Terre Promise - Chapitre 2 (3° et dernière partie)
Le soleil se levait sur les Plaines de Grassland, fier de sa domination sur le ciel limpide. Chaque seconde qui passait, il baignait le paysage d?une luminosité un peu plus intense encore. Se réveillant, Kenshu se retourna sur le dos et s?étira de tout son long. Il se frotta les yeux paresseusement et regarda le ciel. Il était d?un bleu profond et aucun nuage ne venait troubler cet apaisant spectacle.
Non sans mal, Kenshu se leva et se dirigea vers la grève. Il s?assit sur un rocher et déposa ses affaires ?son bâton ainsi qu?un petit baluchon? sur le sable blanc. Puis, il entreprit de retrousser son pantalon et de tremper ses pieds dans une marre d?eau salée qui s?était formée naturellement dans un creux du rocher. Tout en marchant doucement ses pieds encore endoloris par la longue journée de marche passée, il observa en plissant les yeux le paysage qui s?offrait à lui : à gauche, une longue plage au bout de laquelle s?élevait une grande falaise ; à droite, la plage devenait plus rocailleuse ; et, face à lui, la mer. La mer? Encore une incroyable découverte ! Des formidables quantités d?eau mouvantes, variant leur activité et leur apparence au gré du vent.
Tout en laissant ses mollets sécher au soleil, Kenshu se pencha en arrière et s?appuya sur ses coudes. Il repensa alors à la journée qu?il avait passée la veille. Le voyage avait été long et éprouvant et les rares fois où Kenshu s?était arrêté de marcher, c?était pour se battre. A force de rixes et de découvertes, il avait constaté à quel point le monde extérieur pouvait être hostile et mystérieux. Surtout quand on voyageait seul? Au cours de sa journée de marche, il avait en effet affronté une dizaine de créatures différentes eu total. Ses premiers combats avaient été éprouvants et Kenshu avait frôlé la mort à plus d?une reprise.
Au début, Kenshu avait voulu utiliser son pouvoir dès les premières secondes du combat, mais il n?y était pas parvenu. Dès son troisième combat ?contre un Grand Condor?, il avait découvert que ce pouvoir ne pouvait se déclencher que quand il avait atteint un état de terreur tel qu?il était sûr qu?il allait mourir. Et, la beauté de ce qu?il avait alors pu voir surpassait de loin la plus belle chose qu?il avait jamais admiré auparavant. Il avait réellement l?impression d?assister à quelque chose de tout à fait exceptionnel et de passer un moment privilégier. Lors de ces moments, la paume de ses mains émettait une lueur d?un rose profond. Et, lorsqu?il saisissait son bâton, cette lumière se propageait en remontant dans son arme, perdant peu à peu de sa couleur pour devenir franchement blanche. Arrivée au bout du bâton, elle dégageait un véritable torrent de lumière blanche et intense. Mais, cela n?était pas éblouissant ; au contraire, c?était même presque doux et apaisant. Et c?était après que cette formidable énergie se soit dégagée dans l?air durant un certain temps, au moment où Kenshu était presque à bout de forces ?car utiliser ce pouvoir lui était bel et bien épuisant !?, que l?effet dévastateur de la chose arrivait. Le temps et l?espace paraissaient alors se déformer, semblaient devenir des variables malléables à souhait. Presque silencieusement, un vent incroyable se mettait à souffler, avec pour source l?extrémité supérieure de l?arme. Et, avec une lenteur presque exaspérante, l?espace paraissait se contracter, se concentrer en un unique point ; puis, presque immédiatement après, tout éclatait, avec cette fois une vitesse faramineuse, pour reprendre sa place initial. Mais pas son état initial ; une onde de choc se formait alors autour de pieds de Kenshu et tout être vivant qui avait le malheur de se trouver aux alentours à ce moment là se voyait désintégré dans la seconde. Pour l?instant, Kenshu n?avait trouvé aucun ennemi capable d?y résister.
