Bonsoir à tous.
Tout d'abord ce qu'il s'est passé hier soir :
Assemblée nationale
COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL
Session ordinaire de 2005-2006 - 47ème jour de séance, 107ème séance
3ème SÉANCE DU MARDI 20 DÉCEMBRE 2005
PRÉSIDENCE de Mme Paulette GUINCHARD
vice-présidente
Sommaire
DROIT D'AUTEUR
DANS LA SOCIÉTÉ DE L'INFORMATION 2
EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 13
QUESTION PRÉALABLE 21
ORDRE DU JOUR DU MERCREDI 21 DÉCEMBRE 2005 32
La séance est ouverte à vingt et une heures trente.
DROIT D'AUTEUR DANS LA SOCIÉTÉ DE L'INFORMATION
L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information.
M. Christian Paul - Rappel au Règlement. Cet après-midi, à quelques heures de l'ouverture de ce débat, les lobbies ont pris possession de l'Assemblée nationale (Murmures sur les bancs du groupe UMP). A quelques mètres de l'hémicycle, une opération de promotion commerciale était organisée à votre initiative, Monsieur le ministre, par des plateformes de vente de musique en ligne (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Il était remis à chacun des parlementaires qui le souhaitait une carte prépayée de 9,99 €, donnant droit à télécharger gratuitement une dizaine de morceaux de musique (Mêmes mouvements).
M. Frédéric Dutoit - Nous l'avons vu de nos yeux !
M. Christian Paul - Cette action choquante peut être considérée comme une maladresse. En tout état de cause, l'Assemblée devait en être informée. Il est bon de rappeler que nos travaux ne sont pas influencés par des intérêts économiques mais marqués par la recherche de l'intérêt général. Après l'intervention du groupe socialiste, le Président de l'Assemblée a suspendu cette opération.
Mme Christine Boutin - Il a bien fait !
M. Christian Paul - C'est donc dans la sérénité que cette discussion peut s'engager (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).
M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication - La discussion que nous entamons ce soir était très attendue. Oui, je n'hésite pas à le dire, c'est un débat historique. Lorsque nous l'aurons mené à son terme, une dynamique positive en faveur de l'accès à la connaissance, de la création et du rayonnement des Å“uvres sera pour longtemps lancée. Internet est un espace de liberté et de découverte. Ce projet de loi préserve cette liberté et rend possible une offre nouvelle de diffusion des Å“uvres artistiques et des idées. Il garantit tout autant les droits des internautes que ceux des créateurs en tournant le dos au manichéisme, à l'obscurantisme, à la démagogie facile. Il ouvre une troisième voie entre la jungle de la dérégulation ultralibérale et la geôle que représente l'imposition de contraintes excessives, entre l'anarchie et la tyrannie, entre un univers virtuel sans entraves et les contraintes des procédures. Je suis extrêmement fier de défendre ce texte.
M. Christian Paul - Il n'y a pas de quoi !
M. le Ministre - Seuls les esprits chagrins regretteront que les offres nouvelles soient mises à la disposition des uns et des autres, partout dans le pays, et même à l'Assemblée nationale (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Cette troisième voie, intelligente et humaniste, est celle de la liberté et du respect de l'autre.
Ce texte repose sur trois valeurs fondamentales. Premièrement, l'accès du plus grand nombre à la culture. Dans un monde numérique, le consommateur doit pouvoir accéder librement à une offre riche et diversifiée. L'existence de la copie à titre privé sera garantie par ce texte, contrairement à ce que l'on a rapporté.
M. Patrice Martin-Lalande - Très bien !
M. le Ministre - Je suis heureux de corriger devant vous ce premier exemple de la désinformation rampante dont ce texte a fait l'objet (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Une nouvelle autorité administrative indépendante, le collège de médiateurs, sera chargée de contrôler le respect de cette garantie. Notre intention n'est ni de verrouiller ni de cadenasser mais de permettre au consommateur de jouir de sa liberté sur Internet.
La deuxième valeur essentielle défendue ici est la diversité culturelle, valeur intemporelle qui est entrée dans le droit international avec l'adoption par l'Unesco, le 20 octobre dernier, d'une convention à l'initiative du Président de la République française.
M. Patrice Martin-Lalande - Nous pouvons en être fiers !
M. le Ministre - Cette diversité doit être concrètement protégée pour n'être pas un leurre. Enfin, troisième valeur, d'une importance cruciale dans une société affrontant le défi de la création : le droit d'auteur. En effet, le mouvement des idées et des arts se nourrit sans cesse de nouvelles Å“uvres qui rencontrent leur public grâce à la démocratisation de la culture, à l'essor des industries culturelles et, aujourd'hui, à l'avènement de la société de l'information et du numérique. Cette évolution est positive à condition que la vitalité et la liberté de création de l'esprit soient protégées dans leur diversité.
Ce projet de loi s'enracine dans une longue histoire qui, de l'âge classique à la Révolution, est une véritable conquête. La conquête progressive de la reconnaissance du droit d'auteur qui est d'abord une liberté, l'affranchissement d'une tutelle tantôt bienveillante tantôt pesante qui plaçait les auteurs à la merci des puissants. Ainsi Scarron implorait le Roi :
« De toutes vos vertus, si Votre Majesté
M'en voulait donner une
Celle que je requiers, Sire, c'est Charité,
Qui vous est si commune ;
Elle croîtrait en vous en s'étendant sur moi,
Car telle est sa nature.
Faites en donc l'épreuve, ô magnanime roi,
Sur votre créature. »
Autre temps, autre comportement et c'est un bienfait. De même, La Fontaine, âgé de soixante-treize ans, dédiait ainsi le dernier livre de ses Fables au jeune duc de Bourgogne : « Il faut que je me contente de travailler sous vos ordres. L'envie de vous plaire me tiendra lieu d'une imagination que les ans ont affaiblie. » Le droit d'auteur représente une véritable émancipation née de l'esprit des Lumières, du combat de Beaumarchais et de la fougue du romantisme, faite de reculs et d'avancées successivement. C'est, narrée dans les Illusions Perdues, la faillite de Balzac, face à l'introduction de nouvelles technologies dans l'imprimerie qui entraînera l'avènement d'une nouvelle économie de la presse et du livre au XIXe siècle. C'est l'énergie de Hugo, dénonçant devant un congrès qui ouvre la voie à la reconnaissance internationale du droit d'auteur « ce sophisme singulier, qui serait puéril s'il n'était perfide : la pensée appartient à tous, donc elle ne peut être propriété, donc la propriété littéraire n'existe pas. »
M. Christian Paul - Très beau texte !
M. le Ministre - Les soubassements de l'édifice législatif, dont le rapport de la commission des lois décrit si clairement la genèse, sont profonds.
Pourquoi faut-il légiférer?
M. François Brottes - C'est une vraie question !
M. le Ministre - Tout d'abord, parce qu'il y a urgence juridique. En effet, ce texte a pour origine une directive européenne...
M. François Brottes - C'est un prétexte !
M. le Ministre - ...qui aurait dû être transposée avant le 22 décembre 2002. La France n'est pas la seule à ne pas l'avoir fait...
M. Patrick Bloche - C'est la dernière !
M. le Ministre - ...mais il était grand temps qu'elle le fasse.
C'est mon prédécesseur qui a déposé ce projet de loi sur le bureau de votre assemblée. En cette matière comme en d'autres, je me suis attaché à tenir les engagements de la France et à appliquer une méthode : la concertation.
M. Patrick Bloche - Il n'y a eu aucune concertation !
M. le Ministre - Le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique a longuement examiné ce texte. J'ai entendu les professionnels qui veulent saisir la chance que leur offre le numérique - mais en redoutent la menace - et faire respecter le code de la route des nouvelles autoroutes de la culture.
