.
P. S. : moulou> à la fin du générique il y a une "scène bonus" - par exemple, à la fin du 1, on voit le singe voler une pièce du trésor, ce qui explique qu'il soit encore immortel dans le 2.
_________________ Il est facile de distinguer les jours où je suis de bonne humeur de ceux où je suis de mauvaise humeur : les premiers, je me définis comme obscurantiste et professe que l'Humanité a désespérément besoin d'être ramenée au niveau technologique d'il y a trois siècles ; les autres, je me définis comme nihiliste et professe que le meilleur avenir auquel l'Humanité puisse aspirer, c'est une extinction sans douleur.
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