Kenshu avait remarqué que, à force d?utiliser ce pouvoir qu?il s?était découvert, il était parvenu à mieux le maîtriser ?même s?il était conscient qu?il avait bien peu d?emprise sur ce qu?il considérait comme un don qui le dépassait totalement. Au tout début, il en ressortait littéralement épuisé. Maintenant, Kenshu avait pris plus d?assurance et arrivait à mieux maîtriser ses émotions pendant ce déluge de lumière. Il était moins impressionnable et donc moins fatigué au final. Il était même quasiment sûr qu?il pouvait à présent utilisé cette capacité deux fois de suite sans s?écrouler. Avec l?expérience acquise, il avait l?impression qu?il parvenait à déclencher ce pouvoir de plus en plus tôt dans le cours du combat. Non qu?il atteignait un état de terreur absolue plus tôt, mais il sentait bien qu?il n?avait pas besoin d?attendre aussi longtemps. Il se sentait la force et la volonté suffisante pour forcer cette magie ?car il n?y avait pas d?autres mots? à se déclencher. Il évoluait et gagnait de l?expérience au fil de ses combats.
Kenshu sentait dans son ventre un creux, synonyme d?espoir et de motivation. Sans plus attendre, il gravit la dune qui reliait la plage à la plaine et décida de reprendre sa marche. Il avait suivi, toute la journée d?hier, la direction de l?est, mais il s?était heurté à la mer. Il décida donc de longer la plage. Au bout de la vaste étendue herbeuse qu?il scrutait du regard, Kenshu apercevait ce qui lui semblait être une ville. Une grande ville aux couleurs bleues, de telle manière qu?il était impossible de ne pas la remarquer, au milieu du vert de l?herbe. Constatant que c?était la seule forme de civilisation s?offrant à son regard, il choisit de s?y diriger.
C?est en fin d?après-midi que Kenshu arriva à bon port. Cette fois-ci, le voyage avait été plutôt tranquille ; du plus, aucun monstre ne l?avait attaqué? A un moment donné, il était passé près d?un étrange bâtiment formé d?un hangar et d?une espèce de tour ronde. Il y serait bien allé voir s?il était habité, mais les étranges cris stridents qui s?en échappaient avaient aussitôt fait rebrousser chemin à Kenshu.
Tout en marchant vers la ville, Kenshu leva la tête. De grandes grues métalliques parsemaient le lieu et cela n?était pas sans lui rappeler les horreurs qu?il avait vécues quelques jours auparavant. Il baissa finalement les yeux et fit l?inventaire ce que contenait sa besace : elle était vide. Soupirant, Kenshu se dit qu?il était temps qu?il arrive ; tenir une journée de plus aurait été impossible.
Devant Kenshu s?élevaient deux grandes portes métalliques, stoïques gardiennes de ce qui semblait être un vaste port. L?une d?elles (celle de droite) portait une petite inscription : Port de Minato. Kenshu n?y prêta pas attention et continua entra. En pénétrant dans la ville, il avait l?impression de commettre un sacrilège, de réveiller une ville endormie. En effet, tout autour de lui paraissait figé, comme une photographie, malgré les couleurs plutôt vives des bâtiments. Des petits immeubles bleus, verts et ocres s?élevaient sur moins de trois étages. A la réflexion, la ville avait quelque chose de kitsch, à la limite du ridicule, comme toute droite sortie d?un jeu de construction pour enfant.
Au fur et à mesure de son avancée, Kenshu réalisa que cette ville ne paraissait pas endormie, mais désertée. L?ambiance était étrange, comme figée, interrompue dans une espèce d?euphorie. Les habitations et les bâtiments autour de lui paraissaient étrangement neufs ; on aurait dit qu?ils avaient été posés là il y a peu de temps. La ville donnait l?impression d?être en préfabriqué, de pouvoir se démonter aussi facilement qu?elle semblait avoir été construite.
Kenshu décida de continuer d?avancer dans ce qui lui semblait être l?artère principale de cette ville surréaliste, vraisemblablement en direction de la mer. Au fur et à mesure qu?il avançait vers le port, une rumeur s?élevait par dessus les bâtiments de ce dernier. Et, plus il avançait, plus il lui semblait que ce bruit ressemblait à des voix humaines. Encore quelques mètres. Il était maintenant sûr que ces bruits provenaient d?une foule. Quelques voix caractéristiques se détachaient du bruit de fond ; l?intonation haut perchée d?une femme, les pleures stridentes d?un enfant, et, par dessus tout se marasme, une voix autoritaire semblant provenir d?un mégaphone.
