La vision qu'a Hegel de l'Histoire (et que j'ignorais en grande partie, n'ayant pas encore lu le livre correspondant que, pourtant, j'ai acheté) est ce qu'on appelle une conception positiviste de l'Histoire, qui veut qu'il y ait, effectivement, un progrès logique de celle-ci. Autant l'idée peut plaire philosophiquement, autant elle fera hurler tout historien ou presque. L'Histoire est avant tout quelque chose d'immensément diversifié, et la placer dans un système absolu comme les philosophes allemands les aiment ne paraît guère pertinent lorsque l'on veut en faire une analyse correcte. Cependant, il convient de dire que, si la méthode « tout-scientifique » des historiens positivistes de la fin du XIXème est aujourd'hui remise en cause (par exemple l'idée positiviste que « si ce n'est pas dans les sources écrites, ça n'a pas existé ») elle a cependant, comme tant d'autres avant et après elle, apporté sa pierre à l'édifice. Car l'histoire de l'Histoire ressemble beaucoup à l'Histoire elle-même...
Sans trop aller dans la philosophie, la question de finalité de l'Humanité etc., à discuter dans la section appropriée, tenons-nous en à la philosophie de l'Histoire et à l'historiographie. Pourquoi étudier l'Histoire ?
D'abord, il faut considérer, suivant une autre phrase célèbre, que « l'Histoire ne se répète pas, elle bégaye ». Il n'y a jamais, certes, la reproduction exacte d'un même évenement. Mais il y a certains éléments qui peuvent se retrouver à plusieurs reprises, et qui permettent d'établir certaines constantes. Pas absolues, certes, mais plus ou moins probables.
Ce qui m'amène à dire que l'Histoire participe à la fondation de certaines sciences humaines qui ont, elles, une application directe et immédiate. Un exemple : la géopolitique. Prenons le célèbre principe : « la Russie recherche toujours les débouchés sur une mer libre et non gelée en hiver ». Ce principe encore d'actualité est certes fondé sur certains principes économiques et stratégiques, mais c'est dans l'Histoire qu'on le constate d'abord. En ce sens, pour parler scientifiquement, l'Histoire est un ensemble d'expériences, d'observations, ayant regard à l'Humanité ; or, chacun sait que c'est avant tout sur l'expérience et l'observation que se fonde la science, humaine ou non. Sans l'Histoire pour orienter leurs recherches et les confirmer, que deviendraient la géopolitique, l'économie, la sociologie, voire même la littérature ou la philosophie, qui doivent parfois faire appel à la contextualisation que peut fournir l'Histoire ?
Cela doit permettre de rappeller enfin que l'Histoire, proche mais aussi lointaine, n'est pas quelque chose de véritablement « passé », contrairement à ce que la langue suggère. Certes, les évenements sont passés dans le temps, mais leurs effets subsistent, d'une part sur le monde, d'autre part sur les Hommes. Elle est donc nécessaire à toute étude humaine, car elle constitue « l'environnement ». Et cela est vrai autant pour l'étude d'éléments passés que pour l'étude d'éléments actuels. L'Histoire a un poids et une force d'inertie qui font que, quand bien même elle ne se répéterait pas ni ne bégaierait, elle continue à résonner longtemps après avoir eu lieu à l'instant T. Et cela n'est pas, encore une fois, vrai uniquement de l'histoire contemporaine. Si l'histoire plus distante a des effets moins évidents, ils sont cependant bien là , ne serait-ce que par le fait que de l'histoire moderne découle la contemporaine, de la Renaissance découle l'époque moderne, etc.
En dernière analyse, l'Histoire forme un très vaste ensemble extrêmement diversifié, et, sans chercher de sens transcendant cet ensemble, c'est l'ensemble lui-même qu'il faut considérer, sans trop se limiter par des études spécialisées, qui sont, il est vrai, nécessaires. Car cet ensemble constitue l'histoire naturelle de l'Humanité, et c'est là qu'il faut chercher certains fondements essentiels des sciences humaines en général, qui servent, entre autres, à comprendre le présent. L'Histoire n'obéit pas à des lois gravées dans le marbre, mais quelle science humaine peut prétendre le faire ? Il est vrai qu'elle ne propose pas d'éléments sûrs, certains et utilisables immédiatement, et que pour cette raison, avec les autres sciences humaines, on la méprise au profit des « vraies » sciences. On a tort. Pour ma part, et pour les raisons que j'ai suggérées ci-dessus, j'approuve tout à fait la devise de la revue Historia : « A la lueur du passé, le présent s'éclaire ».
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