Un jeu vidéo, aussi réussi qu'il soit, reste un jeu vidéo. Et les personnages qui le composent, aussi convaincants qu'ils paraissent, sont toujours plus ou moins limités par le support dont ils sont issus. Dans ma carrière de joueurs, deux personnages ont, en tout et pour tout, réussi à traverser l'écran cathodique, deux créatures de pixel ont réussi à se glisser hors de l'écran, directement au coeur. La première, je n'en parlerais pas parce que, comme l'a écrit une scribouillarde à la mode "l'amour est un comportement silencieux". La deuxième est un blondinet dont j'ai fait la connaissance il y a peu dans un environnement froid et moche... Coup de foudre, quand tu nous tiens...
(ce domaine est infecté par des radiations spoiler très méchantes, vous êtes prévenus
)
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Si vous avez manqué le début
Raiden (de son vrai nom Jack) est un jeune soldat naturalisé américain, dont le passé reste très longtemps mystérieux pour le joueur mais également pour lui-même, du fait d'un traumatisme et de divers traitements louches éprouvés durant son adolescence. Recrue modèle, son entraînement militaire a essentiellement été constitué de missions dites VR (virtual relaity, réalité virtuelle), visant à recréer le plus fidèlement possible les conditions sur le terrain. Le jeune homme a montré de grandes aptitudes dans ce domaine, et c'est pourquoi il est choisi pour une mission d'importance : inflitrer une station d'épuration, Big Shell, qui s'est fait prendre d'assaut par un groupe terroriste qui menace non seulement de provoquer une catastrophe écologique dans les eaux américaines mais également d'exécuter le président des Etats-Unis, en visite à la station au moment de l'attaque. A la tête de ce groupe mystérieux, un certain Solid Snake.
Durant vingt-quatre heures, Raiden, en découvrant les occupants de la Big Shell, se rend non seulement compte que l'opération qu'il mène n'est pas du tout celle prévue par ses supérieurs mais aussi qu'elle renferme des enjeux infiniments plus importants.
Parce que tu es... une marionnette
L'entrée en scène de Raiden dans Metal Gear Solid 2 a été un véritable coup de tonnerre et de génie de la part de Konami. Succédant à la figure emblématique de la série, le vétéran Solid Snake, Raiden se présente comme un "anti-Snake" : là où on avait un vieux briscard, rompu à tous les coups tordus, on se retrouve avec un jeunôt apparemment à peine sorti de l'oeuf, qui semble prêt à perdre tous ses moyens dès que quelque chose ne tourne pas rond.
Ne parlons pas du physique (ou plutôt si parlons-en) : au militaire musculeux et endurci succède un bishonen androgyne, ce qui vaudra d'ailleurs à Kojima d'effectuer les plaisanteries parmi les plus grasses de l'histoire du jeu vidéo.
Enfin, l'environnement relationnel de Raiden diffère énormément de celui de Snake. Les traîtres étaient présents dans Metal Gear Solid. Dans le deuxième volet, ils sont partout : impossible de faire confiance à qui que ce soit.
Et c'est bien ce dont on se rend très vite compte : Raiden est absolument seul. Cette sensation est d'autant plus flagrante que les autres personnages du jeux, eux - à commencer par Snake - partagent d'importantes pièces du puzzle avec des alliés. Du statut de personnage principal, Raiden dégringole très vite à celui d'intrus puis, finalement, de marionnette : ses actions sont attendues, prévues, observées par chacun avec une condescendance amusée. Car le jeune homme ne fait finalement que suivre un scénario qui a été écrit par l'entité représentant désormais la Némésis de Solid Snake : les Patriotes.
Raiden, ancien enfant-soldat des régions slaves, n'est rien d'autre qu'un cobaye employé par ce groupe qui oeuvre dans l'ombre employé afin de démontrer l'évidence suivante : un être quelconque placé dans une situation extrême est manipulable à souhait. Loin d'être le grain de sable dans la mécanique, Jack en est en réalité le garant, et apporte une victoire incontestable aux Patriotes. La variable inconnue, le seul véritable obstacle à cette entreprise, c'est Snake, également infiltré sur Big Shell, et personne d'autre.