Kenshu continua d?avancer et contourna le grand bâtiment gris qui lui faisait face et qui bloquait l?arrivée des sons, l?empêchant de comprendre la moindre phrase. Il traversa un pâté de maison en empruntant une ruelle sombre pas plus large qu?un couloir. Les murs étaient impeccables, mais le sol était jonché de ce que Kenshu supposait être des fientes d?oiseaux marins. Il descendit une volée de corridor encadrée de deux rampes métalliques et atteint l?extrémité du corridor. Il déboucha soudainement sur une grande place bétonnée érigée dans l?océan. Kenshu réalisa alors que, sans s?en rendre compte, il s?était aventuré sur une péninsule, une jetée qui s?avançait dans les flots.
La scène qui s?offrait à sa vue confirmait bien ses hypothèses. Une foule se massait sur un quai, près d?un énorme cargo dans lequel ils semblaient vouloir pénétrer. Le navire était plutôt sobre. D?un bleu sombre, il tanguait paisiblement sur les flots. Un vaste pont courait autour de la coque, permettant aux passagers de prendre l?air. Le bateau était surmonté d?une structure métallique fixée à un câble tendu vers l?immensité de la mer. Son autre extrémité était reliée à un immense pylône métallique ancré dans le sol du port. Le bateau devait sûrement se déplacer en coulissant le long de ce câble?
Kenshu s?approcha doucement. Le groupe de gens s?était regroupé près du ponton tendu entre le quai et le ferry. Sur ce ponton se tenait un garde en uniforme armé d?un porte-parole. Dans d?autres cas, il aurait sûrement eu du mal à contenir une telle foule. A vue de nez, Kenshu pronostiquait environ deux cent personnes. Mais actuellement, les gens étaient étrangement calmes et entraient sans remous dans le navire. Plus Kenshu s?approchait et plus il se rendait compte que ces personnes n?étaient pas seulement calmes mais aussi, et surtout, épuisées. Certains adultes étaient assis à terre ou sur les bittes d?amarrage du port ; des enfants s?étaient endormis dans les bras de leurs parents ; ces derniers ne semblaient également pas très réveillés.
Plus qu?une cinquantaine de mètres. Personne ne semblait avoir remarqué l?arrivée de Kenshu, bien qu?il fût le seul à marcher dans cet immense port. Il commençait à apercevoir nettement les gens malgré le soleil qui l?aveuglait. Le groupe de gens était assez hétéroclite : des très jeunes enfant, des adolescents, des adultes et même des vieillards. Tous étaient vêtus de guenilles, des vêtements déchirés ou vieux et sales. Ils avaient tous le regard perdu dans le vide, empli d?une profonde lassitude. D?où une telle quantité de gens pouvait-elle provenir ? Et surtout, que leur était il arrivé ?
Soudain, Kenshu réalisa. Son sang ne fit qu?un tout dans ses veines et son c?ur se mit à battre la chamade. Evidemment ! Ils venaient de Midgar. Et ce cargo les emmènera à Néo Midgar, la ville citée dans le flyer qu?il avait reçu dans les ruines de la ville. Tout excité, Kenshu se mit à trottiner. Il atteint la foule et aborda un vieillard qui regardait fixement le sol. On aurait dit un cadavre, avec ses cernes profonds et les veines bleues qui couraient sur ses avant-bras ridés.
"Vous venez de Midgar n?est-ce pas ? Il y a d?autres survivants ? Vous avez lu le tract aussi ?"
Sur ces paroles, l?homme leva le regard en direction du garçon. Il ouvrit la bouche, mais aucun son ne sortit. Kenshu remarqua alors qu?une larme perlait sur la joue du vieillard. Il tourna la tête vit qu?une femme le fixait. Son visage portait une expression pathétique, mélange de pitié et de désespoir. Il était inutile d?insister. Kenshu fit demi tour et alla attendre un peu en retrait du groupe. Il s?assit sur le quai, les jambes pendantes au dessus de l?eau et fixa son regard sur la surface de l?eau. Une grande flaque de carburant s?y étendait. Elle portait des milliers de reflet tous plus brillants les uns que les autres et changeant au gré des mouvement de l?eau. Kenshu se dit que c?était la chose la plus magnifique qu?il eut jamais vu. Il resta comme ça de longues minutes. Impossible de dire combien de temps précisément. Au bout d?un moment, le garde monta le porte-parole à sa bouche.
