Pourquoi je suis Charlie, ou mon histoire avec Charlie :
Quand j’étais gamin et adolescent, on ne lisais pat Hara Kiri à la maison, je regardais les couvertures et souriait. Je lisais chaque semaine le Pilote de la grande époque et le grand Duduche, de Cabu, était une de mes pages préférées.
Etudiant, à Nanterre, dans les années 1970, je lisais Charlie Hebdo occasionnellement, sans plus. Puis le journal a disparu. Un peu après sa reparution, en 1992, j’ai décidé de l’acheter, un peu par nostalgie, pour voir, pour le soutenir. J’ai découvert un journal intelligent, drôle, intéressant et plein d’idées avec lesquelles je me sentais largement en accord.
Si j’avais du mal à lire certaines chroniques de Cavanna ou de Luce Lapin, j’étais passionné par d’autres, notamment celles de Bernard Maris ou les chroniques scientifiques et écologiques. Les désaccords entre les différents chroniqueurs ne me dérangeaient pas, au contraire.
Dans les années 2000, j’ai cessé de lire le Monde diplomatique, parce que je lui reprochais trop de complaisance envers les islamistes, au nom d’un combat tiers-mondiste que je jugeais dévoyé. Au contraire, la position de Charlie Hebdo, sans complaisance envers le racisme, ni envers l’islamisme me convenait.
La relation n’a pourtant pas été sans nuages et, par exemple, même si je reconnaissais que Siné avait été maladroit, son éviction du journal m’avait paru exagérée. En fait, j’ai failli arrêté de lire le journal au moment du référendum sur la constitution européenne. Non à cause des positions d’un tel ou d’un tel, le sujet méritant un débat sérieux, mais à cause du ton des éditoriaux injurieux de Philippe Val, celui postérieur au référendum constituant la cerise sur le gâteau.
Incidemment, j’avais lu le traité ligne à ligne et j’avais rédigé un texte à la fin duquel je concluais que, bien que pro-européen, je devais voter non. Mon plus gros reproche au traité était qu’il était profondément anti-démocratique, dans la mesure où, au lieu de définir un cadre institutionnel, il définissait des politiques qui, soustraites au débat démocratique, devenaient impératives.
Les réactions à la publication des caricatures de Mahomet ne m’a pas surpris. J’étais 100 % du coté du journal. D’une part, parce que je considérais que ces caricatures constituaient non une attaque raciste contre les musulmans, mais une charge contre les islamistes, d’autre part, parce que la liberté d’expression me semblait devoir être défendue.
A cette occasion, j’ai mesuré le fossé qui pouvait séparer français et américains. Présent, ainsi que d’autres français, sur un forum international, j’ai dû leur expliquer que Charlie Hebdo n’était pas raciste et pourquoi, et que se moquer d’extrémistes religieux ou d’une religion n’était pas du racisme. Il a fallu également préciser que Charlie hebdo s’en prenait à toutes les religions, sans que celles-ci constituent pour lui une obsession.
Les attentats du 7 janvier 2015 ont constitué un choc. La mort de personnes que j’admirais et auxquelles j’étais attaché, la violation de valeurs fondamentales m’a mis en colère.
J’ai pu mesurer le soir même l’ambiguïté du mort d’ordre « Je suis Charlie ! » en voyant de jeunes nationalistes corses, dont je connaissais la xénophobie et l’attachement identitaire à la religion, proclamer qu’ils étaient Charlie. Je me suis quand même senti Charlie. Aujourd’hui encore, je me sens Charlie. Je me sens Charlie parce que je suis attaché à la liberté d’expression, tant qu’elle n’est pas utilisé pour diffamer, pour appeler à la discrimination., pour injurier des groupes, parce que je refuse la réinstauration du délit de blasphème.
J’ai continué à lire régulièrement Charlie Hebdo et ces derniers mois, globalement, j’ai apprécié la qualité du journal.
Le numéro du 3 janvier 2018, dans lequel l’équipe de Charlie Hebdo raconte ses conditions de vie de de travail m’amène à rédiger ce papier. Je savais qu’elle rencontrait des difficultés, mais je n’en avais pas mesuré l’importance, les conséquences et le coût.
Je suis scandalisé que l’Etat ne participe pas à la prise en charge financière du coût des dépenses générées par le dispositif de protection des locaux, soit annuellement entre 800 000 et 1 M d’euros, sauf erreur de ma part. J’ai été très intéressé par l’interview de Mme Karima Bennoune, laïque d’origine algérienne, qui défend le droit aux personnes d’origine musulmane d’être athées, ou même laïque. Sa critique des essentialismes de droite comme de gauche, des racismes de droite et de gauche, ces derniers refusant de fait la laïcité dans les pays musulmans, m’a intéressée.
En fait, ce numéro m’a fait prendre conscience qu’aujourd’hui, peut être plus qu’hier, il fallait être Charlie.
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