M. Patrick Bloche - Des lobbies !
M. le Ministre - J'ai entendu les auteurs, attachés au respect de leurs droits. J'ai entendu les internautes de tous âges, pour qui Internet est une formidable source de liberté. Pourtant, liberté ne signifie pas gratuité. C'est pourquoi l'urgence de ce texte est aussi culturelle et politique : il fallait que la représentation nationale en fût saisie.
Dès mon arrivée rue de Valois, j'ai présenté en conseil des ministres un plan d'action autour de trois lignes directrices : une approche globale, l'équilibre entre accroissement de l'offre culturelle légale et lutte contre la contrefaçon numérique, et la concertation, afin de décloisonner le monde de la culture et celui des nouvelles technologies.
Pourquoi les donneurs de leçons - qui n'ont pas réglé le problème en leur temps - n'ont-ils pas engagé une telle concertation ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)
M. Patrick Bloche - Et M. Aillagon ?
M. le Ministre - Après le vote de la loi pour la confiance dans l'économie numérique, il était urgent de renouer les fils du dialogue pour en finir avec les clichés et les anathèmes. Je souhaite que ce débat permette à nos concitoyens de mieux comprendre les enjeux actuels et les valeurs qui sont les nôtres, afin d'éviter toute idée fausse.
Ce dialogue a abouti le 28 juillet 2005 à la signature, à l'Olympia, de la charte « musique et Internet », qui renforce la prévention et la sensibilisation des jeunes internautes - notamment les collégiens - à la civilité de l'Internet, tout en développant l'offre légale de musique en ligne. Le Gouvernement a confié au forum des droits sur l'Internet la rédaction d'un guide pédagogique du téléchargement. M. Loos et moi-même lancerons dès janvier une campagne de prévention de la contrefaçon numérique. De leur côté, les fournisseurs d'accès à Internet ont largement moralisé leur publicité et diffusent des vidéos de sensibilisation réalisées par la filière musicale. Les producteurs de disques ont largement engagé la numérisation de leurs catalogues. Le baromètre de l'offre musicale en ligne, mis en place par le Gouvernement au sein de l'Observatoire de la musique, montre que l'offre musicale en France est passée de 300 000 titres fin 2004 à plus de 700 000 un an plus tard !
Mesdames et Messieurs les députés, soyez fiers du travail juridique que vous allez accomplir. Les normes que vous édicterez permettront l'enrichissement des catalogues. Ni censeurs, ni castrateurs ! Nous accroîtrons ainsi l'offre garantie à tous nos concitoyens, des aînés aux plus jeunes - car ne tombons pas dans la caricature : nombreuses sont les personnes âgées qui sont des internautes patentés ! Tous ceux qui auront la lucidité de soutenir ce projet doivent être fiers de la sécurité juridique qu'il instaure au service d'une offre musicale élargie.
Une campagne de promotion du téléchargement légal a été lancée en janvier 2005 avec le concours de 14 artistes. Le Gouvernement a confié à MM. Brugidou et Kahn une mission d'expertise des technologies de filtrage afin de proposer aux internautes des outils de protection contre la contrefaçon : plusieurs outils de protection et d'observation sont à l'étude.
M. Didier Mathus - C'est la Corée du Nord !
M. le Ministre - J'ai également mené avec énergie et persévérance le dialogue entre les professionnels du cinéma, de la télévision et de l'Internet : nous avons abouti cet après-midi même à un accord capital sur le cinéma à la demande (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP), accord qui permettra de développer l'offre légale sans déstabiliser la filière.
En quelques semaines, nous avons fait en sorte de mettre les nouvelles technologies à la disposition de chacun : soyons-en fiers ! Depuis quinze jours, dix-huit chaînes gratuites sont accessibles à tous nos concitoyens - à l'exception de certaines zones géographiques. Et l'accord d'aujourd'hui, pour lequel je remercie tous les partenaires impliqués, illustre notre volonté de réussir la rencontre entre technologie et diversité culturelle.
Ce dialogue devait aussi proposer des solutions alternatives aux poursuites judiciaires avec une réponse graduée dont, Monsieur le rapporteur, vous soulignez à juste titre la nécessité. L'avertissement doit précéder la sanction. Là aussi, ras-le-bol de la caricature !
M. Christian Paul - Et l'hypocrisie, ça suffit !
M. le Ministre - Le Gouvernement souhaite responsabiliser et informer tous ceux qui accèdent à la culture par Internet, sans donner la priorité aux sanctions pénales. Nous ne voulons pas d'un monde où ceux qui s'enrichissent au détriment des jeunes et des internautes ne seraient pas pénalisés, alors que les internautes le seraient !
Avant que je ne fasse de l'autosatisfaction prématurée, bien de l'eau aura coulé sous les ponts de Paris et de Tours !
M. Christian Paul - Pour la modestie, il ne craint personne !
M. le Ministre - Cette réponse graduée correspond au souci qu'ont de nombreux Etats dans le monde de concilier l'accès des internautes à la création avec le respect des auteurs. On ne peut pas dénoncer notre projet et considérer la gratuité comme la panacée (Protestations sur les bancs du groupe socialiste), tout en exigeant une grande vigilance à l'égard de la situation des artistes et techniciens.
M. Patrick Bloche - Mensonges ! Nous ne demandons pas la gratuité, vous le savez bien !
M. le Ministre - J'ai souhaité que s'engage un dialogue entre les titulaires de droits et le ministère de l'éducation nationale afin d'autoriser l'usage pédagogique d'Å“uvres protégées. Les négociations que nous avons lancées en janvier dernier entre l'éducation nationale et les ayants droit de la musique, du livre, de la presse écrite, des arts plastiques et de l'audiovisuel sont en train d'aboutir. On permettra ainsi l'accès à la connaissance sans léser les détenteurs de droits. En outre, une mission de concertation entre bibliothécaires et éditeurs a été confiée à M. Staas, dont le rapport rendu en juin formule plusieurs propositions novatrices.
Toutes ces actions ont un objectif unique : développer de nouvelles offres et de nouveaux usages dans le respect des droits des créateurs. Il faut réhabiliter la démarche contractuelle : le droit d'auteur doit permettre plutôt qu'interdire.
Pour autant, il nous faut nous doter d'un cadre juridique propice à l'émergence de ces nouvelles offres. N'envisageons pas le droit d'auteur sous son seul aspect technique, car il accompagne la vie de tous ceux - lecteurs, internautes, auditeurs ou téléspectateurs - qui goûtent chaque jour à la culture.
Nombreux sont aujourd'hui nos concitoyens qui s'interrogent sur leurs droits ; nombreux aussi ceux qui succombent aux sirènes leur annonçant l'accès gratuit et illimité à la culture (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Notre débat aura donc une vertu pédagogique, fera justice du leurre démagogique de la gratuité, déjouera les craintes infondées et permettra d'opposer des réponses adaptées à l'évolution rapide des techniques. Les créateurs doivent continuer à pouvoir vivre de leur travail, qui doit être rémunéré.
M. Patrick Bloche - Absolument !
M. le Ministre - La rémunération des créateurs est légitime et nécessaire à la diversité culturelle - chacun, je l'espère, soutient ce principe. Ne pas rémunérer la création ou la rémunérer forfaitairement, c'est l'assécher en favorisant la concentration et en décourageant la prise de risques.