"Embarquement pour Néo Midgar !", confirma-il d?une voix froide et neutre.
A cet avertissement, les gens décolèrent leur regard du sol et tournèrent lascivement la tête vers l?embarcadère. Dans ce qui semblait être une véritable souffrance, ils se levèrent et marchèrent tels des zombis jusqu?à l?embarcadère. On aurait dit des statues de cires qui revenaient à la vie, avec leur visage inexpressif et leur bras pendants. La chute du Météore avait fait des dégâts. Ils avaient tous l?air très choqués. Pendant un moment, le seul son qu?on entendait fut le bruit des pas traînants et las des rescapés sur la passerelle, puis la mer de la mer reprit son droit.
A la traîne, Kenshu se mit à courir. Le garde ne montrait aucun signe d?impatience ou de mécontentement. C?était surréaliste. Comment pouvait-il y avoir si peu de vie avec tant de personnes ? Il pénétra dans le navire et déboucha sur un escalier qui montait. Soudain, il entendit un bruit strident, comme celui que font les freins rouillés d?une très vieille voiture. Déjà engagé dans les marches, il dut s?agenouiller pour voir d?où provenait ce bruit. A quelques mètres de l?embarcadère se tenait une vieille voiture sale de laquelle sortaient un homme ainsi qu?une jeune femme. Sa longue chevelure blonde cachait son visage, ne laissant distinguer que sa fine bouche rose délicieuse. D?un rapide, elle passa ses cheveux derrière sa tête. A ce moment précis, Kenshu fit son visage. Il fut alors frappé d?une grande beauté. J?aimais Kenshu n?avait vu une si belle femme. Celle-ci scruta le navire en plissant les yeux, puis les rouvrit soudainement lorsqu?elle croisa le regard de Kenshu. Un peu surpris, il recula la tête, puis se plongea dans ce regard, comme contraint. Elle avait des yeux d?un bleu intense et hypnotique. Il se sentit comme aspiré par ce regard fascinant. Il détourna enfin le regard, persuadé que, s?il avait fixé trop longtemps ces yeux, il s?y serait noyé. Puis, la femme tourna la tête vers son compagnon et fit un geste vers le garde. Les deux inconnus se firent un signe de tête et avancèrent vers le bateau. Surpris, Kenshu prit ses jambes à son cou et monta les marches quatre à quatre, gardant dans l?esprit l?image du visage de cette femme. Il était sûr et certain qu?il allait la revoir un jour.
*******
La voiture cahotait sur le chemin boueux, chemin jadis sans doute beaucoup emprunté mais apparemment très peu aujourd?hui. En témoignaient les fougères et autres plantes marécageuses qui commençaient à empiéter sur le sentier.
Voilà quelques heures qu?ils avaient quitté Junon. Dès que le moteur fut réparé (un bête problème de batterie ; à force d?être secouée, un fil s?était simplement débranché), ils s?étaient dirigées vers le port de Minato sans attendre ; la ville de Junon ne leur inspirait guère confiance. Le voyage se divisait en trois parties. Premièrement, ils avaient évolués dans une steppe aride où ils avaient du se diriger grâce au Soleil. La terre noire, brûlée par le soleil, ne présentait aucun chemin pour se diriger, juste une vaste étendue aride parsemée ça et là de touffes de joncs cramoisies et d?arbres morts dont les branches tortueuses et noires n?étaient pas pour rassurer les voyageurs. Puis, ils avaient du traverser une chaîne de montagnes. Contrairement à ce qu?ils avaient prévu, ce ne fut pas une tâche particulièrement difficile. En effet, ils avaient trouvé un col ainsi qu?une piste toute dessinée, comme tombée du ciel pour leur permettre de passer de l?autre côté de l?arc montagneux. Les conditions climatiques n?avaient pas été particulièrement draconiennes, car ils étaient passés à mi-hauteur des monts, entre les neiges éternelles et la plaine. Ces montagnes avaient jadis du être des volcans. En effet, le paysage était dénué de toute végétation et le sol recouvert de petites pierres irrégulières et poreuses et de gros roches vaguement circulaires, témoins d?éruptions régulières et violentes. Maintenant, ils étaient dans une forêt boueuse qui s?étendait en lisière de gigantesques marais. Au début, la progression n?était pas facile. La végétation luxuriante bloquait régulièrement la route et ils ont du, à de nombreuses reprises, libérer le passage des plantes et des troncs d?arbre encombrants. Mais, à mesure qu?ils s?approchaient des plaines de Grassland, le sol était plus sec, facilitant l?avancée de la Jeep surmenée qui ne demandait qu?un peu de repos. Plus que quelques centaines de mètres et ils quitterait enfin la forêt pour la dernière ligne droite de leur voyage vers le port de Minato.