O jeune homme discret tu es pour moi un héros... (Voulzy, plus ou moins)
Physique d'icône du yaoi, personnalité plutôt momolle, naïveté à en fissurer les pavés, qu'a donc Raiden pour provoquer l'émoi de ses quelques admirateurs.
Eh bien, pour commencer, il n'est pas Snake : il n'est pas cet être surhumain à la sensibilité anesthésiée qui, même lorsqu'il est pris dans une situation impossible, gère parfaitement, et se relèvera quoiqu'il arrive. Ne nous voilons pas la face, Snake est un Rambo qui n'aurait pas été bercé trop près du mur (je vous prie, si vous ne me croyez pas, de comparer les beuglements respectifs des deux messieurs lorsqu'ils hurlent le nom de leur bien-aimée).
Raiden, lui est une personne apparemment - apparemment seulement - banale, qui est placée dans une situation totalement impossible. Et qui réagit comme telle. Il est infiniment plus simple de s'identifier à Jack qu'à Snake, en ceci que lui, est un humain. Ce simple trait peut suffir à provoquer une réaction d'attachement.
D'autre part, Raiden n'est pas aimé. Que ce soit par les personnages évoluant autour de lui (le revirement de sa fiancée, Rose, traîtresse au dernier degré est assez peu convaincant à la fin, je trouve), ou par les réalisateurs du jeu, cela est flagrant : le jeune homme est victime de plaisanteries plus ou moins douteuses - ça va du palpage en règle au pipi malencontreux d'un garde en passant par une confiscation pure et simple des vêtements - et d'une condescendance plutôt agaçante de la part de ceux "qui savent". Et c'est là le point central de la question : le joueur non plus "ne sait pas". A l'instar de Raiden, il est balloté, ça et là , au gré des rebondissements, sans jamais savoir où, il se dirige, tandis que les autres personnages semblent parfaitement conscients de ce qu'ils font.
On se retrouve, avec Raiden, "seul contre tous" : contre ceux qui manipuent, ceux qui menacent, ceux qui savent. Ce blondinet perdu devient notre seul point d'attache dans ce monde métallique, et, peu à peu, on se rend compte que tout ce que l'on peut espérer, c'est le protéger, le mener à bon port, quelle que soit sa destination.
Et même arrivé à destination, les choses ne s'arrangent pas. Là où Snake, dans une scène d'un kitsch égalé uniquement par la fin de MGS3, se retrouve libéré de ses entraves, tant physiques que mentales, Raiden reste prisonnier, condamné à un happy end fort peu convaincant.
Nature Boy
MGS2 a pour personnage principal un véritable anti-héros. Cette découverte est d'autant plus difficile à digérer que le garçon fait son apparition dans un univers composé jusque là uniquement d'icônes figés, de personnages capables de survivre à l'impact d'un obus sans ciller. C'est un humain véritable qui débarque dans un monde qui n'est pas à sa mesure et qui pourtant, honnêtement, tente de faire son petit bout de chemin.
Et c'est cela qui constitue pour moi son intérêt majeur : son honnêteté. Raiden nous est présenté sous toutes ses facettes : dépassé, naïf, lâche parfois, mais aussi héroïque, compatissant, aux moments les plus innattendus, au moments les plus vrais, aussi, comme ses trop courts échanges avec Emma. C'est dans ces moments là que la magie de la connivence opère, que l'on se surprend à penser "oui, tiens, c'est ce que j'aurais dit."
En définitive, le fait que Raiden ne soit pas un héros n'est que de peu d'importance. Parce que, malgré les difficultés, l'incompréhension et les moqueries, il devient, au fil du temps, un être humain authentique. Un être humain aux côtés duquel il est naturel de marcher, qu'il est naturel de vouloir connaître et protéger.[/spoiler]