Il est un leurre, qui se perd dans la dialectique du rêve : le sentiment de l'accessibilité infinie au marché mondial. C'est un rêve que chacun peut légitimement faire, surtout les jeunes créateurs qui, quel que soit leur domaine d'expression et où qu'ils soient dans le monde, se disent qu'Internet est une chance pour eux d'avoir un rayonnement mondial. Internet peut certes être une chance formidable, mais à condition que l'on ne s'y noie pas. Il faut être repéré, détecté, reconnu. Le risque de concentration autour de quelques artistes installés est réel. Une juste distinction doit s'opérer entre la découverte librement consentie des talents et le pillage de leur Å“uvre. Qu'on ne s'y trompe d'ailleurs pas : Internet ne détournera pas le public de la magie du spectacle vivant. Il peut, et doit, mieux le faire connaître à tous les publics, en particulier aux plus jeunes, ce qui passe par l'amplification des actions d'éducation à l'image. La perspective d'une diffusion immédiate et mondiale suscite parfois de faux espoirs, voire des illusions dangereuses. Le rêve d'un jeune artiste est bien la rencontre avec son public !
Il y a urgence : une urgence économique, car le modèle économique de la création est en jeu - celui de la prise de risque et de l'investissement, tant financier que personnel, sans lesquels il n'y a pas de création, et donc pas de diversité culturelle et pas d'emplois dans le secteur, ce qui entraîne donc une urgence sociale. Pour y répondre, nous vous proposons un texte d'équilibre. La propriété littéraire et artistique ne couvre pas les idées mais leur expression, n'a qu'une durée limitée et peut faire l'objet d'exceptions, notamment pour l'usage privé, qui reste garanti. La révolution numérique ouvre des perspectives extraordinaires d'accès à la culture et l'innovation est permanente : la TNT, déjà entrée dans un million de foyers, le câble numérique, l'ADSL ou la vidéo à la demande, par exemple, sans compter les progrès de la couverture de l'Internet à haut débit, voulue par le Gouvernement... Il est clair que des chances nouvelles d'accès à la culture pour tous se développent, bien au-delà des usines à rêve qu'imaginait Malraux en créant le ministère de la culture. De nouvelles offres de téléchargement de musique ont également explosé depuis l'été 2004 : plus d'une vingtaine de plateformes légales sont désormais accessibles, offrant au public de larges catalogues dans des conditions attractives, puisque le prix d'un titre est inférieur à un euro.
M. Didier Mathus - Vous faites leur promotion ?
M. le Ministre - Ces offres rencontrent un grand succès : les téléchargements ont augmenté de 260% en un an.
M. Didier Mathus - C'est normal, il n'y en avait pas avant !
M. le Ministre - Les offres ne cessent de se diversifier, de nouveaux modèles économiques apparaissent. De nouvelles plateformes pour le cinéma et l'audiovisuel se mettent actuellement en place. A ce propos, je veux récuser toute idée de forfaitisation de la rémunération des créateurs - licence globale ou légale. Cette fausse bonne idée revient, en fait, à renchérir le coût de l'abonnement pour le consommateur, et à appauvrir le créateur puisque sa rémunération ne tient pas compte de l'exploitation et du succès de son Å“uvre. Si certains distributeurs veulent créer des offres forfaitaires, c'est à eux d'en assumer les risques, en aucun cas aux créateurs. C'est ce que vous aviez fort justement décidé en 2001, à propos des abonnements au cinéma. J'ai souhaité, avec mon collègue chargé du travail, qu'un dialogue s'engage entre les interprètes et les éditeurs de phonogrammes, afin que la rémunération desÅ“uvres et de leur utilisation soit garantie par un accord collectif.
L'émergence de nouvelles offres légales est au cÅ“ur du projet de loi. Il faut en effet apporter des réponses à ce paradoxe : jamais l'accès à la culture n'aura été aussi facile, mais jamais la création n'aura été aussi menacée - non seulement nos capacités de rêver, mais aussi nos emplois et notre rayonnement dans le monde, notre attitude collective face à l'avenir. La grande différence entre l'analogique et le numérique, c'est que ce dernier rend possible de fabriquer un très grand nombre d'originaux. Il fallait donc trouver la formule permettant de préserver l'exception pour copie privée sans alimenter pour autant la contrefaçon, qui n'est rien d'autre que du vol. L'efficacité des nouveaux systèmes d'échange de fichiers est formidable, mais devient redoutable quand ils sont le vecteur de la contrefaçon. Utilisant généralement les technologies de pair à pair, ils permettent d'accéder à de nombreuses Å“uvres dans des conditions de qualité identiques à celles qui président à la découverte de l'original. L'illusion de la gratuité conduit désormais une partie des consommateurs à considérer que toute offre payante est trop chère et oblige les industries culturelles à baisser leurs prix, pour limiter la baisse des ventes en volume, mais ce qui réduit leur chiffre d'affaires et donc les ressources pour investir dans de nouveaux talents. On entre alors dans un cercle vicieux, le manque de création risquant d'entraîner une désaffection du public. Le rôle du législateur est de créer les conditions économiques permettant au marché de déterminer un prix attractif pour le consommateur et suffisant pour le créateur.
Oui, il était urgent de légiférer. Ce projet poursuit quatre objectifs principaux : définir des exceptions nouvelles ; organiser les mesures techniques de protection qui permettent aux titulaires de droits de mettre en ligne en toute confiance leurs Å“uvres ; inciter, par de nouveaux dispositifs, les consommateurs et les éditeurs de logiciels de pair à pair à rentrer dans la légalité ; enfin, réhabiliter le statut d'auteur des agents publics et améliorer le contrôle des statuts des sociétés de droits par le ministère de la culture.
La directive sur le droit d'auteur et les droits voisins dans la société de l'information avait pour objet de créer une seule exception obligatoire, visant à permettre les copies techniques nécessaires à la transmission des Å“uvres sur les réseaux de communication. Elle n'avait pas pour objet d'harmoniser toutes les exceptions en Europe, mais d'en harmoniser les contours. Le Gouvernement a souhaité maintenir l'équilibre existant en droit français sans créer d'exceptions supplémentaires, sauf une en faveur des personnes handicapées, qui sont une des priorités du quinquennat. Une exception a donc été prévue pour permettre à des organismes agréés, tels que des associations ou des bibliothèques, de produire des transcriptions dans des formats adaptés comme le braille ou même de rendre accessibles desÅ“uvres numérisées sur des terminaux électroniques adaptés.
Le Gouvernement a également souhaité moderniser le dépôt légal, conservation de notre mémoire collective, témoignage pour les générations futures et aussi ressource extraordinaire pour nos chercheurs et nos historiens. Le projet de loi crée ainsi le dépôt légal de la Toile. Le patrimoine d'Internet, espace majeur d'information et d'échange, est en effet mouvant et éphémère. La nouvelle forme du dépôt légal se fera sur Internet par la collecte des sites. De nombreuses expérimentations ont déjà été menées et l'Institut national de l'audiovisuel et la Bibliothèque nationale de France sont prêts.
Le projet autorise en outre la numérisation des Å“uvres déposées et leur consultation sur un réseau local, ce qui allégera considérablement les tâches de manipulation et facilitera l'accès des chercheurs à ce patrimoine inestimable.
En ce qui concerne les mesures techniques de protection, il convient de dissiper quelques malentendus : ce projet ne crée pas les mesures techniques, qui existent depuis vingt ans pour les cassettes vidéo et dix pour les DVD. Ce ne sont pas des mesures de verrouillage des Å“uvres et de la copie : au contraire, en intégrant des systèmes de gestion des droits, elles permettent l'émergence de nouvelles offres et de nouveaux modèles économiques. Entre ceux qui souhaitent la disparition de la copie privée et ceux qui veulent une copie sans limite, je veux maintenir un équilibre pour conserver une vraie copie privée - et sa légitime rémunération. La copie privée est préservée, mais adaptée à l'univers numérique, qui permet de fabriquer un très grand nombre d'originaux. J'espère que ce rappel sera entendu.
