Faîtes entrer l'accusé...Chers concitoyens, vous allez assister à un procès historique, celui de Naruto.
Définissons tout de suite la chose : il ne s'agit pas d'une présentation en règle de cette oeuvre. Il ne s'agit pas non plus d'une charge hystérique et acharnée, même si, la cour le confesse bien volontiers, cette possibilité était celle qui dominait dans son esprit lorsqu'elle s'est attelée à la constitution du dossier...
Car dossier il y a ! En effet, afin de rendre un jugement en toutes connaissances de cause et aussi juste et argumenté que possible, la cour - oui, j'adore parler de moi à la troisième personne, vous devez commencer à vous en douter - s'est documentée sur le prévenu : la quasi-totalité de l'animé a été visionnée. Les esprits chagrins objecteront que Naruto, avant d'être un animé, est un manga ; à cela, nous répondrons que nous n'allions pas nous embêter à partir en quête de toute cette masse de paperasse alors qu'il était si facile de regarder
en ligne en toute légalité l'animé sans bouger de chez nous.
Nous allons donc procéder au jugement de cette oeuvre, ne négligeant ni les points positifs susceptibles de plaider en sa faveur, ni les points négatifs pouvant mener à sa condamnation. Et comme nous n'avons pas envie de nous embêter à rédiger un texte à quatre mains, nous tiendrons les deux rôles - d'où le pluriel pour me désigner, ahah, tout s'explique.
Cette introduction faite, commençons.
Etat civilNaruto, l'oeuvre, doit son nom à son personnage principal, Naruto uzumaki - photo du prévenu en début de dossier.
Naruto Uzumaki vit dans le village caché de Konoha. Dans son monde, un village caché est une pépinière à ninjas ; toute la population n'exerce pas cette profession, loin s'en faut, mais la raison d'être de la communauté est cette activité, les autres habitants se chargeant des tâches inhérentes à toute concentration humaine - alimentation, etc.
Les ninjas du monde de Naruto sont dotés de facultés surnaturelles qui leur permettent d'accomplir divers exploits surhumains.
Ils sont des sortes de mercenaires, mettant leurs talents uniques au service de qui paye l'institution à laquelle ils appartiennent, à savoir le village caché. Il semblerait que chaque pays possède son village caché, et que cela participe à l'équilibre international.
Au sommet du village cache de Konoha se trouve le Hokage. L'objectif ultime de Naruto est d'accéder à ce statut, non par ambition mégalomane, mais par désir d'être reconnu par les autres habitants du village, qui l'ignorent le plus souvent, et se montrent hostiles lorsqu'ils daignent le remarquer.
Cette attitude trouve sa source dans le fait que Naruto porte en lui Kyûbi, un démon renard, qui ravagea jadis le village de Konoha, et dont on ne put se débarrasser qu'en utilisant une technique ninja très puissant pour le sceller dans un "hôte" : Naruto. Les habitants reportent sur Naruto leur haine pour le démon renard.
Naruto cherche désespérément à se faire accepter et être "reconnu" par ses concitoyens, d'où son objectif : le Hokage est le chef du village parce qu'il est celui qui en porte la responsabilité, à qui on fait confiance pour le protéger et assurer son avenir.
NarutoNous avons affaire à une oeuvre éponyme : son titre est le nom d'un de ses personnages. Ceci nous apparaît comme la preuve irréfragable qu'il y a volonté délibérée de ramener l'oeuvre toute entière à ce personnage et d'en faire le point central, le pivot, la fondation, et autres formules dramatiques, de l'oeuvre en général.
Nous allons donc nous intéresser maintenant de manière un peu plus pointue à ce personnage.
Naruto est un gamin d'une douzaine d'années lorsque commence l'oeuvre. Il est encore à l'académie, l'institut qui forme les aspirants ninjas et leur fait subir un examen en vue de déterminer s'ils ont assimilé et maîtrisé les bases et peuvent devenir ninjas en titre. Naruto est mal engagé car c'est un cancre de la pire espèce : il se montre des plus maladroits dans l'utilisation des techniques basiques inculquées à l'académie, et ses notes sont catastrophiques. En plus de cela, il fait montre d'une indiscipline incorrigible et d'un manque de sérieux récurrent.
Naruto est un perdant - oui, je francise tout les anglicismes qui me tombent sous la main quand c'est possible, vous me connaissez -, vous l'aurez compris. C'est d'ailleurs là chose exprimée noir sur blanc - enfin... nous nous comprenons - plus tard dans l'oeuvre, et même revendiquée. Naruto est un élève médiocre et est donc jugé comme un minable tout court.