Malgré les grincements incessants du véhicule, Elena s?était endormie, bercée par le ronron du moteur et l?exquise tiédeur de l?air. L?atmosphère était baignée des senteurs de la forêt. Par moment, si on était attentif, on pouvait voir des écureuils traverser précipitamment la piste. Petit à petit, la forêt commençait à changer d?allure, tendant plus vers un bois de conifères, avec ses pins et autres arbres à épines. La faune suivait également le mouvement. Les oiseaux et les insectes étaient légion.
A un moment donné, le sentier déboucha sur une clairière inondée de la lumière du Soleil. Le visage de Elena en fut baigné. Doucement, elle s?étira de tout son long. Un sourire se dessina sur ses fines lèvres. Elle ne s?était pas sentie aussi bien et en sécurité depuis longtemps. En sécurité, oui. Elle n?avait rien à craindre de Rob. Elle l?avait su dès la première approche. C?était juste un voyageur égaré et terrorisé à l?idée d?affronter le monde extérieur. Après avoir soigné son arcade ouverte, ils avaient pris le temps de discuter. Ayant absolument besoin d?un moyen de transport, nul doute que Elena et Rob allaient faire un bout de chemin ensemble. Autant apprendre à le connaître dès le début.
Robert était victime d?une amnésique partielle. Il ne se souvenait que de son nom. Rien d?autre. Au moment précis où il le lui avait dit, Elena avait ressenti une vague de pitié la submerger, lui retourner les tripes de fond en comble. Elle avait fait un effort immense pour ne pas fondre en larme. Comment était-il possible de repartir de zéro quand on est livré à soi-même et personne d?autre ? C?était tellement inenvisageable que ça en devenait presque absurde. Elena s?était alors jurée de prendre soi de Rob et de l?aider à retrouver pied dans ce monde, à défaut de pouvoir lui faire recouvrir la mémoire.
Rob lui avait avouée son amnésie avec une certaine crainte, mêlée à un soupçon de ce que Elena interprétait comme de la honte. On aurait presque dit qu?il s?en voulait. Quand il en parlait, ses grands yeux bleus, cachés derrière des petits verres carrés, courraient dans tous les sens dans leur orbite, comme cherchant une issue. Elena voyait bien que c?était pénible pour lui d?en parler ; dans ces cas-là , elle préférait ne pas insister.
Si l?amnésie avait rongé les souvenirs de Rob, elle avait en revanche laissé son caractère intact. Plutôt timide, il était paradoxalement assez loquace. Tout à fait le type de gens qui se désinhibent totalement en présence des personnes qu?ils connaissaient bien. En milieu hostile, il ne laissait passer aucune émotion, présentant un visage stoïque, à la limite de l?inexpressivité. Elena pensait qu?il devait être considéré comme snob par bien des gens qui le jugerait trop hâtivement.
Le contact avait été facile ; ils avaient pris rapidement confiance en l?un et l?autre. Rob, avouant qu?il n?avait nul par où aller, accepta de suivre Elena jusqu?au port de Minato. Sa Jeep allait réellement être d?une grande aide et Elena se demanda si elle se serait aussi rapidement liée d?affection pour lui s?il avait été piéton.