C'est dans cet esprit que le projet institue un collège de médiateurs, autorité administrative indépendante chargée de réguler les mesures techniques et de mesurer leur conformité avec les exceptions légales. Ce collège constitue une garantie formidable pour les consommateurs, puisqu'il pourra être saisi par eux ou leurs associations de tout litige concernant une mesure technique qui priverait du bénéfice de l'exception pour copie privée - dont je rappelle qu'elle concerne le cercle de famille. Quiconque aura, grâce à Internet, aimé une musique ou un film, pourra transmettre le plaisir à ses proches : le projet le garantit !
M. Patrick Bloche - C'est faux !
M. le Ministre - Cela vous dérange, mais c'est vrai !
Afin d'éviter que certains spécialistes du piratage puissent contourner les mesures techniques, le projet de loi crée une sanction. Ne faites pas naître de fausses peurs : les consommateurs de bonne foi ne sont absolument pas concernés ! Lorsqu'ils seront en train de télécharger, ils vont recevoir un message leur disant qu'ils sont hors la loi. Ils seront informés, prévenus. Qu'on arrête donc de dire que ce projet de loi organise la sanction pénale des jeunes internautes, c'est de la désinformation !
Plusieurs députés socialistes - Non !
M. le Ministre - C'est le contraire de l'esprit de la loi !
Surtout, ce projet crée une sanction contre la fourniture de moyens destinés à faciliter le contournement, afin d'éviter ce genre d'activités qui tire profit de l'incitation à enfreindre la loi. Ces dispositions n'ont pas pour autant pour objet - méfions-nous des amalgames -, de créer un dispositif d'agrément des logiciels de lecture ou de remettre en cause les exceptions existantes, comme la décompilation, qui bénéficie notamment aux logiciels libres.
En ce qui concerne ces derniers, je veux apporter de la clarté là où d'autres se complaisent dans la confusion et les raccourcis abusifs. Je tiens à ce que le projet de loi permette d'éviter les monopoles indus. C'est pourquoi je vais déposer un amendement permettant d'assurer le respect du droit de la concurrence aux fournisseurs des mesures techniques de protection (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).
Le projet contient une disposition particulièrement novatrice, destinée à faciliter l'interopérabilité en favorisant l'accès à des licences croisées, permettant de rendre compatibles les plateformes d'offres en ligne et les lecteurs. Voilà un projet d'ouverture, dont la légalité fera l'objet d'un examen attentif de notre part, et qui va au-delà des prescriptions de la directive : il permet d'éviter le cloisonnement de l'offre, un non-sens industriel, et est indispensable au marché.
Ces mesures techniques, qui permettent également de lutter contre la contrefaçon à la source, ne sont toutefois pas suffisantes. Il se trouvera toujours un spécialiste qui les contournera, obtiendra un exemplaire non protégé de l'Å“uvre et le diffusera sur les nouveaux réseaux à haut débit, notamment sur les systèmes pair à pair.
Il est donc indispensable de se doter de moyens de prévention efficaces, à destination du grand public échangeant des Å“uvres de façon illicite : c'est l'objectif du mécanisme de réponse graduée.
M. Didier Mathus - Tous en taule !
M. le Ministre - Vous auriez aimé que ce Gouvernement en reste à l'alternative entre la dérégulation ultralibérale et la sanction pénale. Mais notre solution apparaît comme novatrice au sein de l'Union européenne...
M. Patrick Bloche - Votez nos amendements, voilà l'innovation !
M. le Ministre - C'est celle de la réponse graduée et la majorité présidentielle peut s'en enorgueillir !
M. Patrick Bloche - Elle est au service des majors !
M. le Ministre - Le Gouvernement a souhaité insérer ce dispositif dans le projet par amendement.
M. Patrick Bloche - C'est honteux, ces amendements ont été déposés au dernier moment !
M. le Ministre - L'objectif premier de cet amendement est la prévention, l'information, donc la responsabilité...
M. Christian Paul - Vous appelez cela de la concertation ! Les lobbies avaient les amendements avant le Parlement !
M. Patrick Bloche - Vous bafouez le Parlement !
M. le Ministre - ...Il respecte pleinement les libertés individuelles et présente le maximum de garanties au regard des droits de la défense des internautes, qui recevront préalablement une mise en demeure, par courrier électronique ou par lettre recommandée. S'ils n'en tiennent pas compte, ils seront, après une procédure contradictoire écrite, passibles d'une sanction financière dont le prononcé sera laissé à l'appréciation du collège des médiateurs. II est également nécessaire de préciser que le dispositif de recherche d'infraction restera soumis à l'autorisation de la CNIL.
M. Patrick Bloche - Votre objectif est de contourner la CNIL !
M. le Ministre - Ce projet de loi permet ainsi un équilibre entre la dépénalisation de la contrefaçon numérique et la création de nouveaux mécanismes répressifs. En effet, il préserve les capacités d'action en justice des titulaires de droit pour les cas graves, tout en permettant une prévention personnalisée. Les garanties quant à la confidentialité des informations nominatives ont été prises en liaison étroite avec la chancellerie et la CNIL.
Ce dispositif doit être complété par une action en amont, notamment à l'égard de certains éditeurs de logiciels qui font des profits en donnant l'accès gratuit à la culture tout en trompant leurs utilisateurs, qui seuls risquent des poursuites judiciaires. Cette incitation à la contrefaçon va également à l'encontre de la sensibilisation entreprise par le Gouvernement et les professionnels.
Là encore, évitons la caricature : il ne s'agit en aucun cas de condamner la technologie pair à pair, qui ouvre des perspectives importantes pour la culture, mais de favoriser l'émergence d'offres légales utilisant cette technologie, comme cela commence à être le cas outre-Atlantique.
Il faut aussi responsabiliser les éditeurs de logiciels afin qu'ils en évitent les usages illicites. Il pourrait s'agir notamment de mesures d'identification desÅ“uvres concernées, mais la loi n'impose bien sûr aucune technologie particulière.
Ce projet nous offre aussi l'occasion de transposer, également dans l'urgence puisqu'il faut le faire avant le 31 décembre, la directive relative au droit de suite. Le droit de suite est un pourcentage versé aux artistes plasticiens et à leurs héritiers lors de chacune des reventes successives de leurs Å“uvres. En France, ce droit, qui existe depuis 1920, est de 3% mais il n'est, dans les faits, appliqué qu'aux ventes publiques aux enchères.
Une minorité de pays de l'Union Européenne n'appliquent pas le droit de suite : ainsi le Royaume-Uni, place dominante du marché de l'art contemporain. La directive du 27 septembre 2001 harmonise le droit de suite et les taux applicables à l'ensemble des pays de l'Union, ce qui est une bonne chose pour le rayonnement artistique de notre pays, compte tenu de la concurrence que se livrent Paris et Londres.
Cette directive permettra à nos professionnels de travailler dans des conditions égales à celles en vigueur à Londres et dans le reste de l'Europe. Elle instaure une dégressivité des taux applicables en fonction du montant de la vente et plafonne à 12 500 € le droit susceptible d'être versé pour uneÅ“uvre. Cela devrait éviter la délocalisation des ventes vers les places dépourvues de droit de suite, notamment New-York.
Toutefois, les professionnels sont inquiets : c'est le cas des galeristes qui, de fait, n'appliquaient pas le droit de suite, mais cotisaient en contrepartie au régime de sécurité sociale des artistes ; les sociétés de ventes volontaires verront pour leur part le droit de suite augmenter d'environ 25%.
C'est pourquoi, comme l'a demandé le Premier ministre lors du discours à la Fiac, le Gouvernement fera en sorte que le décret d'application permette une transposition aussi proche que possible des conditions dont bénéficieront les Britanniques, afin d'éviter tout exode du marché de l'art vers Londres.