Comme on est en droit de s'y attendre, Naruto s'améliorera considérablement par la suite, par des méthodes bien connues, qui ont fait leur preuve dans un nombre incalculable d'oeuvres : la mise en danger de mort, le sens du sacrifice, l'engagement total et absolu pour ce en quoi l'on croît. Notons, cerise sur le gâteau, que Naruto possède une "arme secrète" au plus profond du dedans de lui-même, ce fameux démon renard scellé en lui.
Naruto est donc un véritable cliché ambulant, énième reprise d'un profil usé jusqu'à la corde, y compris jusque dans ses aspects les plus nauséabonds :
- Naruto est considéré comme un minable parce que "professionnellement", à l'école à son âge, il est médiocre ; ce genre de message, où la valeur d'un individu est définie par ses performances "professionnelles", est proprement répugnant ;
- Naruto n'a aucune éducation et son comportement le rend tout bonnement insupportable : si l'on nous permet d'employer ce terme familier, c'est un authentique bouffon, qu'il est impossible de voir plus de dix secondes sans avoir envie de baffer ;
- Naruto a axé son existence sur la quête de reconnaissance, non par ambition ou vanité, comme cela a été dit plus haut, mais par désir d'être entouré, de se sentir exister dans le regard des autres : on atteint un niveau pathologique, ce qui pourrait constituer une thématique intéressante à traiter - on se souviendra d'un Neon Genesis Evangelion... - mais au final s'avère expédié de manière simpliste et totalement inintéressante, nous y reviendrons.
Naruto constitue donc une authentique caricature de pré-ados collée sur un stéréotype narratif réutilisé sans aucune innovation.Il n'a donc aucune des qualités qu'on pourrait espérer d'un personnage principal/portant sur ses épaules l'oeuvre toute entière.
Ou plutôt, si je puis reformuler : si l'oeuvre est supposée reposer sur lui, l'analyse que nous venons d'en faire n'augure rien de bon quant à sa qualité...
ScénariosQu'arrive-t-il donc à ce personnage principal ?
Hé bien cette caricature de pré-ado va mener une vie qui lui est adaptée. Une difficile progression en tant que ninja - qui s'accomplira grâce aux sacro-saints ingrédients de ce genre d'oeuvre que sont les larmes et la sueur - l'attend au travers de petites aventures oscillant entre le correct et le médiocre quant à leur intérêt propre.
Est bien plus intéressant ce qui n'arrive pas à Naruto mais autour de lui. Une intrigue épique est peu à peu esquissée et des événements d'une ampleur inconcevable se mettent en branle, des machinations sont ourdies, alliances et trahisons, haines et ambitions... Comment se fait-il que nous soyons témoins de tout cela, alors que notre point de vue est attaché à Naruto ? Parce que Naruto se trouvent aux premières loges pour assister à ces événements.
Mais comment diable un ninja de dernière zone peut-il se trouver là où se fait l'histoire, au coeur même des événements ? Quelle raison logique peut-il y avoir à ce qu'il soit là ?
Parce que des gens qui eux ont des raisons d'y être sont liés à Naruto d'une façon ou d'une autre - j'emploie là une formule rhétorique, car le lien en question est à peu de choses près toujours le même, comme nous allons le voir.
L'heure est venue de compléter le portrait de Naurto rapidement brossé dans le précédent paragraphe. Naruto possèderait un pouvoir particulier, celui de se faire des amis comme ça, par pure magie des relations humaines. C'est bien simple, personne ne peut passer un certain temps avec lui sans voir naître un lien d'amitié avec lui. C'est en tous cas ce qu'on nous dit. En fait, ce "pouvoir" cible principalement les gens qui ont des raisons d'être malheureux de vivre, comme Naruto pourrait l'être, mais qui contrairement à lui n'ont pas réussi à prendre tout ce que la vie leur a mis dans la gueule avec le sourire. Nous nous permettrons d'employer la formule de Khaine, qui résume à merveille la chose : "Naruto le gentil déconneur qui apprend à vivre aux coincés". Voilà comment on règle le peu de profondeur que ce personnage pouvait avoir, soit dit en passant : par des effets miroirs, chacun des "coincés" reflétant ou mettant en relief un aspect de la douloureuse existence de Naruto, qui par ce biais pourra à la fois le dépasser et au passage aider le coincé à faire de même.
Lesdits coincés, eux, ne sont pas des perdants et ont en règle générale une très bonne raison de se retrouver au coeur des événements, et voilà , le tour est joué ! Naruto va suivre son nouveau/futur pote là où ça se passe, et ainsi, nous allons, par son intermédiaire, resquiller les épisodes historiques...