Elena tourna lascivement la tête vers Rob. Il ne l?avait pas vu se réveiller. C?était une chance que Rob sache encore conduire ; Elena avait vraiment besoin de sommeil. Par moments, il semblait que des bribes de souvenirs parvenaient soudainement à la mémoire de Rob, comme autant de coups de feu frappant sèchement la cible de son cerveau. Quelques réflexes ponctuels, comme lever soudainement le bras pour regarder l?heure à sa montre-bracelet, ou encore tapoter sur le tableau de bord cet air universellement connu dont vous ne pouviez vous débarrasser après avoir entendu quelqu?un d?autre l?entonner.
tada tadada tadadada dada
Durant ces moments, qui s?apparentaient plus à des flashes, Elena avait l?impression de faire face au vrai Robert, celui qui vivait sans doute paisiblement avec sa famille quelques jours auparavant. Toujours était il qu?il savait parfaitement conduire, avec même quelques tics. La main sur le levier de vitesse, le coude sur la portière, stupide manie qui vous filait à chaque fois une trace violacée sur l?avant-bras à force de s?appuyer sur la vitre qu?on ne prenait pas la peine d?abaisser totalement. Mais c?est tout de même agréable de sentir son bras engourdi, comme dans du coton ; cela vous fait sentir que vous êtes bien vivant. Elena se dit que ces tics devaient nécessaires à Rob pour mieux appréhender ce monde auquel il était (à nouveau) confronté.
La terre recouvrant la piste se fit soudain plus sèche et plus herbeuse. Les roues de la Jeep cessèrent de patiner et adhérèrent violemment au nouveau revêtement. Le véhicule fit un bond en avant et accéléra. Le moteur passa en surrégime et Rob, nullement effrayé par la nouvelle allure, dut passer la vitesse supérieure pour s?épargner les cris du moteur qui semblait bien souffrir. Les arbres défilaient à une vitesse folle, frôlant à chaque fois l?unique rétroviseur de la voiture, mais le conducteur paraissait maîtriser son engin. Elena se surprit à imaginer qu?il avait du être pilote du buggy dans les canyons arides de l?ouest ; mais sa raison la forçait à penser qu?il était rescapé de Midgar. C?était ce qu?il y avait de plus plausible pour expliquer son amnésie. Une maison qui s?effondre, un coup sur la tête, et le tour est joué. Faites vos jeux. Mort, blessé, indemne ? La vie ne tenait à rien si on la comparait à un jeu de hasard.
Au bout du chemin, on distinguait un point vert, prologue de la vaste étendue herbeuse qu?étaient les plaines de Grassland. Quelques minutes plus tard, ils l?atteignirent. Une véritable pluie de lumière leur tombe sur les épaules. Le soleil écrasait tout, c?était incroyable. Plongé dans cet infini décor verdoyant, on avait l?impression que les montagnes ressemblaient à des collines. Ici, la courbure de la Planète était flagrante. Etrange impression d?être seul au monde et en même totalement négligeable face à l?immensité. Presque frustrant.
Rob accéléra une nouvelle fois ; le chemin ne semblait présenter aucune difficulté particulière. Ses jambes se mouvaient dans l?étrange danse, alchimie difficile du passage de vitesse. Pas trop, pas trop peu. Juste assez pour que cela se passe en douceur, sans à -coups. Ses jambes fines et immenses, étaient moulées dans des jeans bleu gris très classieux. Elle pivota la tête en arrière en bas, vers les fixations du fauteuil. Il était poussé au maximum. Elena prit conscience d?à quel point Rob était grand. Quand elle retourna sa tête, son fauteuil se mit à grincer horriblement. Robert sursauta à peine et tourna la tête vers Elena, les yeux emplis d?une sincère tendresse.
"Bien dormi Miss ?", lança-t-il tout en grattant de l?ongle une des tâches de peinture qui constellaient le tableau de bord, l?air distrait.
"Mmmoui?", répondit lascivement Elena, pas tout à fait émergée de son sommeil.
"Regarde?", dit Rob en penchant la tête vers Elena comme s?il expliquait quelque chose d?important à un petit enfant, alors qu?ils passaient à proximité d?une grande ferme déserte dont le silo à grains était éventré sur tout la hauteur, laissant échapper les semences agricoles par l?un de ses flancs, comme si la pression avait était trop grande pour les contenir. Robert avait le bras tendu et désignait du doigt se qui semblait être une ville à l?horizon. "Ca doit être ça ton fameux port !"