Le Gouvernement sera notamment vigilant sur les délais d'adaptation : en effet, les Etats membres qui n'appliquaient pas le droit de suite ont obtenu d'en dispenser les ventes d'oeuvres d'artistes décédés jusqu'en 2010, voire 2012, au risque de créer artificiellement pendant quatre à six ans une dégradation des termes de la concurrence au détriment des galeries françaises.
Le même décret fixera le seuil de prix de vente à partir duquel s'applique le droit de suite, seuil que les représentants des artistes souhaitent aussi proche que possible du seuil actuel de 15 €, mais que les professionnels souhaitent voir atteindre le maximum prévu par la directive, soit 3 000 €. J'ai l'intention de le fixer à 1 000 € : ce relèvement mettra la France au niveau de nos plus proches concurrents, la Belgique et le Royaume-Uni, et allégera considérablement les formalités administratives. Le temps gagné par les galeries et les sociétés de vente compensera ainsi l'accroissement du droit de suite. Ce seuil plus élevé ne dissuadera pas les intermédiaires de vendre des Å“uvres dont le coût unitaire est limité, le temps passé aux formalités coûtant parfois plus cher que le droit de suite lui-même !
Enfin, la directive prévoit que la Commission européenne présentera avant le 1er janvier 2009 un rapport sur l'application et les effets de la directive, notamment du point de vue de la compétitivité du marché européen. Ce rendez-vous sera l'occasion de s'interroger à nouveau sur l'opportunité de ce droit.
C'est parce que le droit de suite est un droit d'auteur que la France a été à l'origine de cette directive. Et c'est parce que la France est attachée au droit d'auteur que le Gouvernement sera attentif à ce que tous les Etats membres la transposent dans les délais convenus.
Je tiens enfin à rendre hommage au travail remarquable de votre commission, effectué en extrême urgence pour ce qui est du droit de suite. Dans l'ensemble, ce projet de loi n'a d'autre objectif que de concilier la pérennité de la création et l'accès le plus large à la culture, l'un des plus grands acquis et l'un des plus grands défis de notre temps.
Nous devons faire en sorte que les technologies faites pour le progrès des hommes permettent aussi d'assurer le développement durable et la diversité des Å“uvres de l'esprit. C'est là l'une des missions les plus nobles du législateur. Puissiez-vous faire en sorte que, comme l'a déclaré récemment l'historien Roger Chartier, le droit d'auteur ne soit pas qu'une parenthèse dans notre histoire (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).
M. Christian Vanneste, rapporteur de la commission des lois - Le texte qui nous est proposé aujourd'hui est un texte modeste...
M. Christian Paul - Est-il modeste ou historique ?
M. le Rapporteur - ...car il s'agit de la transposition d'une directive européenne. Cette transposition est d'ailleurs tardive puisque la directive sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information date du 22 mai 2001 et que la France a été condamnée pour manquement en janvier puis en juin. Il y a donc lieu de se réjouir que l'urgence ait été déclarée.
A la transposition de cette directive ont été ajoutées quelques mesures concernant le droit des auteurs membres de la fonction publique, le fonctionnement des sociétés de perception et de répartition des droits d'auteurs et droits voisins, le dépôt légal, et bien sûr, des dispositions propres aux collectivités d'outre-mer.
Si ce texte est modeste, il se situe au confluent de deux réalités considérables. La première, c'est la révolution numérique : Marshall Mac Luhan dans la Galaxie Gutenberg, a souligné l'importance du passage de la communication de l'écrit à celle des mass media, la soumission au flux d'images et de sons véhiculé par voie hertzienne se substituant à la découverte personnelle des textes et des auteurs. Depuis vingt ans, nous sommes passés de la galaxie Mac Luhan à la galaxie Bill Gates...
M. Christian Paul - On peut trouver d'autres parrainages !
M. le Rapporteur - L'univers numérique est marqué par trois phénomènes essentiels : les frontières disparaissent, les modes de communication fusionnent et les outils se rejoignent, les sons, les images et les textes passant par une même voie. La compression numérique permet la conservation et la duplication quasi parfaites des Å“uvres. La fibre optique et la largeur des bandes augmentent de manière vertigineuse la rapidité et la quantité des informations.
Révolution plus importante encore, la communication informatique et numérique favorise un véritable retour à la liberté de choix et à la convivialité du dialogue, après la « foule solitaire » dont parle David Riesmann, foule anonyme, passive et pétrie par le même message de grandes chaînes de télévision nationales. Elle constitue un monde plus individualiste, ou plutôt plus personnaliste, où l'intelligence active n'est plus seulement du côté de l'émetteur mais à la périphérie, chez tous les internautes - que l'on songe aux blogs ou au peer to peer.
Cette révolution rencontre une tradition : celle du droit d'auteur. Il s'agit d'un défi parce que le nombre d'échanges de fichiers, l'effacement des frontières et des distances, la quantité des conservations et des reproductions, la liberté d'initiative et de choix créent un vaste espace où de nombreuses Å“uvres peuvent être redécouvertes ou présentées en toute bonne conscience, alors que leurs auteurs n'auront été ni justement rémunérés ni même consultés. Une liberté quelque peu anarchique conduit au piratage et donc à la disparition de la création. Selon les syndicats de producteurs de phonogrammes, en l'espace de quatre ans, le marché de la musique aura perdu 409 millions. Cette forte baisse n'est pas sans conséquence sur la création musicale et sur l'emploi. Ainsi, les effectifs des maisons de disques ont chuté de 22% entre 2001 et 2004 et la production musicale s'est fortement ralentie. Pendant la même période, le nombre d'albums commercialisés a chuté de 23% - de 20% pour les premiers albums de jeunes artistes francophones. En 1999, deux milliards de fichiers musicaux étaient échangés sur Internet ; en 2003, 150 milliards. Dans le même temps, le marché des phonogrammes passait de 38,7 à 29 milliards. Le risque pour la filière du cinéma est plus considérable encore puisque 16 millions d'internautes disposant d'un accès à domicile avaient déjà téléchargé des films gratuitement sur Internet. En raison du très bon équipement en haut débit des internautes français, la menace est particulièrement inquiétante pour le cinéma français et pour la diversité culturelle.
M. Dominique Richard - Evidemment.
M. le Rapporteur - Une étude du CNC parue en mai 2004 concluait que 21% des « téléchargeurs » avaient réduit leur fréquentation des salles de cinéma. Or, le téléchargement illicite d'un fichier américain, avant sa sortie en France, prive le cinéma français d'une part de son financement par la taxe sur les prix des places en salles. Actuellement, le cinéma français est financé grâce à la succession de la projection en salle, de l'édition en DVD et de la diffusion par la télévision payante puis par les chaînes hertziennes gratuites.
Mais le défi que le monde numérique lance à la création contient sa propre réponse car le numérique, c'est aussi la possibilité de codes, de filtres, de limitation du nombre de copies. C'est également la possibilité de gérer les droits de manière équitable et précise de sorte que le lien entre l'utilisateur et le créateur soit à la fois personnalisé et juste. Cette possibilité est au cÅ“ur de la directive et donc du projet de loi.
Mon rapport est fondé sur une idée force : l'équilibre, afin que soit préservée et vivifiée la création culturelle. Il faut donc que les auteurs et les interprètes soient justement rémunérés, que les risques économiques encourus par les entreprises soient limités et, enfin, que les consommateurs trouvent un juste équilibre entre leur liberté et la pérennité de la source de ce qu'ils aiment, entre leur sécurité d'utilisateur et la préservation des intérêts sans lesquels la filière culturelle n'existerait plus, entre la mise enÅ“uvre des dispositifs de protection des ayants droit et la transparence qui doit régner dans la démocratie numérique.