Naruto est donc un personnage prétexte à la mise en scène d'un scénario qui ne lui est nullement destiné et ne le concerne pas directement.Nous retrouvons de nouveau un artifice de plus grossiers.
UniversL'intérêt de Naruto, l'oeuvre, ce serait donc son univers et l'évolution de celui-ci tandis qu'il vit une charnière de son Histoire ?
Parlons un peu de cet univers.
Si l'on regarde avec un peu d'attention, il est profondément déroutant. Il est en effet difficile de s'en faire une idée exacte, car les contradictions passives abondent. Par la formule "contradiction passive", j'entends les éléments de décors, les détails plus ou moins importants... qui n'ont pas été coordonnés. Démonstration par quelques exemples.
L'architecture, en générale, est plutôt basique. On note une forte influence du Japon médiévale.
Et nous apprenons, au bout d'une dizaine d'épisodes, que le béton armé est une technologie maîtrisée - on s'en sert en ce moment même pour construire un pont reliant un archipel au continent !
L'électricité et l'électronique font aussi partie des technologies maîtrisées. Naruto possède un poste de radio, par exemple.
Il faudra pourtant attendre plusieurs centaines d'épisodes avant de voir des ninjas utilisent des micro/oreillettes pour communiquer en mission, avant cela, les équipes n'emportaient aucun moyen de communication entre leurs membres... !
Les pays sont dirigés par des seigneurs féodaux, encore une fois, nous respirons à plein poumon l'inspiration Japon médiéval.
Ce qui ne nous empêche pas de croiser une espèce de parrain du crime organisé en costume-cravate...
L'univers de Naruto, l'oeuvre, est donc marqué par de profondes incohérences qui semblent anecdotiques si on ne les regarde qu'au travers des petits détails que l'on peut relever mais qui en fait révèle une absence totale de réflexion sur la cohésion et la vraisemblance du monde. Si nous avons affaire à un monde qui maîtrise les ondes radios avec un raffinement suffisant pour miniaturiser ses composants dans des oreillettes, pourquoi diante n'y a-t-il pas de lignes de téléphone ou autres moyens modernes de communications, qui auraient été bien utiles à plusieurs reprises où des ninjas sont obligés de se déplacer physiquement pour tailler le bout de gras sur un sujet capital avec quelqu'un habitant à plusieurs jours de "super-vitesse" de là ?
De plus, le recyclage de concepts fait des ravages. Nous nous contenterons d'évoquer le plus énorme : les ninjas, ces fameux ninjas qui constituent la pierre angulaire de l'oeuvre. Pour un ninja, Naruto fait preuve d'une conception de la discrétion... originale - l'orange fluo intégral, c'est très seyant. Et de manière générale, les ninjas, pour la plupart, sont bien éloignés de ce à quoi l'on pourrait s'attendre d'une telle profession. En fait, sous ce terme se trouvent rassemblés des gens qui ont développés des talents surnaturels qui ont rarement à voir avec la discrétion, la furtivité, etc. et bien souvent, tout à voir avec la grosse baston...
L'univers de Naruto n'a aucune crédibilité interne, car on y a introduit des éléments anachroniques par rapport à la période de référence désignée - le Japon pré-Ere Meiji - sans se soucier de ce qu'ils impliquaient/présupposaient, juste parce qu'on a du penser que "ça le ferait".Et de manière générale, les événements mis en scène, pour bon nombre d'entre eux, ne se voient pas accorder un plus grand souci de cohérence. Bien souvent, les choses se passent "parce qu'elles doivent se passer", faisons plaisir au scénariste...
PersonnagesIl nous reste à voir les gens qui font l'histoire - vu que Naruto, comme nous l'avons vu, n'en est que le témoin prétexte à la mise en scène.
S'il faut en croire bon nombre d'amateurs lucides de Naruto, ce sont précisément les personnages secondaires qui en feraient l'intérêt.
Il convient de nuancer une telle affirmation. Effectivement, l'intérêt de Naruto, l'oeuvre, ne repose certainement pas dans son "héros" ni dans son univers, ainsi que nous l'avons vu. Et il est indéniable que certains personnages "secondaires", qui du point de vue du scénario occupent un rôle central, bénéficient d'un traitement nettement supérieur à celui de Naruto que ce soit dans leur historique et/ou leur psychologie.
Mais il ne faut pas généraliser. S'ils existent bel et bien, ces personnages travaillés ne constituent pas la règle, ni même une majorité. En réalité, dans la plupart des cas, nous nous trouvons devant une illusion de profondeur.