"Hum !", acquiesça-t-elle en hochant la tête affirmativement.
Soudainement, le moteur toussa et la voiture se mit à faire des soubresauts anormaux pour toute véhicule digne de ce nom, comme si elle allait caler dans la seconde qui suit. Ce qui arriva?
"Essence ! On a besoin d?essence !", s?exclama Rob, les yeux grands ouverts et l?index pointé vers le ciel.
Sur ce, il s?appuya sur la carrosserie, sauta par-dessus la portière ouverte et se précipita vers le coffre qu?il ouvrit d?un geste vif. Dans celui-ci se tenaient trois barils.
"Ha là là ! Heureusement que je pense à tout !", plaisanta-t-il en en soulevant un, le visage déformé par l?effort.
Elena esquissa un sourire amusé. En avançant, Rob fit un signe de tête vers le volant. Visiblement, la tâche était difficile au point qu?il ne pouvait plus parler sans laisser tomber sa charge. Elena arracha les clés du contact et s?empressa d?ouvrir le bouchon du réservoir.
"Pfiou ! Merci.", merci articula Rob en vidant le carburant.
Maintenant qu?elle se tenait face à lui, Elena remarqua qu?il avait le visage creusé et des cernes violacés s?étendaient sous ses yeux. Il ne devait pas avoir mangé ni s?être reposé depuis bien longtemps.
"Allez mon petit Robby, à mon tour de prendre le volant ! Tu as besoin de repos.", plaisanta-t-elle en lui tapotant l?épaule de la main.
Rob hocha la tête affirmativement et se dirigea mollement vers le siège passager dans lequel il s?endormit aussitôt. Elena s?installa tranquillement et rapprocha son siège. Elle observa l?horizon un instant avant de partir. Ils seraient à Minato avant la nuit.
Après quelques heures de trajet, pendant lesquelles Rob n?avait cessé de ronfler, les voyageurs arrivèrent en vue du port de Minato. Et il était grand temps. Les paupières d?Elena se fermaient à intervalles de plus en plus courts. Sous son apparence stoïque (c?était, pour un Turk digne de ce nom, le minimum de ne laisser transparaître aucune émotion sur son visage), les événements l?avaient bel et bien éreintée. Même en dehors de son travail, elle ne pouvait s?empêcher de se comporter comme le Turk qu?elle était. Le visage inexpressif, le dos droit, les vêtements et la coiffure toujours impeccables. C?était en vérité assez crispant à la longue. Les hommes n?étaient pas faits pour se comporter comme des machines?
Devant les yeux de Elena s?élevait une forêt de structures métalliques. On y avait visiblement procédé à des travaux d?importante envergure. L?entrée de la ville était matérialisée par une grande porte d?acier assez entrouverte pour laisser entrer la voiture. Une fois à l?intérieur, Elena continua tout droit ; c?était de toutes manières la seule direction praticable avec une voiture.
Elena tourna la tête vers le fauteuil passager et surpris Rob en pleine séance d?étirement. Celui-ci s?arrêta brutalement et sourit lui sourit timidement en se grattant la nuque nerveusement.
"On y est?"
"Au fait, demanda Elena après lui avoir laissé recouvrir ses esprits, comment as-tu pu te souvenir qu?il te restait de l?essence dans le coffre ?"
"Euh?, répondit Rob. J?en sais rien. En fait, j?espérais juste qu?il y en aurait. J?ai fait ça complètement au hasard !"
Ils se regardèrent et éclatèrent de rire. Une rigolade bienvenue après tant d?heures de voyage ininterrompues.
La voiture roulait encore sur l?herbe alors qu?ils avaient déjà pénétré dans la ville. C?était très étrange on aurait dit qu?ils n?avaient pas pris le temps de bétonner le sol, comme si la construction de cette ville avait été une nécessité absolue. Elena bifurqua sur la droite, alors que Rob s?adonnait, la bouche grande ouverte, à la contemplation rêveuse de l?architecture ambiante.
"C?est vraiment récent quand même comme ville, tu crois pas ?", déclara-t-il.