Le titre premier du projet correspond à la transposition de la directive européenne. Son premier chapitre détermine les exceptions au droit d'auteur et aux droits voisins. Les articles 1 à 3 visent à intégrer deux exceptions dans le code de la propriété intellectuelle pour les auteurs, les titulaires de droits voisins et ceux de droits sur les bases de données : la première, obligatoire, est circonscrite aux aspects transitoires techniques ; la seconde concerne les personnes handicapées. Le principe du test en trois étapes afin d'encadrer la mise en Å“uvre des exceptions, ce en référence à l'article de la convention de l'OMPI du 20 décembre 1996, est inscrit dans notre droit de manière transversale. Les exceptions ne doivent concerner que des cas spéciaux et ne doivent pas porter atteinte à l'exploitation normale de l'Å“uvre ou du droit protégé, ni porter préjudice de manière injustifiée aux intérêts légitimes des propriétaires de droits. Le nombre des exceptions est réduit au minimum pour obéir à la règle du test en trois étapes et tenir compte de la fragilité économique des filières qui pourraient être touchées par l'élargissement des exceptions. Parce qu'il importe de maintenir notamment la place de la langue française et des éditions françaises dans les domaines scolaires et universitaires ainsi que la très grande diversité des situations, il a été jugé préférable de laisser à la convention le soin d'épouser la variété du terrain.
Le second chapitre conforte le principe de la copie privée, c'est-à -dire la possibilité pour un utilisateur d'effectuer une copie à usage strictement domestique, sans remise de droits aux titulaires. Dans le même souci de protéger les intérêts du consommateur, la commission a adopté un amendement tendant à améliorer la transparence des travaux de la commission pour copie privée.
Le troisième chapitre est la clef de voûte du texte puisqu'il porte sur les mesures techniques de protection et d'information. L'article 7, en particulier, constitue le cÅ“ur du dispositif puisqu'il introduit dans le droit français l'autorisation et la protection des mesures techniques qui permettent de contrôler l'accès aux Å“uvres sous forme numérique et aux autres objets de droits voisins : défense des auteurs contre un excès de mesures techniques de protection - celles-ci doivent être connues et voulues par les titulaires de droits - ; protection des mesures techniques contre le piratage et leur contournement qui deviennent des délits de contrefaçon - notamment lorsqu'il s'agit des droits d'auteur - ; protection du consommateur qui doit être informé des limites d'utilisation et de copie et se voir garantir autant que faire se peut la compatibilité des formats et des matériels ainsi que leur interopérabilité ; protection enfin des bénéficiaires de l'exception pour personnes handicapées et réaffirmation du droit à la copie privée. Un collège des médiateurs est créé afin de permettre le plus tôt possible un juste équilibre entre la protection des ayants droit et le souci légitime d'utilisation des consommateurs. La saisine de ce collège sera très large, puisque ouverte à toute personne bénéficiaire des deux exceptions protégées et à toute personne morale agréée pour représenter en justice les consommateurs individuels. La commission a adopté un amendement visant à permettre la saisine a priori afin de limiter les contentieux trop tardifs, et un autre fixant à deux mois le délai pour que le collège statue. Elle a conforté la copie privée et rejeté la tentation de la licence légale, taxation désuète et absurde dans un espace mondialisé - plus absurde encore au temps du peer to peer. Il s'agit aujourd'hui de légaliser le peer to peer en décourageant non seulement le piratage mais aussi ceux qui le facilitent ou le stimulent, éditeurs de logiciels ou fournisseurs d'accès. Pour ce faire, à côté des sanctions et avant elles, doivent être mises en Å“uvre deux démarches alternatives : la réponse graduée, pédagogique avant que d'être répressive, et l'offre de serveurs légaux. Cette conception, annoncée par la charte de juillet 2004, devrait être confortée aujourd'hui par la loi afin notamment de respecter les observations légitimes de la CNIL.
Les autres titres du texte ont une importance plus modeste. Le titre II tend à étendre aux agents publics la conception personnaliste et libérale du droit d'auteur à la française. Il vise ainsi à leur reconnaître un droit d'auteur tout en assortissant celui-ci de garanties propres à assurer la continuité du service public. L'article 16 fait bénéficier les agents publics du principe fondateur du droit de la propriété intellectuelle, grâce à un régime analogue à celui applicable aux salariés de droit privé. L'article 18 permet un intéressement des fonctionnaires-auteurs.
Le titre III vise à améliorer le contrôle des sociétés de perception et de répartition des droits. Il s'agit tout d'abord d'allonger le délai de saisine du TGI par le ministre pour s'opposer à la création d'une société, tout en élargissant les motifs de demande de sanction judicaire. Il s'agit ensuite d'harmoniser les règles comptables des SPRD en application des conclusions de la commission permanente de contrôle de décembre 2002.
Le titre IV touche au dépôt légal. Il vise avant tout à étendre le principe de la conservation patrimoniale à la communication au public par voie électronique. L'INA se chargera des cinq mille sites Internet liés à la radio et à la télévision ; la BNF se consacrera, quant à elle, au dépôt légal des 200 000 autres sites retenus non relatifs aux médias et dont la taille moyenne est en général beaucoup plus limitée. Les organismes dépositaires légaux - BNF pour l'écrit, le son, les CD-roms et le multimédia, INA pour l'audiovisuel, CNC pour la vidéo et le cinéma -, ne sont pas affranchis du droit de la propriété intellectuelle, qui encadre donc la consultation. Là encore, c'est l'équilibre qui prévaut entre la préservation des droits exclusifs de communication et de reproduction et l'intérêt général, qui conduit à ouvrir la consultation aux chercheurs et à reproduire les oeuvres pour mieux les conserver, mais avec des garanties sérieuses quant à cette utilisation.
Le titre V porte sur l'application du texte dans les collectivités territoriales d'outre-mer.
Enfin, l'article 29 comprend des mesures transitoires dont la principale consiste à instituer un délai de trois ans à compter de la promulgation de la loi pour que les personnes soumises à ce nouveau dépôt légal s'y conforment.
Ce texte est porteur d'une grande ambition...
M. Christian Paul - Historique ! (Sourires)
M. le Rapporteur - ...car il constitue une étape supplémentaire dans le combat pour affirmer la suprématie et la pérennité de la richesse intellectuelle. « La plus sacrée, la plus légitime, la plus inattaquable et la plus personnelle des propriétés est l'ouvrage de la pensée » : loin de remettre en cause cette célèbre formule de Le Chapelier, la technique d'aujourd'hui permet de la rendre plus vivante. Marier la liberté de la création avec celle de l'accès de tous à la culture, telle est l'ambition de ce texte dont je vous félicite, Monsieur le ministre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)
EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ
Mme la Présidente - J'ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe communiste et républicain une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.
M. Frédéric Dutoit - Avec tout le respect que je vous dois, Monsieur le ministre, l'empilage de grands mots et de citations ne peut tenir lieu d'argumentation.
M. Patrick Bloche - Très bien.
M. Frédéric Dutoit - Si je me fais peu d'illusions sur le sort de cette exception d'irrecevabilité, je crains d'autant plus que votre texte n'ait de graves conséquences sur la vie quotidienne de millions de citoyens et d'utilisateurs de données numériques, des conséquences sociales, technologiques, économiques et géo-stratégiques qui auraient dû appeler ses rédacteurs à plus de prudence et le Gouvernement à plus de circonspection. Mais au contraire, ce texte a fait l'objet d'une déclaration d'urgence au prétexte de satisfaire un calendrier européen de transposition du droit. L'argument est plutôt fragile lorsque l'on sait que la Commission européenne travaille déjà à la modification de la directive en question sur des points tout à fait essentiels tels que la notion de rémunération juste ou les problèmes liés à la libre circulation des informations nécessaires à l'interopérabilité.
