Jean-Claude Forest fait partie des grands noms de la bande dessinée française. Ce fut sous sa plume que naquit Hypocrite, une héroïne étrange et déphasée, quasi cyclothymique, évoluant dans un monde à la limite de l'incompréhensible.
J'ai découvert "Comment décoder l'Etircopyh" dès mon enfance. J'avais trouvé dans les meubles de mes grands-parents un recueil de numéros du magazine "Pilote", ayant sans doute appartenu à mon oncle ou à mon père, et j'avais eu le plaisir de parcourir une myriade d'aventures de l'âge d'or de la bande dessinée française. Au milieu des délires de Druillet, Tabary, De Groot, Fmu'rrr, Fred, Caza
et bien d'autres, j'ai remarqué ces pages étranges, décrivant apparemment un univers fort riche, fascinant, doté de ses propres codes.
Oui, le monde d'Hypocrite est touffu et délirant, assez obscur aussi, agaçant parfois dans sa manière d'introduire de nouveaux éléments sans trêve ni répit. C'est un train fantôme, une grotte aux merveilles où le lecteur découvre une nouvelle folie au détour de chaque page, le tout constituant une intrigue qui demeure, à la stupéfaction générale, cohérente autant que compréhensible.
Ainsi, bien loin de vous éclairer, le résumé que je vais vous fournir de ce pas ne donnera qu'une pâle idée de ce qui vous attend :
Des lapins noirs terroristes enlèvent Hypocrite pour en faire une espionne, Etircopyh, chargée de détruire le pont du Rhône en collaborant avec leur dirigeant, le ténébreux Gaïacol, plus connu sous le nom de Freddy-Fred dit le Fred. Mais Hypocrite tombe rapidement entre les mains de Philippe de Poigne, Prince d'Avignon, qui la charge de la mission inverse. C'est compter sans l'opiniâtreté de Gaïacol, sorcier plus fourbe et puissant encore qu'il ne le paraît.
Ca a l'air presque simple, comme ça, mais ne vous y fiez pas.
Le trait et les phylactères, quant à eux, sont assez particuliers, "pop art" si l'on peut dire, mais loin d'être déplaisants : en fait, c'est à un style des plus maîtrisés que nous avons affaire.
Quelques exemples de vignettes.
Les personnages se déforment pour mieux accompagner le dynamisme de leurs actions, les bulles se ploient et se lancent dans les cases, les couleurs elles-mêmes deviennent folles et changent perpétuellement, faisant preuve du plus parfait mauvais goût, lequel dégage à l'étude attentive une rare eurythmie. Violet sombre et jaune clair, vert bouteille et orange vif, noir et blanc partiel ou total, obscurité ou pâleur inattendue, tout passe sans problème.
"Comment décoder l'Etircopyh" vient d'être réédité.