"Mouais? Chais pas?", hésita Elena, pensive, en mastiquant machinalement le filtre de sa cigarette éteinte.<BR< :
"Si, t?as raison. Regarde par terre, l?herbe est à peine abîmée. Il n?y a pas du y avoir beaucoup de trafic ici (elle se tut un instant, fouillant le décor du regard, puis tendit la main vers un bâtiment). Tiens, regarde cette maison. Le bas du mur est impeccable ; cette ville est trop jeune pour avoir subit des pluies. En plus, le pas des portes est nickel, alors que la terre devrait être plus tannée à cet endroit. Y?a aussi les tuiles du toit qui sont vachement trop propres pour être vieilles. T?avais raison Robby !", ajouta-t-elle tout sourire en lui claquant l?épaule amicalement.
Le concerné en resta sans voix. Il venait tout simplement d?assister à l?une des compétences que se doit de maîtriser un Turk. Une simple formalité pour Elena. Il laissa échapper un sifflement admiratif d?entre ses dents, visiblement très impressionné.
Le temps de la démonstration de Elena, ils avaient atteint une espèce de grande place qui rappelait un port. Plusieurs quais s?avançaient sur l?océan. Sur l?un d?entre était garé un engin étrange, hybride d?un bateau et d?un téléphérique. Un grand garde boudiné dans un uniforme bleu ciel se tenait près de l?entrée de l?appareil. Un petit garçon portant un baluchon et une espèce de tige métallique de chantier sur le dos courait vers l?entrée, comme s?il essayait de rattraper son bus scolaire. Les bras brassant l?air, il rentra à toute allure dans le navire.
Le garde, jusque-là stoïque, esquissa un mouvement vers l?entrée. Elena augmenta alors sa pression sur l?accélérateur. Le moteur hurla, puis l?allure du véhicule augmenta significativement. Le garde sursauta, réflexe amusant pour un homme de sa carrure. Elena freina brutalement et sortit du véhicule, immédiatement imité par Rob. L?uniformé fit demi-tour et s?approcha des deux camarades.
"On peut encore monter ?", demanda Elena.
"Ah bien vous tombez juste ! On allait partir. C?est le dernier trajet de la journée.", répondit le garde d?une voie suraiguë, très dérangeante, en total décalage avec son apparence physique. "Vous entrez ? Le ferry va bientôt partir."
Il marqua un blanc de quelques secondes et continua. Une seconde de plus et Elena aurait pris la parole.
"Vous êtes de Turks, non ?", demanda-il sur un ton presque puéril.
"Heu, c?est-à -dire que?", commença Rob maladroitement.
"C?est-à -dire que oui !, coupa Elena voyant qu?ils couraient à leur perte si elle l?avait laissé continuer. Midgar a été détruite alors on a été invité ici." Le visage de Rob commençait à s?empourprer de manière dangereuse alors que celui du garde se fendit d?un large sourire qui n?avait rien de réconfortant :
"Parfait ! Tenez ceci (il leur tendit un petit badge orange qu?ils clipsèrent sur leur col) ; vous en aurez besoin à l?arrivée et?"
"Et ?", l?interrompit Elena désireuse d?en savoir plus.
"Et je ne peut rien vous dire de plus, répondit-il en haussant les épaules. Je ne suis pas au courant de la manière dont on vous prendra en charge là -bas."
"Bien?"
Rob continua de poser quelques questions au garde, tandis qu?Elena préféra rentrer dans le navire. Soudain son regard croisa deux petits points brillants, dissimulés dans la pénombre de l?entrée. Deux yeux. Ils étaient extrêmement expressifs. Elena pouvait y lire de la fatigue, du soulagement, mais aussi une espèce de peur latente, prête à exploser au grand jour. Après quelques secondes, ils eurent un petit sursaut et la personne à qui ils appartenaient détala dans ce qui semblait être un escalier montant. Elena réussit à distinguer une forme. Cela devait sûrement être un enfant ou un jeune adolescent ; peut-être celui qui semblait être en retard à leur arrivée?
Elena préféra ne pas s?en préoccuper. Si elle récupérerait son emploi, elle aurait tout le temps et toute les occasions de mener des enquêtes. Elle soupira et pénétra dans le bateau, directement suivie de Rob, alors que le garde restait au port. Ils devaient profiter de ce voyage pour se reposer. Les jours suivants allaient sûrement être éprouvants?
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