Nous déplorons aussi de ne pas disposer à ce jour de l'étude d'impact pourtant prévue expressément dans la circulaire du 27 septembre 2004 relative à la procédure de transposition en droit interne des directives et décisions-cadres négociées dans le cadre des institutions européennes. Au surplus, la nécessité de transposer une directive n'exonère pas le Gouvernement du devoir d'organiser un débat suffisamment large pour prendre la mesure exacte des enjeux très divers liés à l'avènement de la société de l'information et au développement des technologies. Un tel débat aurait pu associer un plus large public et prendre en compte le point de vue des partisans d'une refonte plus radicale de notre droit, face à la révolution des usages culturels à laquelle nous assistons.
Forts de ce constat, nous pouvions attendre du Gouvernement qu'il retire son texte pour privilégier une recherche plus scrupuleuse du moyen de mieux protéger les droits d'auteur face à l'essor des échanges numériques en ligne. Nous aurions également pu espérer qu'il prête une oreille moins attentive à tous ceux qui réclament un arsenal de mesures coercitives. Tel n'a pas été le cas, et nous le regrettons, car le texte qui nous est soumis se situe très en retrait des attentes de nos concitoyens et en complet décalage avec les réalités nouvelles auxquelles nous confronte le développement de l'Internet.
L'Internet nous lance d'abord le défi de la complexité : comment l'utiliser pour faire progresser la gouvernance locale et mondiale vers une société faite pour et par l'homme ? Tout est là ! L'information, matériau brut, n'a pas plus de valeur qu'une pierre sans sculpteur. Si l'on a assez de discernement pour sélectionner les informations disponibles, on produit du savoir. La nouveauté tient à ce que, depuis quelques décennies, le progrès des techniques a rendu rapide et massive la circulation des idées - comme du reste des nuisances ! L'Internet accélère le flux. D'autre part, nous sommes devenus si puissants que les conséquences de nos actes se ressentent à grande distance dans un délai extrêmement bref. Depuis 2001, plus d'un demi-milliard de personnes sont connectées, à leur domicile, au travail ou même dans la rue. Une intensification si rapide des communications instantanées crée une rupture qualitative. Bientôt, un milliard d'internautes vont interagir. Nous ne pouvons plus penser le monde que comme un système solidaire complexe. A l'heure des réseaux numériques, nous devons garder à l'esprit deux caractéristiques des systèmes complexes : leurs propriétés globales ne se résument pas à la somme des parties qui les composent et ils peuvent évoluer à tout moment, sous l'effet d'un événement imprévisible. L'instabilité - symbolisée par l'effet papillon - a la très heureuse conséquence de fonder la responsabilité individuelle de chacun. Il suffit, dans un groupe, qu'un seul prenne l'initiative pour déclencher une réaction en chaîne. L'Internet étend la chaîne des contacts possibles à la planète. Plus nous pouvons joindre de personnes, plus nous avons de chances de rencontrer celle avec laquelle nous pourrons nouer un échange utile. L'Internet est l'outil démocratique du partage.
Le document numérique provoque une révolution du fait qu'il peut être reproduit à l'infini, sans rien perdre de sa valeur et pour un coût dérisoire. Celui qui le reçoit se trouve libre d'en faire ce qu'il veut. Lorsqu'on lit un livre ou que l'on regarde une image imprimée, l'on ne peut les modifier. Le numérique le permet, aux réserves juridiques près. Le coût quasi nul de la copie des fichiers étend l'impact de l'économie de l'immatériel, laquelle permet de donner un bien sans s'en priver soi-même. Une idée transmise dans une conversation ne s'use pas, et sa diffusion ne coûte rien. Imprimée sur un support matériel, la même idée ne se répand pas sans coût. Le problème est levé si le « support » est aussi peu coûteux qu'une mémoire numérique. Donner un fichier numérisé ne me retire rien, et je puis, sans léser personne, puiser dans l'Internet, qui est, beaucoup l'ont dit, la plus grande bibliothèque du monde. Je peux, de chez moi, en allant aux sources les plus diverses, organiser selon ma propre logique l'information correspondant à mes centres d'intérêt. Et si toutes les sources ne sont pas fiables, tous les experts et livres imprimés le sont-ils davantage ? Le problème tient à la capacité de discernement des utilisateurs. Radio, télévision et téléphone ont rendu immédiate la communication à distance. Mais de ces médias, les deux premiers imposent une relation à sens unique, entre un émetteur central et des récepteurs passifs. Le téléphone permet certes de converser, mais à deux personnes seulement.
L'Internet se distingue de tous les autres médias par les possibilités qu'il ouvre de communications riches en contenu, interactives, entre beaucoup de personnes à la fois. Chacun y intervient sur un plan d'égalité, peut être récepteur et émetteur, pour un investissement de plus en plus réduit. Cela facilite l'expression des différences individuelles ou régionales et devrait renforcer les cultures locales, le multilinguisme, d'où une créativité qu'une monoculture mondiale stériliserait.
Le numérique donne un outil à l'exercice du libre-arbitre individuel, à l'expression de soi et à l'entretien de relations avec les autres. L'une des questions les plus critiques reste celle de la sécurité numérique, laquelle présente deux aspects antagoniques. D'un côté, assurer l'honnêteté des transactions numériques, en vérifiant l'identité des parties et en sécurisant les flux d'argents, dans l'intérêt des acheteurs et des vendeurs. De l'autre, préserver la vie privée des particuliers. La puissance de traitement de l'information peut aussi servir à violer notre intimité et à nous espionner où que nous soyons. Mais à vouloir trop garantir la sécurité, on risque de sacrifier la liberté individuelle et d'instaurer l'ère de Big Brother. C'est une contradiction souvent apparue depuis le 11 septembre 2001, avec les demandes de contrôle des services spéciaux américains.
La menace de Big Brother restera permanente, tout comme le risque de l'écrasement des différences locales, laminées par l'effet de masse d'une offre mondiale souvent médiocre, celle que véhiculent les séries télévisées et les jeux fabriqués pour atteindre le plus grand nombre.
De l'imprimerie à l'Internet, les dangers de chaque nouvelle technique de communication ont été dénoncés par tous ceux qui ont craint qu'elles ne servent les pires causes. Mais tout progrès de la communication a fini par servir mieux la liberté que ceux qui voulaient l'étouffer. Les deux faces du numérique suscitent des tendances antagoniques, les unes porteuses de développement humain, les autres opprimantes. Je suis convaincu que nous pouvons favoriser les premières au détriment des secondes et, qu'une fois de plus, la communication démontrera sa vertu profonde. L'essentiel du travail producteur de valeur est de plus en plus fondé sur la mise en Å“uvre des compétences et de la créativité. Pour mobiliser cette dernière, qui, à la différence de l'effort physique, ne s'obtient pas par la contrainte, il faut convaincre ou séduire.
Conséquence révolutionnaire : le respect des différences et de la liberté devient une condition d'efficacité. Nulle personne, nulle organisation n'est plus capable de maîtriser à elle seule, dans des conditions économiques viables, toutes les connaissances nécessaires pour résoudre quelque problème un peu délicat. L'efficacité d'une organisation est donc fondée sur la qualité et l'intensité des synergies suscitées entre talents complémentaires et volontés convergentes. Nous sommes arrivés au point où il est devenu moins urgent de mobiliser notre intelligence pour obtenir un surcroît de puissance, que de libérer notre raison pour que notre pouvoir acquis ne soit pas utilisé sans discernement. Le monde a besoin de libérer son bon sens. Le facteur décisif n'est donc plus le niveau de culture, mais le degré de culture démocratique et humaniste, le respect de l'Etat de droit et des libertés fondamentales.