A l'exception des véritables figurants, tous les personnages ont un nom, et un vernis de personnalisation. Ce qui donnent cette impression d'un annuaire complet et diversifié. Mais comme nous l'avons dit, il ne s'agit là que d'un vernis. Aucune profondeur, aucun réel travail... ce qui est normal, car ce sont pour la plupart des seconds rôles. Le résultat ? Donner cette illusion de "peuplement" de l'univers. Nous avons donc affaire à une mesure mi-méritoire, mi-esbroufe : s'il est louable de faire l'effort d'appeler autrement que par un numéro de série les seconds rôles, en revanche, il est nettement moins admirable de s'en servir comme trompe-l'oeil, laissant croire à une réelle diversité des personnages.
En vérité, un seul effort a été consenti pour quasiment tous, nous voulons parler des "techniques". Tous, sans exceptions, ont leur propre style de combat et leurs bottes secrètes plus ou moins spectaculaires, le tout étant propre à garantir du grand spectacle lorsqu'il faut en venir aux mains. De fait, ils ne sont véritablement caractérisés que par cela : la façon dont ils se battent.
Tout comme Naruto est un personnage prétexte à la mise en scène de l'histoire générale, la personnalisation de la majorité des seconds rôles est un prétexte à la mise en scène de "beaux" combats.Ce qui est au final extrêmement regrettable, car entre le temps d'antenne accordé à Naruto et celui qui sert à l'exhibition des talents propres à chacun, le fil rouge, celui qui passe par les authentiques personnages, véritablement détaillés et significatifs pour l'histoire, se déroule à la vitesse d'un escargot asthmatique. Le véritable scénario de Naruto aurait pu tenir en deux fois moins d'épisodes - je laisse de côté les énormes arcs de remplissage - sans perte de sens ou d'éléments fondamentaux.
ShippudenIl convient de nuancer le gros de l'analyse effectué jusqu'à maintenant quand on parle de la période dite Shippuden. Il y a en effet une cassure dans Naruto, une période de deux ans et demi où il s'entraîne et qui est traitée de manière elliptique. Il y a donc un "avant" et un "après".
Si Naruto, malgré ce qu'on pouvait espérer, demeure toujours aussi bouffon, et l'univers aussi fourmillant d'invraisemblances, le rapport de Naruto au scénario a considérablement évolué, car en effet, il y a désormais une raison pour qu'il soit impliqué personnellement dans les événements épiques qui nous sont narrés. Naruto cesse donc d'être un personnage prétexte. De manière générale, il y a une nette amélioration à de nombreux égards de l'oeuvre, jusqu'au traitement de Naruto, qui commence à sortir du cliché dont il est issu. Il n'aura jamais fallu attendre que 130 épisodes - sans compter les arcs de remplissage - pour que cela se produise.
JugementIl est indéniable que Naruto contient de bonnes idées, qui méritent d'être sauvés, et que sur certains points un réel travail a été consenti.
Il convient également de relever l'originalité et le spectaculaire de bon nombre "d'effets spéciaux", qui assurent le spectacle.
Hélas, ces deux bons points sont noyés dans la médiocrité ambiante : le personnage éponyme est irrécupérable, la majorité des personnages secondaires ne vaut que par ses techniques, l'univers n'a aucun vraisemblance et il est donc impossible de s'y laisser entraîner... Le scénario, et j'entends par là le vrai, celui qui passe par des personnages significatifs, aurait pu s'avérer le point fort de l'oeuvre s'il n'avait pas été proprement phagocyté par tout le fourbis venu meubler.
Certains ont proclamé Naruto successeur de Dragon Ball. Peut-être était-ce là l'effet recherché dès le début, les similitudes sont nombreuses, tant dans le fond que dans le forme. On peut s'interroger sur la pertinence d'une telle ambition.
En tous cas, une chose est sûre : Naruto aurait sans doute connu un moindre succès commercial, mais aurait sans doute été d'une qualité bien plus digne des quelques bonnes idées qu'il recèle, si l'on n'avait pas voulu cibler un public infantile et qu'on ne s'était donc pas efforcé de coller en personnage principal un cliché de la pire espèce, pour ensuite accorder une telle importance aux combats vides de sens et au grand spectacle.
Sur les chefs d'accusation suivants :
- mauvaise narration,
- encombrement outrancier,
- recyclage mal-mené,
- incohérences à tous les étages,
nous déclarons Naruto coupable. Le fait qu'il possède, enfouis dans ce fourbis innommable, un scénario qui pourrait valoir la peine, servi par quelques personnages intéressants, constitue une circonstance aggravante, à notre sens...