J'ai découvert récemment "Mémoire de singe et paroles d'homme", un ouvrage fascinant qui effectue la synthèse de nombre de connaissances et nous permet de mieux appréhender la condition humaine. Certes, il répète parfois des évidences, mais qu'y a-t-il que l'on oublie plus facilement que ce qu'il y a devant notre nez ?
En l'occurrence, ce livre m'a fourni matière à lancer un échange sur un thème situé au centre même de ce que nous sommes.
Boris Cyrulnik, dans le livre 'Mémoire de singe et paroles d'homme', a écrit:
Cette sélection de circuits, au gré des environnements, permet une économie de matière vivante, car pour activer les milliers de milliards de connexions neuroniques possibles, il faudrait plusieurs dizaines de kilos de matière cérébrale. Un cerveau contenant cent kilos d'acide désoxyribonucléique nous poserait des problèmes.
Cet impératif biologique qui économise la matière vivante, en sélectionnant les circuits adaptés, nous impose en même temps une amputation de notre potentiel humain. Dès qu'on reçoit une empreinte, il nous faut dans le même temps renoncer aux milliers d'autres empreintes possibles, donc aux milliers d'autres manières d'être humain, d'autres manières de sentir le monde, de se le représenter et d'y vivre.
Il n'y a rien de plus aliénant que la liberté.
L'absence d'empreinte laisserait notre cerveau dans une incapacité permanente. Nous serions aptes à être tout. Mais nous ne serions personne. Nous aurions la capacité de tout faire, mais nous ne ferions rien.
A l'inverse : être quelqu'un, faire quelque chose, comme tout choix, implique un renoncement. Mais quelle complaisance dans cette aliénation constructive !
Notre épanouissement humain se situe probablement entre ces deux aliénations : être personne ou n'être qu'une personne. Les animaux se construisent par interaction incessante entre leur programme génétique et les pressions de l'environnement. Alors que l'humain, en plus, peut remettre en cause cette construction et aspirer à une autre. C'est-à -dire que le monde animal se fait, alors que le monde humain, sans cesse, reste à faire.
[...]
Un homme seul n'est pas un homme.
Dès que l'enfant paraît, le monde alentour met à sa disposition un climat affectif, un langage, des outils et une culture avec lesquels l'enfant va articuler ses capacités génétiques et neuropsychiques. Ce n'est qu'en interaction avec son milieu que le petit humain pourra enclencher, développer et exprimer ses capacités.
Sans milieu, l'individu ne peut même pas devenir un individu.