Les réseaux de communication non hiérarchisée de l'Internet constituent un outil précieux pour établir de la communication, donner l'alerte, interpeller l'opinion mondiale, créer une transparence là où des options politiques ou des intérêts particuliers veulent imposer l'obscurité. Des normes sont nécessaires au bon fonctionnement des réseaux mais, dans la logique numérique, les solutions d'avenir se doivent d'être ouvertes, partagées, tout comme les infrastructures routières n'ont pas été réservées aux véhicules d'une seule marque !
Ces différents éléments militent pour l'avènement de logiciels libres. Dans tous les domaines, les citoyens attendent des outils pour mieux choisir, mieux comprendre et se sentir plus forts face aux institutions. Si on veut les y aider, il convient d'appuyer le développement des moteurs de recherche, des agents dits intelligents - ces automates logiciels capables de réaliser pour nous des tâches de recherche et de traitement d'informations, de simplifier des opérations - le législateur devant veiller, naturellement, à ce que les critères utilisés par ces instruments de recherche ne soient pas biaisés au profit de certains acteurs.
Le pouvoir des personnes dans la société et les entreprises dépendra aussi de la diffusion des technologies d'échanges et de collaboration entre pairs. La cohabitation, dans une organisation, d'un système centralisé hiérarchique et de systèmes de collaboration transversaux de pair à pair pour des groupes spontanés, est sans doute le moyen à même de produire le plus de valeur pour tous. Les projets numériques peuvent être sélectionnés en fonction de leur propension à conforter les proximités physiques et à créer des proximités virtuelles, même aux antipodes. Ils doivent intensifier les désirs de coopération, relier les acteurs locaux et mutualiser les ressources. Les techniques d'échange de pair à pair, exploitées par exemple pour échanger livres et fiches de lecture, peuvent servir à construire du lien social, à animer des communautés culturelles, citoyennes ou professionnelles.
La définition des nouveaux systèmes informatiques est l'occasion de choix fondamentaux : le système pérennise-t-il la pyramide hiérarchique stalinienne ou favorise-t-il initiatives locales, collaborations informelles, alliances, expériences, réactivité ? Est-il centré sur le contrôle ou sur l'écoute du citoyen ? Les tâches sont-elles rigidifiées ou plus fluides ? Je suis du côté de l'initiative locale, de l'écoute du citoyen et de la fluidité : et vous, Monsieur le ministre ?
Votre tentative malheureuse est vouée à l'échec ou à une rapide obsolescence, mais elle est surtout dangereuse au regard des libertés publiques, et c'est le point qui justifie à nos yeux d'opposer l'irrecevabilité au présent texte. Quelles seront en effet les conséquences les plus immédiates du projet de loi que vous nous présentez ?
Il aura d'abord pour effet de légitimer les dispositifs techniques de contrôle d'usage et de traçage - les fameuses « mesures techniques » - installés par les éditeurs et les producteurs sur les supports numériques, dans les logiciels, les matériels électroniques et les fichiers multimédias. Cela aura pour conséquence aussi de supprimer le droit à la copie privée et de restreindre de manière drastique l'utilisation dans un cadre familial ou tout autre cadre licite. Il aura aussi pour conséquence d'imposer aux utilisateurs le coût des mesures techniques empêchant la copie privée, cependant qu'ils continueront contre toute logique d'acquitter la redevance pour copie privée payée sur les supports numériques. Ces mesures conduiront en outre à restreindre la diffusion des informations techniques relatives aux logiciels libres.
Graver ses propres compilations à partir d'un CD, extraire son morceau favori pour l'écouter sur son ordinateur, transférer son contenu vers un baladeur MP3, prêter un CD à un ami, lire un DVD avec le logiciel de son choix, programmer, améliorer, utiliser ou diffuser un logiciel libre permettant la lecture d'une oeuvre numérisée : autant de pratiques très répandues et parfaitement légales que le Gouvernement se propose ni plus ni moins que d'interdire.
M. le Ministre - C'est absolument faux !
M. Frédéric Dutoit - Ne tournons pas autour du pot : votre projet de loi est avant tout un texte de prohibition (M. le ministre s'exclame). Vous nous dites qu'il est équilibré, mais vous le faites reposer - ainsi que le soulignait d'ailleurs le rapporteur - d'une part sur les intérêts individuels des ayants droit, des consommateurs et des industriels, et, d'autre part, sur... l'intérêt général, dans une double perspective de développement des services Internet et de financement de la création artistique et culturelle. Un tel équilibre est avant tout d'inspiration marchande. D'ailleurs, vous parlez de consommateur, plutôt que d'usager ou de citoyen, ce que nous ne pouvons pas accepter.
Actuellement, en contrepartie du droit d'auteur qui lui est reconnu, l'auteur ne peut, une fois l'Å“uvre divulguée, interdire au public la copie privée, la courte citation, le détournement parodique. Il y a donc un équilibre des droits et des libertés. Vous y substituez la loi du marché. De ce fait, à la présomption d'innocence, vous substituez aussi une « présomption d'utilisation déloyale » de la part du public. Avec ce projet, auteurs, éditeurs et producteurs pourront interdire, par des moyens techniques, l'accès à uneÅ“uvre aux utilisateurs ne pouvant justifier a priori d'une licence d'utilisation. Ces derniers seront aussi obligés d'acheter des matériels récents équipés des dispositifs de contrôle nécessaires - du moins ceux qui en auront les moyens : la fracture numérique s'élargira encore.
A terme, la liberté de stocker et d'utiliser de l'information pour son usage privé sera excessivement restreinte. La liberté d'expression, le droit à l'information le seront d'autant, et la protection des données personnelles et de la vie privée sera amoindrie, l'utilisateur ne pouvant s'opposer au contrôle de l'accès à l'information protégée.
Ce n'est pas là politique-fiction, ni cauchemar à la George Orwell : ces conséquences sont bien en germe dans votre projet. Sinon, pourquoi prévoir jusqu'à trois ans de prison et 300 000 € d'amende pour avoir lu un DVD avec un logiciel non autorisé par l'éditeur de ce DVD ?
Vous dites agir pour garantir une juste rémunération et la diversité de la création. Mais nul ne prétend que la culture doive être gratuite, ni ne voue les droits d'auteur aux gémonies. Tous les sondages le montrent : 83% des internautes sont prêts à payer une redevance avec leur abonnement à Internet pour télécharger de la musique et des films.
M. Christian Paul - Il faudra transmettre les sondages au ministre.
M. Frédéric Dutoit - Tel étudiant de 19 ans explique que, s'il télécharge des séries diffusées aux Etats-Unis ou au Japon, c'est parce qu'il ne peut les voir autrement que sur Internet et que, si c'est illégal, c'est aussi une façon de ne pas se laisser dicter ses goûts par le marché. D'ailleurs, selon lui, les internautes forment une petite communauté de gens responsables pour lesquels il n'est pas question du « tout gratuit ». Il continue au reste d'acheter un CD par mois, comme auparavant, et note que peu d'artistes se plaignent du piratage sur Internet. Prince avait même laissé toute liberté de télécharger son CD, et en a vendu quand même.
M. le Ministre - C'est sa liberté, d'agir ainsi.
M. Frédéric Dutoit - Ces internautes ne sont pas les délinquants, pirates ou contrebandiers dont vous nourrissez le fantasme. Les échanges de pair à pair seraient-ils responsables de la crise de l'industrie culturelle ces dernières années ? Nombre d'études indépendantes aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et au Japon prouvent qu'ils sont sans conséquence directe sur les ventes, et une étude de la FNAC conclut également à un impact très limité sur la consommation de musique en France. Selon l'étude japonaise, ils sont même un outil de promotion de la musique.
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Dernière édition par Brice le 21 Déc 2005, 23:23, édité 1 fois.
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