Lâcheté ou courage; bon dépassons cette idée qui suppose le libre arbitre. Dépassons cette idée qui laisse en plan le désespoir.
De quel oeil voyez-vous le suicide ? Pourquoi se suiciderait-on ? Et pour qui ? Quelles peuvent êtres les incidences ? Philosophico-psychologique oblige, et puis j'apprécie l'existentialisme moderne à un point que je ne saurais dire, je vois les choses d'un point de vue qui place en avant la phénoménologie (au sens husserlien du terme, j'entends).
Quelques mots sur le soi
Le soi comme négatif des autres : ce sont les autres qui forment ma personne; la fleur est tout ce que n'est pas la non-fleur; je suis tout ce que n'est pas l'Autre. L'autre, j'entends tout ce qui n'est pas moi. L'autre, j'entends cet autre spécifique. Les autres, j'entends l'ensemble de ces autres spécifiques qui sont en fait constitutifs de l'Autre. Puisque ici je vois le moi comme négatif des autres, sans autre il n'y a pas de moi. On peut dire que je suis moi par l'autre - je regarde en l'autre ma propre image : l'autre est comme un miroir. Il y a du moi partout, j'influence tout ce qui n'est pas moi. Et à chaque fois que je regarde cet Autre, je me vois en lui et je l'utilise pour me démarquer encore. Avant de savoir ce que je suis, je sais ce que je ne suis pas et ... je ne suis pas l'Autre. Je suis moi par l'Autre. De même, je suis l'autre des autres. L'Autre m'échape et j'échape à l'Autre. Quand je me représente l'Autre, alors j'en fais du pour-moi et quelque part je nie l'Autre - qui m'échape. Ainsi, en tant qu'autre des autres, je suis le moi qui suis pour eux : ils ont fait de moi un pour-moi et ils m'ont nié, néantisé dirait Sartre. Je deviens du pour l'Autre : Je suis moi par l'Autre et pour l'Autre.
Bref, ce sont mes rapports avec les autres qui forment ma personne. Ce qui me permet d'avoir une représentation des autres, d'aller pécher leur image, c'est une mise en rapport d'entre l'Autre et moi. Mise en rapport, rapport, liens, relations. Ce sont bien ces rapports qui font que de moi j'ai l'image, qui font que de l'Autre je fais du pour-moi afin d'en avoir des représentations. Je suis constitué de ce pour-moi, de ces représentations : les images que j'ai de l'Autre forment ma personne et je le dois au rapport.
Quelques mots sur le désespoir
L'Âne qui suit la carotte. Remplaçons-le par un homme conscient, pour ne pas dire un moi conscient. Cet homme qui suit la carotte, qui sait bien qu'il ne l'aura jamais mais qui espère malgré tout ... cet homme là va désespérer. Disons qu'il désespère. Pourquoi désespérer, finalement, si ce n'est parce que nous n'auront jamais la carotte ? Plus précisément, il désespère parce qu'il a l'idée d'une situation meilleure mais que jamais il ne l'atteindra : il n'est pas satisfait de ce qui fait son moi, il n'est pas satisfait de son moi. Ah ! S'il était la carotte, il n'y penserait même plus sur le mod AVOIR. Le mod ÊTRE revenu au premier plan, la chose est plus intéressante car il désespère, bien plus que de n'avoir pas la carotte, de ne pas être la carotte. S'il l'était, il ne la convoiterait pas. Et s'il ne la convoitait pas, il ne désespérerat pas. Plus que manque d'avoir il y a manque d'être dans le désespoir. On est pas soi par soi mais soi par l'Autre, pour l'Autre et en partie pour soi. Être soi pour l'Autre et soi pour soi, c'est une déchirure, c'est le début du désespoir. Si je n'étais que moi pour l'Autre, je ne serais pas conscience. Si je n'étais que moi pour moi, alors je ne serais que moi par moi et il n'y aurait pas de conscience non plus. Comment, en effet, pourrais-je être conscient - ou conscience - si je n'avais rien à comparer ? La conscience définie comme ce qui sait me situer, cela ne se pourrait. On désespère, finalement, parce qu'on est soi par l'Autre, pour l'Autre et pour soi.
Une forme de nausée
C'est parce qu'on ne se supporte plus soi-même qu'on se supprime : se supprimer de son propre coeurs, de son propre esprit. Ne plus être pour soi. A ne pas pouvoir changer la représentation que l'autre à de soi mais à vouloir changer la représentation que l'on a de soi-même, on ne trouve plus que ce moyen : ne plus être soi pour soi. Alors oui, on fuit le monde mais c'est une incidence de ce que l'on fuit l'image que le monde nous renvoie de nous-mêmes. Je vois des miroir partout; partout on me rappelle ma place dans le monde; j'influence tout : il y a du moi dans le monde, partout. Ah ! Tout ces autres teintés de moi ... c'est insupportable. Et si le suicidé est encore dans le coeur des autres, si on a sa mémoire, si on porte son deuil, s'est-il réellement supprimé du monde ? Pas complètement puisque pour le monde, pour l'Autre, il est toujours d'une manière (en tant qu'image, que souvenance, que représentation). Se suicider, c'est mettre fin à son rapport avec l'Autre. C'est surtout mettre fin à son rapport avec soi-même : ne plus être soi par soi mais seulement soi par l'Autre. Ne plus être déchiré, désespéré, conscient. Plus de soi, plus de conscience dite thétique (positionnelle).
* Si je l'ai nommé "une forme de nausée" c'est qu'il n'y pas l'idée de liberté derrière ce principe. La liberté constitutif de la nausée dite sartrienne, de l'angoisse kierkegaardienne. Nausée, Angoisse comme vertige de la liberté. Ici, par nausée j'imagais le processus qui résulte du fait que "l'on se voit partout; partout il y a du soi; c'est l'écoeurement, une forme de nausée".
Disparaître du coeur des autres ...
En n'étant plus en moi-même, en étant mort, j'empêche l'autre de faire du pour-moi d'un vivant. L'autre ne me verra plus comme un mort, tout le reste ne sera que souvenance, archivé. Ce qu'il pourra actualiser, sur moi, ne sera qu'une image morbide et statique. En n'étant plus, je prive les possibles images de moi (que l'Autre pourrait "se faire"). Ainsi, coupant des possibilités aux autres, je ne pourrais plus être dans son coeur comme je l'étais avant. Disparaître du coeur des autres. Voilà ce qui pourrait faire du suicide une affaire qui, bien que personnelle car profondément subjective, affecte les autres et porte la chose à une affaire moins personnelle. Une affaire, aussi, des autres.
Enfin, je dis ça, je ne dis rien ...!
_________________ La première règle est : il est interdit de parler d'Eltanin !
Quand les larmes et le sang n'auront plus aucun sens, j'irai prier, si j'y pense. © Lenorman
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